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RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIR D'EMILIENNE AUBERTIN VVE MULLER

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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 10:02

J'ai quitté Rupt pour aller habiter à Corravillers en 1932.  Emile, mon mari  et moi-même travaillions au tissage Clément, j'étais tisserande et lui était encolleur. Nous habitions dans une cité en face de l'usine.      

    En ce qui concerne la guerre, mon mari avait été mobilisé en 1938 puis il est revenu à la maison. En 39, il a été mobilisé à nouveau. Ce devait être le fils du patron où on travaillait qui devait partir, mais mon mari a été désigné pour prendre sa place.
Lorsqu'il est parti, il nous a dit : «Je vous dis au revoir, je ne vous reverrai certainement pas». Vous savez, c'est dur de vivre après ça.
Il s'est retrouvé à Maîche dans le Doubs et se trouvait  toujours là à la déclaration de guerre.

   J'étais inquiète pour lui, j'avais peur de ne plus jamais le voir ; alors un jour, je n'ai rien dit à l'usine, j'ai pris le car à Corravillers et  je suis  allée le retrouver. J'ai confié ma gamine à mon beau frère qui n'habitait pas loin de là et je suis partie pour quelques jours.

    Lorsque je suis revenue, le directeur de l'usine n'a pas voulu me donner mes navettes pour que je reprenne le travail. Il a fallu que j'aille voir le grand patron pour expliquer ma cause. J'avais bien fait de prendre ce risque puisqu'avec l'avancée des troupes allemandes, le régiment de mon mari a dû décrocher le lendemain même du jour où je l'ai quitté, pour se replier dans le Gers.


   Ensuite Emile a été réquisitionné par le STO,  et est allé en Allemagne, à Braunschweig. Il n'est revenu qu'en 1945. Une fois ou deux seulement il a eu droit à une permission.
Je me suis donc retrouvée seule avec la gamine, durant toute cette période-là, elle avait neuf ans en 1939.

    Comme tous les hommes étaient partis, il ne restait plus que ceux qui devaient produire pour supporter le train de vie des Allemands. Il n'y avait plus de coiffeur ni de barbier alors j'ai proposé mes services aux paysans. Je coupais les cheveux et je rasais les hommes.
    Par exemple la femme qui tenait le moulin de Corravillers m'a demandé si je ne voulais pas venir couper les cheveux des hommes qui travaillaient avec elle. En échange, j'avais de quoi manger. Je faisais payer un sou pour la barbe et vingt sous pour une coupe de cheveux. Grâce à cela, ma gamine et moi-même n'avons pas été trop malheureuses. Il faut dire que nous n'étions pas difficiles dans le temps, de toute façon, nous n'avions pas le choix, il n'y avait plus rien pendant la guerre.

   Je me souviens d'une anecdote à ce sujet. Un jour un jeune homme, prénommé Léon, est venu se faire couper les cheveux, je lui ai demandé s'il m'avait apporté des œufs, comme convenu. Il m'a fait marcher en me disant qu'il n'avait rien. Je lui ai dit que si c'était comme ça, il ne profiterait pas de mes services. Il s'est assis quand même en oubliant qu'il avait ses œufs dans sa poche. En s'asseyant, il a broyé les œufs, comme ça l'omelette a été faite tout de suite!

    Nous avons dû manger du pain de pommes de terre, la fécule remplaçait la farine. C'était difficilement mangeable, c'était pâteux en bouche. Pour changer un peu, avec mes tickets d'alimentation, j'allais en vélo, de Corravillers à Remiremont, chez Quirin, où je me procurais des biscuits de guerre pour changer un peu de nourriture.

-----( Précisons que les possesseurs de cartes d'alimentation, 40 millions de Français, doivent tenir une très sérieuse comptabilité.
Entre le moment de la distribution (les cartes, de l'inscription pour une denrée à celui de la distribution, il s'écoule souvent des semaines, parfois des mois.

Il faut donc veiller attentivement à ne pas égarer ces légers tickets de couleur qui, même inutilisés (mais non détachés par d'autres ciseaux que ceux de l'épicier) peuvent, un jour, se voir dotés de quelque valeur par un ravitaillement soudain généreux.

La perte des tickets représente, dans les foyers modestes, un véritable drame, et l'on imagine sans peine le désespoir de cette Parisienne, Mme Vicieux, qui, ayant déposé ses cartes d'alimentation près de son lapin domestique, arriva trop tard pour les disputer au rongeur.
Dans un très gros portefeuille, la mère de famille range donc, côte à côte, les cartes de vêtements et d'articles textiles, les cartes d'alimentation, les cartes de tabac, de jardinage, de vin, les bons d'achat pour une veste de travail ou une culotte de bain, les coupons permettant l'acquisition d'une paire de chaussures et de produits détersifs, les tickets pour les articles de ménage en fer et les articles d'écoliers, etc.

Il faut se tenir au courant des « déblocages » annoncés par la presse ou l'épicier, tenir à jour ses inscriptions, deviner l'heure à laquelle commencera la queue favorable, surveiller le compteur à gaz et le compteur d'électricité, marchander une fausse carte de pain moins chère qu'une vraie, mais plus difficile à faire passer.
                                                 

Les cartes de ravitaillement classent les Français en huit catégories.
Désormais, on n'est plus bourgeois ou prolétaire, mais A ou T.
L'adolescence, cet anonymat aux frontières troubles, se voit arbitrairement découpé et le législateur, aidé par la longueur des restrictions, fera passer le mot J 3 du langage administratif à celui du théâtre et du cinéma.
Voici quelles sont les catégories de rationnaires :
E : Enfants âgés de moins de 3 ans.
J 1: Enfants âgés de 3 à 6 ans.
J 2 : Enfants âgés de 6 à 13 ans.
J 3 : Adolescents de 13 à 21 ans.
A : Consommateurs de 21 à 70 ans, ne se livrant pas à des travaux donnant droit aux catégories T ou C.
T : Travailleurs de force (de 21 à 70 ans). La carte T donne droit à des suppléments de pain, de viande, de vin, etc. Objet, à ce titre, de bien des convoitises, elle est attribuée suivant des règles parfois incompréhensibles. Y ont droit ceux qui fabriquent des billards ou des armures de théâtre, mais non les fabricants de parapluies : ceux qui travaillent dans une usine de conserves de poissons, mais non ceux qui sont employés par une usine de conserves de légumes ; ceux qui confectionnent des yeux de poupées, mais non les horlogers.
C : Consommateurs de plus de 21 ans se livrant à des travaux agricoles.
V : Consommateurs de plus de 70 ans
( Source Internet - http://www.histoire-en-questions.fr - Ndr)

    Lorsque les Américains sont arrivés, je revenais des vêpres. Arrivée devant chez moi, il y avait un soldat américain. Il m'a demandé où j'habitais et m’a fait comprendre que c'était désormais chez lui. Il est allé chercher sa valise alors je n'ai pas voulu rester  seule chez moi avec lui. Avec ma gamine, je suis allée me réfugier dans la ferme Petitjean, à côté du moulin de Corravillers.
    Nous y dormions par terre, à même le sol.

    Quelques jours plus tard, alors que  je me trouvais à la cuisine de chez Petitjean et que je lavais quelque chose sur la pierre d'eau, un bruit terrible s'est produit. Un obus est entré par la fenêtre,  est passé juste au dessus de ma tête. Il a traversé la pièce et a éclaté dans le charri, où se trouvait la grand-mère, prénommée Sophie. Elle a été gravement blessée à une jambe par un éclat. Sophie a été soignée dans l'urgence sur place par un médecin allemand qui se trouvait à proximité, puis a été transférée à l'hôpital de Luxeuil. Elle en est morte trois jours plus tard.
    Vous savez, ça marque ces choses- là.

    Après la guerre, lorsque je suis revenue chez moi, tout avait été pillé et endommagé, jusqu’à mes conserves et mes fruits en bouteilles qui ont été saccagés dans la cave. Ce ne sont pas les Allemands qui ont fait ça, ce sont les Américains!

    Le 10 mai 1945, je suis allée chercher mon mari à Faucogney.  C'était la joie dans la grande rue de Corravillers puisqu'il n'était pas le seul à rentrer, par contre Emile était dans un état miséreux. Il était couvert de poux, à tel point qu'une fois arrivés chez nous, je n'ai pas voulu qu'il monte dans les escaliers de l'appartement. Je lui ai fait chauffer une grosse bassine d'eau à la cave, il s'est lavé et j'ai fais tremper tous ses habits pendant trois jours pour tuer toute la vermine.

    N’oublions pas que les STO n'ont touché aucune pension sur les trois années  passées en Allemagne.
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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 10:07

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