LE MENIL - MANUSCRIT DATE DE 1945 EMANANT DE CECILE VALENCE VVE HENRI PHILIPPE
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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LE MENIL - MANUSCRIT DATE DE 1945 EMANANT DE CECILE VALENCE VVE HENRI PHILIPPE
Sous la botte:
Bien des choses ont déjà été écrites et dites sur l'effroyable martyre que subit toute la région est de nos Vosges, depuis la Cité épiscopale, en passant par la Perle des Vosges, puis la Bresse pour se terminer au canton du Thillot, dans sa partie de Haute Moselle.
L'épreuve commença exactement le 30 août dernier pour avoir son épilogue fin novembre seulement, soit trois mois d'isolement, d'heure en heure plus dur, plus étouffant.
Dès le 02 septembre, les « Hitler Soldaten » à l'arrogant costume jaune, s'imposent, exigent, s'incrustent. Le travail obligatoire pour les hommes est annoncé spectaculairement: « Il faut faire des ouvrages défensifs pour protéger notre pays de l'ennemi! ».
Mais où donc est l'ennemi, sinon dans nos murs, dans nos campagnes, intoxicant nos existences ?.
L'appel du matin est souvent orageux, les travailleurs manquent d’empressement, on s'en doute, les rangs sont parfois très clairsemés, les menaces se mêlent aux promesses de rations de pain, on griffe et on amadoue tout ensemble, c'est la bonne politique teutonne. La pression sur la population s'accentue de jour en jour, les interdictions alternent avec les ordres impératifs. Tout est désormais “ verboten” et sujet à sanction. On réquisitionne dans tous les domaines. Il faut reconnaitre que la Wehrmacht et les hommes du parti s'y entendent supérieurement. On met un certain joujou sous le menton du commerçant ou du cultivateur et l'on obtient tout ce que l'on désire. Notre clairvoyant Lafontaine ne disait– il pas “ La raison du plus fort est toujours la meilleure” ?
On devait travailler colossalement dans les bureaux de l'occupant si l'on en juge par le nombre de machines à écrire qu'il exige, et travaillant à ce point, il fallait, n'est ce pas, manger et boire en conséquence, dormir douillettement pour réparer ses forces.
Tout cela, on le trouvait au Thillot, de gré ou de force.
Entre temps survint un contingent de jeunesses Hitlériennes du Duché de Bade, jeunes effrontés très glorieux de leur uniforme, déjà très bien éduqués, à la mode nazie s'entend, et c'est tout dire.
Le maire, son adjoint sont sur les dents, impuissants en face des doléances des victimes de brigandages journaliers.
La Gestapo:
L'odieuse police allemande arrive, c'est le coup de grâce. Immédiatement, c'est la rafle des bicyclettes, des postes de radio, rien n'est respecté, pas plus les stocks de denrées destinés aux prisonniers de guerre que l'essence des médecins ou le camion du centre intercommunal d'incendie et son stock de carburant.
La mi-septembre arrive, on croyait la libération imminente, aucune lueur hélas, si ce n'est celles des bombardements qui se rapprochent. Le pillage des usines; tannerie, tissages, maisons de commerce, est organisé avec art, rien n'échappe à l'œil du maître, c'est une écœurante razzia.
Le dimanche 17 septembre, la Gestapo demande immédiatement l'état civil et l'adresse de tous les personnels de la mairie, deux heures plus tard, le secrétaire en chef et un jeune employé de la mairie sont arrêtés, menottes aux poignets. Il y a menaces dans l'air. Les deux hommes sont relâchés après une demi-journée d'interrogatoires insidieux, de pièges, de menaces. Hélas, le fauve ne renonce pas si simplement à sa proie, on verra plus loin comment.
Les travailleurs deviennent rétifs, les ouvrages en montagne sont pilonnés par l'artillerie.
Le 24 septembre, Marcel Parmentier, secrétaire de mairie est arrêté une seconde fois par la Gestapo, resté à son poste malgré le danger que représentait pour lui le premier interrogatoire subi. Il est happé cette fois inexorablement, sans que sa famille, son entourage ait pu seulement réaliser ce qui venait de se passer.
Les bombardements:
Le lendemain, les obus qui jusqu'à présent ne faisaient rage que dans la campagne, particulièrement à La Mouline, tombent en plein sur la ville et cela continuera sans un jour, sans une nuit de répit jusqu'à fin novembre.
Le 29, Gaston Ziegler, jeune père de quatre enfants est tué net par un obus qui blesse mortellement Mme Clément, gérante du Sanal, touche également deux autres personnes. La liste désormais va s'allonger tragiquement, les Boches diaboliquement promènent des canons montés dans divers quartiers, tirent quelques salves et se déplacent à nouveau dans la nuit. Repérage, riposte, mais c'est sur des innocents que s'abattent le fer et le feu, l'ennemi narquois est un peu plus loin pendant que les mamans pleurent, que des petits enfants deviennent des orphelins. Plusieurs familles comptent deux tués et parfois en plus des blessés du même coup.
Depuis le 25 septembre, la totalité de la population est contrainte à vivre dans les caves. Presque à cette même date, les troupes allemandes chargées des travaux de fortification sont parties. Une jeune gueuse de 21 ans a eu l'impudeur de partir avec eux, dans leur car, en plein jour. Sans commentaire!
Voici à présent les unités de combats, et là, on devient impuissant à décrire l'existence de chacun. C'est la terreur permanente, dans toute la vallée, du Thillot à Bussang. A cela s'ajoute l'absence presque totale de pain, en effet, ce furent 5 ou 6 rations de pain, espacées d'environ quinze jours, qui purent être distribués en deux mois. Conduire le seigle, rechercher la farine au vieux moulin du Pont Jean, sont des entreprises périlleuses et méritoires. Tout est danger, l'église, le cimetière, en plein dans la zone de tir sont tellement mitraillés qu'après avoir tout d'abord réduit les cortèges funèbres à la toute proche famille, Mr Georges Grosjean, adjoint, décide que toute la cérémonie se fera à l'hospice, bénédiction à la chapelle et inhumation dans la pelouse pour éviter d'autres désastres parmi les familles et les brancardiers, dont certains font preuve du plus beau des courages.
Des scènes poignantes se déroulent à la morgue de l'hospice.
Comment parler de brancardiers sans citer ceux du Ménil Thillot, qui ayant recueilli un Goumier marocain blessé, eurent la belle audace de le transporter jusqu'à l'hospice du Thillot, premièrement sur un parcours de plus de trois kilomètres bombardés et deuxièmement à la barbe du Boche qui contaminait le pays.
A l'hospice, le « Goum » fut aussi bien caché que soigné, ce qui n'allait pas sans risques, mais le devoir et la tranquillité sont deux choses bien différentes. Il faut savoir choisir, de même qu'il était moins dangereux d'être confortablement attentiste que d'être un résistant.
La Toussaint arrive, les tombes n'ont pu avoir leur pieuse parure traditionnelle, tout au plus quelques fleurs portées en courant, entre deux rafales.
Depuis plus d'un mois, les lignes françaises sont à Ramonchamp, en partie délivré. C'est la stagnation, on agonise plutôt qu'on ne vit.
Depuis des semaines, les Allemands ont fait sauter la voie ferrée et les ouvrages de la gare, en plein jour, sans prévenir, sans souci des habitants qui se trouvaient à proximité au même moment. Depuis six semaines l'électricité manque, par suite des destructions multiples. Les mines boches, posées en grand nombre dans la montagne ont fait des victimes. On n'ose plus aller à l'arrachage des pommes de terre, et pourtant, sans pain, sans réception d'aucune denrée, depuis deux mois, on a faim, on s'étiole dans les caves et si un rayon de soleil et un calme momentané incitent quelques enfants à sortir un instant, la rafale survient meurtrière.
L'ennemi a donné l'ordre formel de laisser ouvertes jour et nuit les maisons et les caves, il a tous les raffinements. Il ne veut pas forcer les portes pour piller: « Laissez les ouvertes, bonnes gens, et de notre côté, nous saurons vous montrer combien nous sommes corrects ». Seulement, avec cette méthode, il n'y a plus une minute de sécurité. C'est l'angoisse jusqu'à l'étouffement. Les Huns sont ici, là, partout.
La jeunesse masculine, alertée, commence à gagner les lignes françaises, par les sentiers de montagne, en prévision de la déportation qui devait du reste se réaliser.
Puis les familles entières, bravant tous risques, émigrent, fuyant la famine, le toit éventré, la maison incendiée.
De temps à autre, des lignes toutes proches où crépitent la mitrailleuse, des blessés allemands descendent, parfois dans une voiture d'enfant, parfois recroquevillé dans une charrette de laitier, traîné par un autre moins éclopé.
Est-ce donc là toute l'organisation sanitaire de la puissante armée du 3ème Reich?
Pourtant, fin septembre, alors que la rafle du cuir et du crêpe de chine battait son plein, il en circulait, pleines à craquer, des voitures sanitaires, sous la protection du fanion de la croix de Genève, mais de blessé point.
Les déportations – l'évacuation:
Le 8 novembre, du P.C aux fauteuils profonds qu'il s'est choisi en expulsant le légitime occupant, l'ennemi décrète le rassemblement des hommes, sans limite d'âge, pour aller travailler nul ne sait où.
Le 9, à l'heure convenue... personne. Hormis deux impotents. L'officier, glacé, ne dit mot et c'est plus redoutable qu'une explosion de colère. Que va-t-il faire devant l'offensante abstention? Un nouvel avis de rassemblement immédiat. Tout homme surpris ensuite sera arrêté et.... le résultat est que se présentent seulement ceux qui la veille avaient été, de par leur fonction ou profession exempté par l'occupant, mais point de promesse aujourd'hui, il faut sa proie, si réduite soit-elle, et ces hommes, parmi lesquels un prisonnier rapatrié sont emmenés sur le champ.
Les premiers flocons de neige s'abattent sur ce tableau de désolation, de cris de femmes, de visages crispés.
La délivrance ne viendra t elle jamais?
Faudra-t-il que ce soit nous qui allions à elle, rejoindre cette France si proche et si lointaine à la fois ?
En effet, le lendemain, 10 novembre au matin, Mr Grosjean, adjoint, le visage pâli, annonce la dernière décision du tyran. L'évacuation sans exception de toute la population pour le lendemain même. Et la neige continue à tomber. Les pourparlers tendant à obtenir une trêve pour le passage direct par Ramonchamp sont restés sans succès. Il n'y a qu'un passage autorisé et c'est un chemin créant un immense détour en montagne, chemin pénible et plein d'embûches.
La consternation est indescriptible. Il faudra laisser tout ce qu'on avait péniblement mis en réserve pour ces jours noirs, tous les chers souvenirs de famille. Et se dire que l'ennemi restera, lui, pour la curée, prendra tout ce qu'il pourra et détruira le reste, si bon lui semble. Et les petits enfants les vieillards et l'hospice dont les caves regorgent de malades, de blessés que docteurs et religieuses ont tant de mal à soigner depuis des semaines. Autant de problèmes qu'il faut résoudre et le temps presse.
Il y a, bien entendu des hommes, qui, bien que ne s'étant pas présenté au travail sont encore là, beaucoup devront adopter le costume féminin pour passer. Et c'est l'exode en direction du Ménil, première étape avant la rude montée
A noter que le Goumier blessé est dans les premiers évacués et c'est une petite revanche.
Tout Thillotin de cœur se souviendra de l'accueil fait par le maire et les habitants du Ménil. Ils furent pompiers, cultivateurs, bûcherons, et tous au dessus de tout éloge. La providence leur en a tenu compte.
L'évacuation ne toucha qu'une petite partie du village, voisin du territoire du Thillot. Merci à vous tous, à quoi bon les grands mots, quand si simplement et non sans risques parfois, vous avez fait plus que votre devoir.
Pour l'évacuation de l'hospice, le délai accordé courait jusqu'au 12 au soir, mais le 11, il fallut accélérer, l'ennemi avait fini par accorder quelques véhicules. Deux cars et une camionnette étaient déjà chargés, prêts à partir, quand survint un nouvel ordre: interdiction de continuer vers le Ménil. Il fallait aller vers Bussang, donc vers l'Allemagne. On devrait s'attendre à tout désormais.
Ce fut la panique, une jeune maman, accouchée de deux jours, serrant son trésor contre elle, refuse farouchement, elle ira à l'aide d'une charrette, n'importe comment, mais pas chez les Boches!
Le directeur de l'hospice et l'adjoint au Maire interviennent, l'ordre est sans appel, il ne reste plus qu'à fuir, les secondes sont comptées, les religieuses de l'hospice sont obligées même de ruser pour rejoindre les derniers Thillotins au Ménil.
L'organisation des convois pour les blessés et malades, qui devaient se faire par des ambulances françaises échoua, les Allemands ayant posé des mines là aussi.
Il fallut revenir sur ses pas avec les premiers blessés transportés et par un froid terrible. Il fallait une décision!
Mr Kohler, le Maire du Ménil sachant pouvoir compter sur ses gens, réquisitionna schlittes et gars solides et dévoués, capables d'assurer la rude tâche. Celle-ci demanda 4 jours et le vendredi 17 novembre, le dernier convoi, parmi lequel se trouvait l'Abbé Krener, vicaire du Thillot, qui en ces jours se dépensa sans compter, arriva dans les lignes françaises au premier poste de Goumiers Marocains.
Finie la Frankreich!. Il n'y avait plus que la France!, l'air pur, la neige immaculée, les soldats souriants et apitoyés offrant à chacun le quart de chocolat brûlant et les biscuits secs.
Puis, en descente raide et presque vertigineuse cette fois, dans 35 centimètres de neige, le trajet jusqu'au Col de Morbieux. Là encore, accueil réconfortant. Les camions militaires chargent leur monde sans arrêt, vers Rupt ou Saulxures, où l'hospice Géhin lui ouvrit largement ses portes et son réfectoire.
Bientôt, après Remiremont, pour les uns la fin du trajet, pour beaucoup, le point de départ vers la Haute Marne ou la plaine des Vosges.
Remiremont sut être à la hauteur d'une tâche énorme car l'exode du Thillot fut suivi de près, par celui de La Bresse, plus tragique encore.
Il nous est agréable de relater que dans les bourgs de la plaine aussi bien qu'en Haute Marne, nos compatriotes reçurent un accueil fraternel, et si ces mois atroces sont inoubliables pour ceux qui les vécurent, ceux-ci garderont aussi le souvenir, non moins vivace, des cœurs qui s'ouvrirent généreusement devant leur détresse.
Bien des choses ont déjà été écrites et dites sur l'effroyable martyre que subit toute la région est de nos Vosges, depuis la Cité épiscopale, en passant par la Perle des Vosges, puis la Bresse pour se terminer au canton du Thillot, dans sa partie de Haute Moselle.
L'épreuve commença exactement le 30 août dernier pour avoir son épilogue fin novembre seulement, soit trois mois d'isolement, d'heure en heure plus dur, plus étouffant.
Dès le 02 septembre, les « Hitler Soldaten » à l'arrogant costume jaune, s'imposent, exigent, s'incrustent. Le travail obligatoire pour les hommes est annoncé spectaculairement: « Il faut faire des ouvrages défensifs pour protéger notre pays de l'ennemi! ».
Mais où donc est l'ennemi, sinon dans nos murs, dans nos campagnes, intoxicant nos existences ?.
L'appel du matin est souvent orageux, les travailleurs manquent d’empressement, on s'en doute, les rangs sont parfois très clairsemés, les menaces se mêlent aux promesses de rations de pain, on griffe et on amadoue tout ensemble, c'est la bonne politique teutonne. La pression sur la population s'accentue de jour en jour, les interdictions alternent avec les ordres impératifs. Tout est désormais “ verboten” et sujet à sanction. On réquisitionne dans tous les domaines. Il faut reconnaitre que la Wehrmacht et les hommes du parti s'y entendent supérieurement. On met un certain joujou sous le menton du commerçant ou du cultivateur et l'on obtient tout ce que l'on désire. Notre clairvoyant Lafontaine ne disait– il pas “ La raison du plus fort est toujours la meilleure” ?
On devait travailler colossalement dans les bureaux de l'occupant si l'on en juge par le nombre de machines à écrire qu'il exige, et travaillant à ce point, il fallait, n'est ce pas, manger et boire en conséquence, dormir douillettement pour réparer ses forces.
Tout cela, on le trouvait au Thillot, de gré ou de force.
Entre temps survint un contingent de jeunesses Hitlériennes du Duché de Bade, jeunes effrontés très glorieux de leur uniforme, déjà très bien éduqués, à la mode nazie s'entend, et c'est tout dire.
Le maire, son adjoint sont sur les dents, impuissants en face des doléances des victimes de brigandages journaliers.
La Gestapo:
L'odieuse police allemande arrive, c'est le coup de grâce. Immédiatement, c'est la rafle des bicyclettes, des postes de radio, rien n'est respecté, pas plus les stocks de denrées destinés aux prisonniers de guerre que l'essence des médecins ou le camion du centre intercommunal d'incendie et son stock de carburant.
La mi-septembre arrive, on croyait la libération imminente, aucune lueur hélas, si ce n'est celles des bombardements qui se rapprochent. Le pillage des usines; tannerie, tissages, maisons de commerce, est organisé avec art, rien n'échappe à l'œil du maître, c'est une écœurante razzia.
Le dimanche 17 septembre, la Gestapo demande immédiatement l'état civil et l'adresse de tous les personnels de la mairie, deux heures plus tard, le secrétaire en chef et un jeune employé de la mairie sont arrêtés, menottes aux poignets. Il y a menaces dans l'air. Les deux hommes sont relâchés après une demi-journée d'interrogatoires insidieux, de pièges, de menaces. Hélas, le fauve ne renonce pas si simplement à sa proie, on verra plus loin comment.
Les travailleurs deviennent rétifs, les ouvrages en montagne sont pilonnés par l'artillerie.
Le 24 septembre, Marcel Parmentier, secrétaire de mairie est arrêté une seconde fois par la Gestapo, resté à son poste malgré le danger que représentait pour lui le premier interrogatoire subi. Il est happé cette fois inexorablement, sans que sa famille, son entourage ait pu seulement réaliser ce qui venait de se passer.
Les bombardements:
Le lendemain, les obus qui jusqu'à présent ne faisaient rage que dans la campagne, particulièrement à La Mouline, tombent en plein sur la ville et cela continuera sans un jour, sans une nuit de répit jusqu'à fin novembre.
Le 29, Gaston Ziegler, jeune père de quatre enfants est tué net par un obus qui blesse mortellement Mme Clément, gérante du Sanal, touche également deux autres personnes. La liste désormais va s'allonger tragiquement, les Boches diaboliquement promènent des canons montés dans divers quartiers, tirent quelques salves et se déplacent à nouveau dans la nuit. Repérage, riposte, mais c'est sur des innocents que s'abattent le fer et le feu, l'ennemi narquois est un peu plus loin pendant que les mamans pleurent, que des petits enfants deviennent des orphelins. Plusieurs familles comptent deux tués et parfois en plus des blessés du même coup.
Depuis le 25 septembre, la totalité de la population est contrainte à vivre dans les caves. Presque à cette même date, les troupes allemandes chargées des travaux de fortification sont parties. Une jeune gueuse de 21 ans a eu l'impudeur de partir avec eux, dans leur car, en plein jour. Sans commentaire!
Voici à présent les unités de combats, et là, on devient impuissant à décrire l'existence de chacun. C'est la terreur permanente, dans toute la vallée, du Thillot à Bussang. A cela s'ajoute l'absence presque totale de pain, en effet, ce furent 5 ou 6 rations de pain, espacées d'environ quinze jours, qui purent être distribués en deux mois. Conduire le seigle, rechercher la farine au vieux moulin du Pont Jean, sont des entreprises périlleuses et méritoires. Tout est danger, l'église, le cimetière, en plein dans la zone de tir sont tellement mitraillés qu'après avoir tout d'abord réduit les cortèges funèbres à la toute proche famille, Mr Georges Grosjean, adjoint, décide que toute la cérémonie se fera à l'hospice, bénédiction à la chapelle et inhumation dans la pelouse pour éviter d'autres désastres parmi les familles et les brancardiers, dont certains font preuve du plus beau des courages.
Des scènes poignantes se déroulent à la morgue de l'hospice.
Comment parler de brancardiers sans citer ceux du Ménil Thillot, qui ayant recueilli un Goumier marocain blessé, eurent la belle audace de le transporter jusqu'à l'hospice du Thillot, premièrement sur un parcours de plus de trois kilomètres bombardés et deuxièmement à la barbe du Boche qui contaminait le pays.
A l'hospice, le « Goum » fut aussi bien caché que soigné, ce qui n'allait pas sans risques, mais le devoir et la tranquillité sont deux choses bien différentes. Il faut savoir choisir, de même qu'il était moins dangereux d'être confortablement attentiste que d'être un résistant.
La Toussaint arrive, les tombes n'ont pu avoir leur pieuse parure traditionnelle, tout au plus quelques fleurs portées en courant, entre deux rafales.
Depuis plus d'un mois, les lignes françaises sont à Ramonchamp, en partie délivré. C'est la stagnation, on agonise plutôt qu'on ne vit.
Depuis des semaines, les Allemands ont fait sauter la voie ferrée et les ouvrages de la gare, en plein jour, sans prévenir, sans souci des habitants qui se trouvaient à proximité au même moment. Depuis six semaines l'électricité manque, par suite des destructions multiples. Les mines boches, posées en grand nombre dans la montagne ont fait des victimes. On n'ose plus aller à l'arrachage des pommes de terre, et pourtant, sans pain, sans réception d'aucune denrée, depuis deux mois, on a faim, on s'étiole dans les caves et si un rayon de soleil et un calme momentané incitent quelques enfants à sortir un instant, la rafale survient meurtrière.
L'ennemi a donné l'ordre formel de laisser ouvertes jour et nuit les maisons et les caves, il a tous les raffinements. Il ne veut pas forcer les portes pour piller: « Laissez les ouvertes, bonnes gens, et de notre côté, nous saurons vous montrer combien nous sommes corrects ». Seulement, avec cette méthode, il n'y a plus une minute de sécurité. C'est l'angoisse jusqu'à l'étouffement. Les Huns sont ici, là, partout.
La jeunesse masculine, alertée, commence à gagner les lignes françaises, par les sentiers de montagne, en prévision de la déportation qui devait du reste se réaliser.
Puis les familles entières, bravant tous risques, émigrent, fuyant la famine, le toit éventré, la maison incendiée.
De temps à autre, des lignes toutes proches où crépitent la mitrailleuse, des blessés allemands descendent, parfois dans une voiture d'enfant, parfois recroquevillé dans une charrette de laitier, traîné par un autre moins éclopé.
Est-ce donc là toute l'organisation sanitaire de la puissante armée du 3ème Reich?
Pourtant, fin septembre, alors que la rafle du cuir et du crêpe de chine battait son plein, il en circulait, pleines à craquer, des voitures sanitaires, sous la protection du fanion de la croix de Genève, mais de blessé point.
Les déportations – l'évacuation:
Le 8 novembre, du P.C aux fauteuils profonds qu'il s'est choisi en expulsant le légitime occupant, l'ennemi décrète le rassemblement des hommes, sans limite d'âge, pour aller travailler nul ne sait où.
Le 9, à l'heure convenue... personne. Hormis deux impotents. L'officier, glacé, ne dit mot et c'est plus redoutable qu'une explosion de colère. Que va-t-il faire devant l'offensante abstention? Un nouvel avis de rassemblement immédiat. Tout homme surpris ensuite sera arrêté et.... le résultat est que se présentent seulement ceux qui la veille avaient été, de par leur fonction ou profession exempté par l'occupant, mais point de promesse aujourd'hui, il faut sa proie, si réduite soit-elle, et ces hommes, parmi lesquels un prisonnier rapatrié sont emmenés sur le champ.
Les premiers flocons de neige s'abattent sur ce tableau de désolation, de cris de femmes, de visages crispés.
La délivrance ne viendra t elle jamais?
Faudra-t-il que ce soit nous qui allions à elle, rejoindre cette France si proche et si lointaine à la fois ?
En effet, le lendemain, 10 novembre au matin, Mr Grosjean, adjoint, le visage pâli, annonce la dernière décision du tyran. L'évacuation sans exception de toute la population pour le lendemain même. Et la neige continue à tomber. Les pourparlers tendant à obtenir une trêve pour le passage direct par Ramonchamp sont restés sans succès. Il n'y a qu'un passage autorisé et c'est un chemin créant un immense détour en montagne, chemin pénible et plein d'embûches.
La consternation est indescriptible. Il faudra laisser tout ce qu'on avait péniblement mis en réserve pour ces jours noirs, tous les chers souvenirs de famille. Et se dire que l'ennemi restera, lui, pour la curée, prendra tout ce qu'il pourra et détruira le reste, si bon lui semble. Et les petits enfants les vieillards et l'hospice dont les caves regorgent de malades, de blessés que docteurs et religieuses ont tant de mal à soigner depuis des semaines. Autant de problèmes qu'il faut résoudre et le temps presse.
Il y a, bien entendu des hommes, qui, bien que ne s'étant pas présenté au travail sont encore là, beaucoup devront adopter le costume féminin pour passer. Et c'est l'exode en direction du Ménil, première étape avant la rude montée
A noter que le Goumier blessé est dans les premiers évacués et c'est une petite revanche.
Tout Thillotin de cœur se souviendra de l'accueil fait par le maire et les habitants du Ménil. Ils furent pompiers, cultivateurs, bûcherons, et tous au dessus de tout éloge. La providence leur en a tenu compte.
L'évacuation ne toucha qu'une petite partie du village, voisin du territoire du Thillot. Merci à vous tous, à quoi bon les grands mots, quand si simplement et non sans risques parfois, vous avez fait plus que votre devoir.
Pour l'évacuation de l'hospice, le délai accordé courait jusqu'au 12 au soir, mais le 11, il fallut accélérer, l'ennemi avait fini par accorder quelques véhicules. Deux cars et une camionnette étaient déjà chargés, prêts à partir, quand survint un nouvel ordre: interdiction de continuer vers le Ménil. Il fallait aller vers Bussang, donc vers l'Allemagne. On devrait s'attendre à tout désormais.
Ce fut la panique, une jeune maman, accouchée de deux jours, serrant son trésor contre elle, refuse farouchement, elle ira à l'aide d'une charrette, n'importe comment, mais pas chez les Boches!
Le directeur de l'hospice et l'adjoint au Maire interviennent, l'ordre est sans appel, il ne reste plus qu'à fuir, les secondes sont comptées, les religieuses de l'hospice sont obligées même de ruser pour rejoindre les derniers Thillotins au Ménil.
L'organisation des convois pour les blessés et malades, qui devaient se faire par des ambulances françaises échoua, les Allemands ayant posé des mines là aussi.
Il fallut revenir sur ses pas avec les premiers blessés transportés et par un froid terrible. Il fallait une décision!
Mr Kohler, le Maire du Ménil sachant pouvoir compter sur ses gens, réquisitionna schlittes et gars solides et dévoués, capables d'assurer la rude tâche. Celle-ci demanda 4 jours et le vendredi 17 novembre, le dernier convoi, parmi lequel se trouvait l'Abbé Krener, vicaire du Thillot, qui en ces jours se dépensa sans compter, arriva dans les lignes françaises au premier poste de Goumiers Marocains.
Finie la Frankreich!. Il n'y avait plus que la France!, l'air pur, la neige immaculée, les soldats souriants et apitoyés offrant à chacun le quart de chocolat brûlant et les biscuits secs.
Puis, en descente raide et presque vertigineuse cette fois, dans 35 centimètres de neige, le trajet jusqu'au Col de Morbieux. Là encore, accueil réconfortant. Les camions militaires chargent leur monde sans arrêt, vers Rupt ou Saulxures, où l'hospice Géhin lui ouvrit largement ses portes et son réfectoire.
Bientôt, après Remiremont, pour les uns la fin du trajet, pour beaucoup, le point de départ vers la Haute Marne ou la plaine des Vosges.
Remiremont sut être à la hauteur d'une tâche énorme car l'exode du Thillot fut suivi de près, par celui de La Bresse, plus tragique encore.
Il nous est agréable de relater que dans les bourgs de la plaine aussi bien qu'en Haute Marne, nos compatriotes reçurent un accueil fraternel, et si ces mois atroces sont inoubliables pour ceux qui les vécurent, ceux-ci garderont aussi le souvenir, non moins vivace, des cœurs qui s'ouvrirent généreusement devant leur détresse.
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