LE THILLOT - SOUVENIR DE CLAUDE THIEBAUTGEORGES
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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LE THILLOT - SOUVENIR DE CLAUDE THIEBAUTGEORGES
En 1939, j'avais 14 ans. Bien qu’en possession de mon certificat d'études, on ne m'avait pas donné la possibilité d'accéder aux cours complémentaires.
Je suis parti servir la messe, tous les matins. Parallèlement, je m'occupais de faire sonner les cloches de l'église.
A la déclaration de guerre en septembre 1939, il m'est revenu la mission de sonner le tocsin pour alerter la population. Le système était déjà électrifié mais à commande manuelle. Pour simplifier, il me fallait presser sur un bouton à chaque tintement de cloche.
Pour la circonstance, mon frère Michel était venu m'aider parce que ce tocsin là a duré plus d'une heure. On ne peut pas dire que ce premier souvenir soit particulièrement joyeux.
Mon père faisait partie d'un contingent d'autochtones volontaires, bien que désignés par la mairie, qui avait des missions de surveillances de points sensibles. Entre autres, il faisait ce qu'on appelait le garde voie, c'est à dire qu'il surveillait, en renfort de l'armée régulière, la voie ferrée et notamment les passages à niveaux.
Un soir, un nommé Regenbach a demandé à mon père de ne pas prendre son tour de garde. On a bien senti qu'il se tramait quelque chose.
Un ordre d'évacuation a été donné et mes parents ont dû abandonner l'hôtel restaurant qu'ils tenaient au centre du Thillot pour partir en direction du Ménil avec les clients et les enfants.
Nous nous sommes tous retrouvés chez Damas Grosjean qui tenait un café au Pont Charreau au Ménil.
Le soir même, la poudrière du Thillot sautait. (Nuit du 19 au 20 juin- Ndr ).
Le lendemain matin, nous sommes redescendus en curieux au Thillot pour constater les dégâts. Malgré la distance qui séparait notre maison de la gare, nous avons retrouvé des pierres de plus de cent kilos dans notre habitation.
En effet, 40 tonnes de cheddite, c'est à dire de la dynamite, avaient été déposées à l'insu de tous dans la gare du Tacot.
Qui a donné l'ordre de faire exploser ce stock, je l'ignore.
Nous sommes remontés au Ménil le jour même et je me souviens avoir regardé à la Jumelle les troupes allemandes descendre le Col des Croix. Je vois encore les side-cars allemands monter la route des Fenesses, équipés de mitrailleuses sur les paniers.
Du jour au lendemain, la vie a changé dans les familles.
Après cette débâcle, il a fallu d'abord se débarrasser des cadavres de chevaux qui gisaient ça et là. Je me souviens en avoir enterré trois, avec Mr Derivaux, l'inspecteur de l'enregistrement aux Impôts, dans la propriété Boileau à Chaillon. Imaginez les trous qu'il fallait faire! A la pelle et à la pioche, il n'était pas question de pelleteuse à ce moment là !
Pour ma part, j'ai donné ma démission à la paroisse et suis allé chercher du travail. En effet, j'avais encore cinq frères et soeurs qui me suivaient et je ne pouvais rester à la charge complète de mes parents.
J'ai trouvé un emploi à la Tannerie Grosjean. J'étais payé 42 sous de l'heure, ce qui correspondait à 2 francs 10 cts. (environ 35 centimes d'euros – Ndr).
Évidemment, je reversais mon salaire intégralement à mes parents.
En 1942, je venais d'avoir 17 ans, je suis entré à la poste comme facteur auxiliaire.
J'ai appris les tournées avec Charles Vogt et Monsieur Morel, dit « Jean Bibi. ».
Avant ma tournée je prenais le courrier à la poste le matin, avant 06h00 et j'allais le conduire, avec une charrette à bras, au wagon postal à la gare, pour qu'il parte au premier train. Je ramenais à la poste le courrier qui avait été déposé dans la boîte aux lettres de la gare qu'il me fallait trier et je ne commençais ma tournée qu'une fois ces tâches accomplies.
Le soir à 08h30, même manège mais je devais ramener tout le courrier qui arrivait par le train et souvent je faisais le tri jusqu'aux alentours de 23h00.
Je mettais alors à profit ces heures tardives pour me livrer à une activité risquée, mais qui hélas pour moi, ne peut plus être confirmée par personne.
Le soir, lors du tri, je détournais quelques lettres qui étaient destinées à des particuliers mais qui portaient le sceau de l'administration allemande.
Je m'arrangeais pour quitter le bureau de poste vers 22h00, ce qui me donnait une heure avant le couvre feu. Je mettais à profit ce laps de temps pour me rendre chez les destinataires du courrier. Ils ouvraient les lettres à la vapeur, lisaient le contenu et on refermait les enveloppes afin que je puisse les distribuer lors de ma tournée du lendemain, comme si de rien n'était.
Ma démarche permettait alors aux destinataires des courriers de s'organiser, ce qui se traduisait généralement par une « disparition de la circulation » en rejoignant bien souvent le maquis du Peu Haut.
Dans le même ordre d'idée, il m'est arrivé à plusieurs reprises de faire des fausses distributions de courrier. En effet, lorsque j'avais connaissance du retour au Thillot d'un nouveau réfractaire au STO, dans certains secteurs étroitement surveillés par l'occupant, je me procurais auprès de sa famille les derniers courriers du permissionnaire et je les redistribuais à des dates échelonnées et de manières voyantes afin de démontrer à l'ennemi qui épiait que l'intéressé n'était pas présent à cet endroit.
Il m'arrivait également de leur distribuer, avec le courrier des tickets d'alimentation qui m'étaient confiés par Marcel Parmentier le secrétaire général de Mairie ou la secrétaire Cécile Valence.
L'hiver 42-43 a été très rigoureux. Une grosse quantité de neige est tombée ce qui nous a obligés à aller délester les toits qui avaient été fragilisés par l'explosion deux ans et demi plus tôt. Parallèlement, nous devions descendre du toit régulièrement pour déneiger le trottoir et faciliter le passage des piétons. À défaut de quoi nous aurions eu droit aux sermons de l'occupant.
Courant 1944, à partir du mois d'avril, Marcel Parmentier, me confiait des plis qui venaient, je pense, de la préfecture. Je cachais ces plis dans mon guidon de vélo. Je les enfonçais bien au fond et je les ressortais avec un crochet en bois que j'avais confectionné et que je portais toujours sur moi.
En ma qualité de facteur, j'avais un laissez passer, signé par les Allemands, qui me donnait le droit de circuler librement jour et nuit. J'ai toujours gardé ce laissez passer et je peux le montrer.
Je portais ces plis à Mr François Pottecher, le maire de Bussang.
Je ne connais pas la teneur de ces plis, mais connaissant l'implication de ces deux personnes dans la résistance, elle parait évidente.
Évidemment, comme il fallait se montrer extrêmement discret, très peu de personnes ont été mises au courant de mon action au cours de cette période.
Le 05 juin 1944 au soir, il était 22h45, je revenais de Chaillon avec ma mère, où nous étions allés chercher du ravitaillement. Lorsque nous sommes arrivés rue Constant Sarazin, à proximité de la maison Munsch au Thillot, nous avons été arrêtés par les Allemands qui détenaient déjà Pierrot Munsch.
Sur ces entrefaites, François Tourdot a été arrêté également.
Nous nous étions trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
Je me suis retrouvé menotté et attaché au perron de l'escalier de la maison Munsch avec Pierrot Munsch qui était de mon âge et François Tourdot.
Ma mère a été relâchée au bout d'un quart d'heure, mais pas moi.
Plus tard, dans la nuit, nous avons été détachés tous les trois puis conduits au bord de la grande route et attachés à nouveau à la grille du jardin d'été de l'hôtel de mes parents au bord de la grande rue. Je me souviens que, depuis là, je voyais mon père qui faisait les cents pas derrière sa fenêtre et qui se demandait à quelle sauce j'allais être mangé.
Je ne vous parle pas de l'interrogatoire, des coups de crosses ou des matraquages que nous avons subis de façon à nous mettre dans des positions les plus inconfortables possibles, lesquelles annihilaient de notre part toutes intentions de nuire à l'égard de nos trois gardiens, c'est à dire, les bras en croix et les jambes les plus écartées possible.
Un peu plus tard encore, une Citroën traction noire est arrivée, Pierrot Munsch a été détaché et mis de force dans cette voiture qui est partie à toute vitesse.
Dans la foulée, une seconde voiture est arrivée. Mme Munsch, la mère de Pierrot et Mme Matz qui avait un enfant sur les bras, lesquelles étaient tenues en respect sur le trottoir opposé ont également été embarquées. Mme Matz était la femme d'un capitaine des FFI,
Comme j'étais attaché à Pierrot Munsch d'une main, et idem pour François Tourdot, nous nous sommes retrouvés libres de tout mouvement lorsque les Allemands ont embarqué Pierrot .
A ce moment là, nous nous sommes retrouvés tous les deux, tenus en respect par un seul gardien, les autres étant également montés dans la traction.
N'écoutant que mon courage, ou mon inconscience, à un moment propice, j'ai réussi à attraper la matraque télescopique que l'Allemand portait à une jambe et d'un geste vif, je lui ai assené un coup derrière la tête, juste en dessous du casque.
Il s'est effondré, je pense qu'il a perdu connaissance et nous avons profité de cette situation pour disparaître. En réalité nous sommes allés nous réfugier dans la chambre N° 05 de l'hôtel de mes parents. Je sais que nous nous sommes mis au lit tout habillés, au cas où.
Très tôt, le lendemain matin, peut être vers 05h00, le gendarme Marcel Minmeister de la gendarmerie du Thillot est venu frapper à la porte de mes parents. Il avait pour habitude de manger chez nous le midi. J'avais 19 ans, il en avait peut être 22 ou 23.
Il m'a demandé de changer d'habit et de revêtir ma tenue de facteur, celle ci ressemblant fortement à celle des pompiers de l'époque.
Avec lui, je suis allé à la maison Munsch qui brûlait. Avec ce gendarme, je suis entré dans une dépendance de cette habitation, protégé par les pompiers qui s'activaient sur l'incendie en protégeant les alentours.
Nous avions pour mission de retrouver l'argent du maquis qui y était caché.
Après de longues minutes de recherches, nous avons fini par trouver cet argent qui était dissimulé parmi des bidons d'huile.
Nous avons placé cet argent dans un landau, probablement celui de Mme Matz qui se trouvait là. Il y avait plusieurs kilos de billets, je suis incapable de vous donner la somme correspondante.
Aussi discrètement que possible, nous sommes allés déposer ce landau dans la buanderie, chez mes parents.
Le lendemain ou le surlendemain, les gendarmes, dont Marcel Minmeister et peut être Maurice Lallemand, de la brigade du Thillot sont venus récupérer cet argent, vraisemblablement pour le remettre au maquis par la suite.
Courant juillet, j'ai été chargé de rassembler les hommes valides, selon une liste établie par la mairie, pour effectuer des travaux, notamment creuser des tranchées pour l'occupant.
Chaque jour, à l'appel, les ouvriers requis devaient répondre « présent ». En raison de nombreux départs spontanés pour le maquis, les présents répondaient à la place des absents.
Mon devoir était de protéger ces absences, ce qui permettait à la mairie de continuer la délivrance de cartes de ravitaillement.
Le 26 septembre, après une longue trêve, un premier obus est tombé au Thillot, au pied de la Rue St Jean. Le pâtissier Gaston Ziegler et Mme Clément je crois, une commerçante qui se trouvait là, sont décédés, ce qui a mis la ville en émoi. Plusieurs blessés ont été également recensés.
Il s'agissait des prémices de deux longs mois mouvementés mais qui allaient nous conduire vers une libération tant espérée.
Ce jour là, je suis entré ouvertement dans la défense passive et j'ai proposé mes services comme brancardier aux infirmières dépêchées sur place et qui se nommaient mesdemoiselles Charlotte et Françoise Sépulcre. Mr Synese Grosjean qui figurait parmi ces blessés peut encore vous le confirmer.
Fin octobre, j'ai joué le rôle de passeur en guidant jusqu'au Ménil, un bon nombre de mes compatriotes qui voulaient passer les lignes. De la même façon, j'ai orienté un bon nombre d'hommes vers le maquis du Peu haut.
Pour ma part, l'hôtel tenu par mes parents étant devenu le Quartier Général des Allemands, il ne m'était pas possible de disparaître sans attirer l'attention, ce qui explique que je ne suis pas allé au maquis.
Au début de la guerre, la mairie du Thillot avait été incendiée. Elle avait été déplacée provisoirement dans ce que l'on a appelé par la suite l'espace Marcel Parmentier. Par contre les archives qui avaient été récupérées avaient été cachées, plus tard, dans une cave, en dessous des petites arcades. Elles étaient gardées par des volontaires, à tour de rôle.
Je dois préciser aussi que, peut être par précaution, la Kommandantur du Thillot a été déplacée plusieurs fois. Elle s'est trouvée successivement à l'emplacement de la BNP, puis dans la maison Eckert au 51 Grande Rue, puis au château Haffner où ont pris place par la suite les établissements Malima et enfin à l'emplacement de la perception actuelle.
Le 08 novembre 44 à 03h00 du matin, alors que je suis de garde aux Archives, je suis contacté par l'Officier allemand qui commandait la place du Thillot.
Il voulait que je lui communique les archives de la commune et voulait que tous les hommes valides soient rassemblés de lendemain matin à 08h00 devant la Poste.
Je ne lui ai rien communiqué, lui précisant que je n'avais aucune prérogative à la Mairie et que j'allais me renseigner.
Je suis allé voir notre vieux père François, qui était le maire à l'époque.
Devant ce que je venais de lui annoncer, il m'a demandé d'aller en référer à Georges Grosjean, son adjoint qui prendrait les décisions qui s'imposaient.
J'ai dû donc retraverser le Thillot, et me rendre, depuis la Mouline où habitait le maire, aux Tanneries Grosjean où demeurait son adjoint.
Ma mission accomplie, Mr Grosjean me demande d'alerter toutes les maisons jalonnant certaines rues où était peinte une croix de Lorraine et de donner l'ordre d'évacuer le Thillot au plus tôt.
En réalité, ces maisons servaient d'abris collectifs et hébergeaient plusieurs dizaines de personnes. Les capacités d'accueil figuraient en façade.
J'ai dû entrer cette nuit là dans une trentaine de maisons, peut être plus pour donner l'alerte. J'en ai peut être oublié une ou deux aussi, qu'on veuille bien me le pardonner.
C'est ainsi que plus de deux cent personnes ont fui le Thillot cette nuit là et ont pris la direction du Ménil dans le but de rejoindre le bas de la vallée qui était libérée.
En ce qui me concerne, je ne pouvais faire autrement que de fuir également.
Je crois que 13 hommes, qui n'avaient pas voulu ou pu évacuer le Thillot ont été déportés dans les jours qui suivirent.
Le pont de Demrupt étant sauté, nous avons remonté le long du ruisseau sur quelques dizaines de mètres avant de pénétrer dans la propriété du tissage Kohler. Nous débouchions ensuite près d'une petite maison d'ouvriers en bordure de route où deux Allemands étaient en poste.
Vêtu de ma tenue de facteur, avec mon jeune frère Hubert, nous les avons faits prisonniers. Après leur avoir ordonné de déposer leurs armes et leur casque dans le fossé, nous les avons obligés à nous suivre. En montant le sentier qui serpentait dans la forêt du Géhant, nous leur avons même fait porter nos valises afin de nous soulager.
Arrivés à Morbieux, j'ai remis aux soldats Français les deux prisonniers en leur expliquant les conditions de leur interpellation.
Ensuite, après nous être un peu restaurés et réchauffés nous avons pris place bord des camions des Tabors et avons été transportés sur Remiremont. Nous avons été accueillis par le Secours National qui se trouvait dans les locaux du Commissariat de police actuel.
Nous sommes restés là un jour ou deux et, j'ai été évacué sur St Julien, près de Monthureux Sur Saône (88) où mon beau frère était instituteur.
Je me suis engagé dans l'armée au mois de décembre 1944, j'ai passé le conseil de révision mais bien qu'apte au service, je n'ai jamais été appelé sous les drapeaux. Peut être était-ce une astuce de mon père qui avait besoin de mes bras pour l'aider dans les affaires.
Je suis parti servir la messe, tous les matins. Parallèlement, je m'occupais de faire sonner les cloches de l'église.
A la déclaration de guerre en septembre 1939, il m'est revenu la mission de sonner le tocsin pour alerter la population. Le système était déjà électrifié mais à commande manuelle. Pour simplifier, il me fallait presser sur un bouton à chaque tintement de cloche.
Pour la circonstance, mon frère Michel était venu m'aider parce que ce tocsin là a duré plus d'une heure. On ne peut pas dire que ce premier souvenir soit particulièrement joyeux.
Mon père faisait partie d'un contingent d'autochtones volontaires, bien que désignés par la mairie, qui avait des missions de surveillances de points sensibles. Entre autres, il faisait ce qu'on appelait le garde voie, c'est à dire qu'il surveillait, en renfort de l'armée régulière, la voie ferrée et notamment les passages à niveaux.
Un soir, un nommé Regenbach a demandé à mon père de ne pas prendre son tour de garde. On a bien senti qu'il se tramait quelque chose.
Un ordre d'évacuation a été donné et mes parents ont dû abandonner l'hôtel restaurant qu'ils tenaient au centre du Thillot pour partir en direction du Ménil avec les clients et les enfants.
Nous nous sommes tous retrouvés chez Damas Grosjean qui tenait un café au Pont Charreau au Ménil.
Le soir même, la poudrière du Thillot sautait. (Nuit du 19 au 20 juin- Ndr ).
Le lendemain matin, nous sommes redescendus en curieux au Thillot pour constater les dégâts. Malgré la distance qui séparait notre maison de la gare, nous avons retrouvé des pierres de plus de cent kilos dans notre habitation.
En effet, 40 tonnes de cheddite, c'est à dire de la dynamite, avaient été déposées à l'insu de tous dans la gare du Tacot.
Qui a donné l'ordre de faire exploser ce stock, je l'ignore.
Nous sommes remontés au Ménil le jour même et je me souviens avoir regardé à la Jumelle les troupes allemandes descendre le Col des Croix. Je vois encore les side-cars allemands monter la route des Fenesses, équipés de mitrailleuses sur les paniers.
Du jour au lendemain, la vie a changé dans les familles.
Après cette débâcle, il a fallu d'abord se débarrasser des cadavres de chevaux qui gisaient ça et là. Je me souviens en avoir enterré trois, avec Mr Derivaux, l'inspecteur de l'enregistrement aux Impôts, dans la propriété Boileau à Chaillon. Imaginez les trous qu'il fallait faire! A la pelle et à la pioche, il n'était pas question de pelleteuse à ce moment là !
Pour ma part, j'ai donné ma démission à la paroisse et suis allé chercher du travail. En effet, j'avais encore cinq frères et soeurs qui me suivaient et je ne pouvais rester à la charge complète de mes parents.
J'ai trouvé un emploi à la Tannerie Grosjean. J'étais payé 42 sous de l'heure, ce qui correspondait à 2 francs 10 cts. (environ 35 centimes d'euros – Ndr).
Évidemment, je reversais mon salaire intégralement à mes parents.
En 1942, je venais d'avoir 17 ans, je suis entré à la poste comme facteur auxiliaire.
J'ai appris les tournées avec Charles Vogt et Monsieur Morel, dit « Jean Bibi. ».
Avant ma tournée je prenais le courrier à la poste le matin, avant 06h00 et j'allais le conduire, avec une charrette à bras, au wagon postal à la gare, pour qu'il parte au premier train. Je ramenais à la poste le courrier qui avait été déposé dans la boîte aux lettres de la gare qu'il me fallait trier et je ne commençais ma tournée qu'une fois ces tâches accomplies.
Le soir à 08h30, même manège mais je devais ramener tout le courrier qui arrivait par le train et souvent je faisais le tri jusqu'aux alentours de 23h00.
Je mettais alors à profit ces heures tardives pour me livrer à une activité risquée, mais qui hélas pour moi, ne peut plus être confirmée par personne.
Le soir, lors du tri, je détournais quelques lettres qui étaient destinées à des particuliers mais qui portaient le sceau de l'administration allemande.
Je m'arrangeais pour quitter le bureau de poste vers 22h00, ce qui me donnait une heure avant le couvre feu. Je mettais à profit ce laps de temps pour me rendre chez les destinataires du courrier. Ils ouvraient les lettres à la vapeur, lisaient le contenu et on refermait les enveloppes afin que je puisse les distribuer lors de ma tournée du lendemain, comme si de rien n'était.
Ma démarche permettait alors aux destinataires des courriers de s'organiser, ce qui se traduisait généralement par une « disparition de la circulation » en rejoignant bien souvent le maquis du Peu Haut.
Dans le même ordre d'idée, il m'est arrivé à plusieurs reprises de faire des fausses distributions de courrier. En effet, lorsque j'avais connaissance du retour au Thillot d'un nouveau réfractaire au STO, dans certains secteurs étroitement surveillés par l'occupant, je me procurais auprès de sa famille les derniers courriers du permissionnaire et je les redistribuais à des dates échelonnées et de manières voyantes afin de démontrer à l'ennemi qui épiait que l'intéressé n'était pas présent à cet endroit.
Il m'arrivait également de leur distribuer, avec le courrier des tickets d'alimentation qui m'étaient confiés par Marcel Parmentier le secrétaire général de Mairie ou la secrétaire Cécile Valence.
L'hiver 42-43 a été très rigoureux. Une grosse quantité de neige est tombée ce qui nous a obligés à aller délester les toits qui avaient été fragilisés par l'explosion deux ans et demi plus tôt. Parallèlement, nous devions descendre du toit régulièrement pour déneiger le trottoir et faciliter le passage des piétons. À défaut de quoi nous aurions eu droit aux sermons de l'occupant.
Courant 1944, à partir du mois d'avril, Marcel Parmentier, me confiait des plis qui venaient, je pense, de la préfecture. Je cachais ces plis dans mon guidon de vélo. Je les enfonçais bien au fond et je les ressortais avec un crochet en bois que j'avais confectionné et que je portais toujours sur moi.
En ma qualité de facteur, j'avais un laissez passer, signé par les Allemands, qui me donnait le droit de circuler librement jour et nuit. J'ai toujours gardé ce laissez passer et je peux le montrer.
Je portais ces plis à Mr François Pottecher, le maire de Bussang.
Je ne connais pas la teneur de ces plis, mais connaissant l'implication de ces deux personnes dans la résistance, elle parait évidente.
Évidemment, comme il fallait se montrer extrêmement discret, très peu de personnes ont été mises au courant de mon action au cours de cette période.
Le 05 juin 1944 au soir, il était 22h45, je revenais de Chaillon avec ma mère, où nous étions allés chercher du ravitaillement. Lorsque nous sommes arrivés rue Constant Sarazin, à proximité de la maison Munsch au Thillot, nous avons été arrêtés par les Allemands qui détenaient déjà Pierrot Munsch.
Sur ces entrefaites, François Tourdot a été arrêté également.
Nous nous étions trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
Je me suis retrouvé menotté et attaché au perron de l'escalier de la maison Munsch avec Pierrot Munsch qui était de mon âge et François Tourdot.
Ma mère a été relâchée au bout d'un quart d'heure, mais pas moi.
Plus tard, dans la nuit, nous avons été détachés tous les trois puis conduits au bord de la grande route et attachés à nouveau à la grille du jardin d'été de l'hôtel de mes parents au bord de la grande rue. Je me souviens que, depuis là, je voyais mon père qui faisait les cents pas derrière sa fenêtre et qui se demandait à quelle sauce j'allais être mangé.
Je ne vous parle pas de l'interrogatoire, des coups de crosses ou des matraquages que nous avons subis de façon à nous mettre dans des positions les plus inconfortables possibles, lesquelles annihilaient de notre part toutes intentions de nuire à l'égard de nos trois gardiens, c'est à dire, les bras en croix et les jambes les plus écartées possible.
Un peu plus tard encore, une Citroën traction noire est arrivée, Pierrot Munsch a été détaché et mis de force dans cette voiture qui est partie à toute vitesse.
Dans la foulée, une seconde voiture est arrivée. Mme Munsch, la mère de Pierrot et Mme Matz qui avait un enfant sur les bras, lesquelles étaient tenues en respect sur le trottoir opposé ont également été embarquées. Mme Matz était la femme d'un capitaine des FFI,
Comme j'étais attaché à Pierrot Munsch d'une main, et idem pour François Tourdot, nous nous sommes retrouvés libres de tout mouvement lorsque les Allemands ont embarqué Pierrot .
A ce moment là, nous nous sommes retrouvés tous les deux, tenus en respect par un seul gardien, les autres étant également montés dans la traction.
N'écoutant que mon courage, ou mon inconscience, à un moment propice, j'ai réussi à attraper la matraque télescopique que l'Allemand portait à une jambe et d'un geste vif, je lui ai assené un coup derrière la tête, juste en dessous du casque.
Il s'est effondré, je pense qu'il a perdu connaissance et nous avons profité de cette situation pour disparaître. En réalité nous sommes allés nous réfugier dans la chambre N° 05 de l'hôtel de mes parents. Je sais que nous nous sommes mis au lit tout habillés, au cas où.
Très tôt, le lendemain matin, peut être vers 05h00, le gendarme Marcel Minmeister de la gendarmerie du Thillot est venu frapper à la porte de mes parents. Il avait pour habitude de manger chez nous le midi. J'avais 19 ans, il en avait peut être 22 ou 23.
Il m'a demandé de changer d'habit et de revêtir ma tenue de facteur, celle ci ressemblant fortement à celle des pompiers de l'époque.
Avec lui, je suis allé à la maison Munsch qui brûlait. Avec ce gendarme, je suis entré dans une dépendance de cette habitation, protégé par les pompiers qui s'activaient sur l'incendie en protégeant les alentours.
Nous avions pour mission de retrouver l'argent du maquis qui y était caché.
Après de longues minutes de recherches, nous avons fini par trouver cet argent qui était dissimulé parmi des bidons d'huile.
Nous avons placé cet argent dans un landau, probablement celui de Mme Matz qui se trouvait là. Il y avait plusieurs kilos de billets, je suis incapable de vous donner la somme correspondante.
Aussi discrètement que possible, nous sommes allés déposer ce landau dans la buanderie, chez mes parents.
Le lendemain ou le surlendemain, les gendarmes, dont Marcel Minmeister et peut être Maurice Lallemand, de la brigade du Thillot sont venus récupérer cet argent, vraisemblablement pour le remettre au maquis par la suite.
Courant juillet, j'ai été chargé de rassembler les hommes valides, selon une liste établie par la mairie, pour effectuer des travaux, notamment creuser des tranchées pour l'occupant.
Chaque jour, à l'appel, les ouvriers requis devaient répondre « présent ». En raison de nombreux départs spontanés pour le maquis, les présents répondaient à la place des absents.
Mon devoir était de protéger ces absences, ce qui permettait à la mairie de continuer la délivrance de cartes de ravitaillement.
Le 26 septembre, après une longue trêve, un premier obus est tombé au Thillot, au pied de la Rue St Jean. Le pâtissier Gaston Ziegler et Mme Clément je crois, une commerçante qui se trouvait là, sont décédés, ce qui a mis la ville en émoi. Plusieurs blessés ont été également recensés.
Il s'agissait des prémices de deux longs mois mouvementés mais qui allaient nous conduire vers une libération tant espérée.
Ce jour là, je suis entré ouvertement dans la défense passive et j'ai proposé mes services comme brancardier aux infirmières dépêchées sur place et qui se nommaient mesdemoiselles Charlotte et Françoise Sépulcre. Mr Synese Grosjean qui figurait parmi ces blessés peut encore vous le confirmer.
Fin octobre, j'ai joué le rôle de passeur en guidant jusqu'au Ménil, un bon nombre de mes compatriotes qui voulaient passer les lignes. De la même façon, j'ai orienté un bon nombre d'hommes vers le maquis du Peu haut.
Pour ma part, l'hôtel tenu par mes parents étant devenu le Quartier Général des Allemands, il ne m'était pas possible de disparaître sans attirer l'attention, ce qui explique que je ne suis pas allé au maquis.
Au début de la guerre, la mairie du Thillot avait été incendiée. Elle avait été déplacée provisoirement dans ce que l'on a appelé par la suite l'espace Marcel Parmentier. Par contre les archives qui avaient été récupérées avaient été cachées, plus tard, dans une cave, en dessous des petites arcades. Elles étaient gardées par des volontaires, à tour de rôle.
Je dois préciser aussi que, peut être par précaution, la Kommandantur du Thillot a été déplacée plusieurs fois. Elle s'est trouvée successivement à l'emplacement de la BNP, puis dans la maison Eckert au 51 Grande Rue, puis au château Haffner où ont pris place par la suite les établissements Malima et enfin à l'emplacement de la perception actuelle.
Le 08 novembre 44 à 03h00 du matin, alors que je suis de garde aux Archives, je suis contacté par l'Officier allemand qui commandait la place du Thillot.
Il voulait que je lui communique les archives de la commune et voulait que tous les hommes valides soient rassemblés de lendemain matin à 08h00 devant la Poste.
Je ne lui ai rien communiqué, lui précisant que je n'avais aucune prérogative à la Mairie et que j'allais me renseigner.
Je suis allé voir notre vieux père François, qui était le maire à l'époque.
Devant ce que je venais de lui annoncer, il m'a demandé d'aller en référer à Georges Grosjean, son adjoint qui prendrait les décisions qui s'imposaient.
J'ai dû donc retraverser le Thillot, et me rendre, depuis la Mouline où habitait le maire, aux Tanneries Grosjean où demeurait son adjoint.
Ma mission accomplie, Mr Grosjean me demande d'alerter toutes les maisons jalonnant certaines rues où était peinte une croix de Lorraine et de donner l'ordre d'évacuer le Thillot au plus tôt.
En réalité, ces maisons servaient d'abris collectifs et hébergeaient plusieurs dizaines de personnes. Les capacités d'accueil figuraient en façade.
J'ai dû entrer cette nuit là dans une trentaine de maisons, peut être plus pour donner l'alerte. J'en ai peut être oublié une ou deux aussi, qu'on veuille bien me le pardonner.
C'est ainsi que plus de deux cent personnes ont fui le Thillot cette nuit là et ont pris la direction du Ménil dans le but de rejoindre le bas de la vallée qui était libérée.
En ce qui me concerne, je ne pouvais faire autrement que de fuir également.
Je crois que 13 hommes, qui n'avaient pas voulu ou pu évacuer le Thillot ont été déportés dans les jours qui suivirent.
Le pont de Demrupt étant sauté, nous avons remonté le long du ruisseau sur quelques dizaines de mètres avant de pénétrer dans la propriété du tissage Kohler. Nous débouchions ensuite près d'une petite maison d'ouvriers en bordure de route où deux Allemands étaient en poste.
Vêtu de ma tenue de facteur, avec mon jeune frère Hubert, nous les avons faits prisonniers. Après leur avoir ordonné de déposer leurs armes et leur casque dans le fossé, nous les avons obligés à nous suivre. En montant le sentier qui serpentait dans la forêt du Géhant, nous leur avons même fait porter nos valises afin de nous soulager.
Arrivés à Morbieux, j'ai remis aux soldats Français les deux prisonniers en leur expliquant les conditions de leur interpellation.
Ensuite, après nous être un peu restaurés et réchauffés nous avons pris place bord des camions des Tabors et avons été transportés sur Remiremont. Nous avons été accueillis par le Secours National qui se trouvait dans les locaux du Commissariat de police actuel.
Nous sommes restés là un jour ou deux et, j'ai été évacué sur St Julien, près de Monthureux Sur Saône (88) où mon beau frère était instituteur.
Je me suis engagé dans l'armée au mois de décembre 1944, j'ai passé le conseil de révision mais bien qu'apte au service, je n'ai jamais été appelé sous les drapeaux. Peut être était-ce une astuce de mon père qui avait besoin de mes bras pour l'aider dans les affaires.
yves philippe- MODERATEUR
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