LE THILLOT - SOUVENIR DE GENEVIÈVE FRECHIN VVE MAURICE DELEA
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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LE THILLOT - SOUVENIR DE GENEVIÈVE FRECHIN VVE MAURICE DELEA
En 1938, je fréquentais déjà Maurice Déléa. Il est parti à l'armée le 1er septembre 1938, il est resté mobilisé, s'est retrouvé sur la ligne Maginot. Il s'est replié sur les Vosges mais a été fait prisonnier au Donon au mois de juin 1940. Nous devions nous marier le 04 juin, il avait sa permission dans sa poche, mais la guerre en a décidé autrement.
Je suis donc restée chez mes parents à Ramonchamp, près du château Bernard. Ma sœur, Rose se trouvait là aussi avec sa petite gamine, Yolande, puisque son mari, Emile Urlacher était également prisonnier.
Je travaillais chez Fritz-Koéchlin à l'Etat, (SFK jusqu'en 2008 - Ndr). Le directeur, Mr Besançon était très bien. Il m'accordait le droit d'aller m'occuper de mon gamin à 09h00 les matins et à 3 heures les après-midis.
Je suis restée de longs mois dans l'inquiétude, sans avoir aucune nouvelle de mon mari.
Le 1er septembre 1941 Maurice s'est évadé de Dortmund. Il s'était confectionné une boussole avec une plume de porte plume et était parti vers l'Ouest. Il s'est procuré des habits civils, s'est retrouvé en Belgique, puis par le train à Nancy où il a perdu ses papiers.
Un samedi au soir il est venu chez nous, où il n'a passé qu'une nuit avant de s'enfuir vers la zone libre. Il s'est retrouvé à Bourg en Bresse où il est devenu moniteur dans un chantier de jeunesse.
A partir de ce moment-là, j'ai été tiraillée entre l'amour que je portais à mon gamin et celui que j'avais pour mon mari, à tel point que j'ai fait part de mon intention à mes parents de partir retrouver Maurice avec mon gamin sur les bras.
A cette époque-là, je n'étais jamais allée jusqu'à Remiremont et je m'étais mise dans la tête de partir à Bourg en Bresse. Mes parents ne m'ont autorisée à partir qu'à la condition de leur laisser Pierre qui n'avait que deux ans. J'ai donc prévenu Mr Besançon le directeur du tissage qui m'a autorisée à m'absenter.
Le jour du départ, ma belle sœur m'a accompagnée à la gare du Thillot où je devais prendre le car. Quel déchirement de devoir me séparer de mon gamin qu'elle portait sur ses bras, à tel point qu'à la maison ils étaient certains que j'y serais revenue le jour même avant la nuit.
Je savais que Pierre était entre de bonnes mains, ce qui m’a donné le courage de partir à l'aventure. Je suis arrivée à Lure où j'ai dû passer la nuit dans un hôtel qui regorgeait d'Allemands. Autant dire que je n'ai pas dormi de la nuit tellement j'avais peur. Là j'ai pris le train le lendemain, peu réconfortée par deux gendarmes qui m'ont dit que ce n'était pas prudent de passer la ligne sans papier en règle. Ca ne m’a pas empêchée de poursuivre mon chemin.
Je suis arrivée à Besançon où j'ai trouvé un instituteur de Toul qui voulait passer également en zone libre. Il avait un point commun avec moi, il n'avait pas de papier.
Nous avons pris le train ensemble et sommes arrivés à Mouchard dans le Doubs. Nous sommes allés dans un bistrot, où personne ne s'est occupé de nous jusqu'à ce quelqu'un vienne nous tapoter sur l'épaule. C'était un prisonnier évadé, originaire de St Dié, nommé Thiébaut qui faisait le passeur. Il nous a proposé ses services, moyennant finances, évidemment, et nous a dit de nous tenir prêts à partir dans la demi-heure.
S'en sont suivis 18 kilomètres de montée pour traverser une forêt pour nous retrouver à Poligny, en zone libre, non sans avoir été précédemment arrosés par des tirs d'Allemands qui nous avaient repérés. Imaginez un peu ce que peut représenter cette marche avec une valise et un sac à dos chargés de toutes choses, heureusement que le passeur m'a bien aidée en portant ma valise. Je me souviens que parmi les effets que j'emportais se trouvait un lapin cuisiné par ma belle mère pour son fils. J'étais tellement heureuse d'avoir pu passer en zone libre qu'à Poligny, j'ai déballé le lapin.
C'était étrange de nous trouver à quelques dizaines de mètres de soldats allemands qu'on apercevait à travers les arbres.
J'ai passé la nuit à Poligny et le lendemain j'ai retrouvé mon mari. Il restait encore du lapin.
Je suis restée quinze jours à Bourg en Bresse.
(Mentionnons que dans le Jura, la Ligne de démarcation suivait la voie ferrée des Rousses à Champagnole, traversait la forêt entre Arbois et Poligny puis longeait la Loue depuis Chamblay et le Doubs. – Ndr)
Je ne savais pas que pendant ce temps-là des gens bien intentionnés avaient fait courir le bruit sur mon lieu de travail et à la mairie que je ne reviendrais plus à Ramonchamp.
Quinze jours plus tard, j'ai entamé le trajet du retour, j'ai retrouvé l'instituteur de Toul qui revenait lui aussi. Mais pour passer la ligne se sont jointes à nous deux vieilles femmes belges qui avaient au moins quatre vingt ans. Elles venaient de la Côte d'Azur et devaient appartenir à la bourgeoisie. Nous n'étions pas aidées avec elles puisque l'une n'arrêtait pas de bavarder et l'autre avait une jambe raide. Il fallait que le passeur l'aide à chaque fois qu'il fallait descendre un obstacle, et sur 18 kilomètres de descente, il y en avait quelques-uns, forcément.
Comme les deux vieilles n'écoutaient pas les consignes du passeur sur la discrétion, avec l'instituteur, nous avons pris la décision de partir devant, une fois la ligne de démarcation passée.
Nous sommes arrivés à Mouchard au moins une heure avant le trio.
Le lendemain matin nous avons repris le car pour Besançon, là l'instituteur a été longuement contrôlé par les Allemands. Je me souviens que nous avons mangé à Besançon où des poireaux et une tranche de veau nous ont été servis, mais j'étais tellement dans la crainte que je n'ai rien pu manger. Nous avons pris le train et j'ai quitté l'instituteur à Lure où j'ai repris le car. Je ne vous dis pas le bonheur de retrouver mon gamin!
Comme j'étais considérée définitivement partie avec mon mari, j'ai découvert le mois d'après qu'on m'avait supprimé mon allocation militaire. Il a fallu que je me batte pour la toucher à nouveau, beaucoup plus tard.
Le 14 juillet 1942, les Allemands se sont présentés à la maison. Ils avaient le dossier de mon mari, ils le recherchaient depuis son évasion et voulaient des renseignements sur lui. Ils ont interrogé mon gamin qui n'avait pas trois ans tandis que quelqu'un est venu me chercher à l'usine.
Je leur ai donné son adresse en zone libre. Ils ont pris place à bord de leur véhicule mais avant qu'ils ne repartent, l'interprète français qui se trouvait avec eux est revenu me voir et m'a dit: «' Ne vous inquiétez pas, ils n'iront pas le rechercher en zone libre, mais dites lui de ne pas revenir ici ».
Mon mari est quand même revenu plusieurs fois, en douce. Un jour il a été contrôlé sur la ligne de démarcation, il a présenté sa fausse carte d'identité. Celle-ci lui avait été faite par Cécile Valence, secrétaire à la mairie du Thillot, laquelle avait piétiné le document pour lui donner un ton vieilli. Lors du contrôle les soldats lui ont fait quelques difficultés jugeant cette carte fausse, mais ils l'ont tout de même laissé passer.
Mon mari est resté en zone libre jusqu'à ce que les Allemands envahissent la totalité du pays. Il est revenu en 1943 au Thillot où nous nous sommes mis en ménage.
Il a travaillé comme maçon avec son père mais n'avait plus de papier donc plus de carte d'alimentation. Il a travaillé aussi pour le maquis. Un soir André Laurent est venu porter un message à mon mari. Ils sont partis ensemble au moment où les Allemands faisaient une relève.
Depuis ma fenêtre je les ai vus se faire mettre en joue par trois soldats, j'ai bien cru qu'ils allaient y passer. Il m'en a donné du souci mon mari avec sa résistance. Lorsque je parlais de mes craintes à ce sujet, mon beau père qui avait fait 14 et qui avait était résistant lui aussi me répondait: « Avec des femmes comme vous, la guerre ne sera jamais finie », ce qui n'était pas pour me rassurer.
Vous savez, la vie d'une femme de prisonnier ou de femme de prisonnier évadé n'est pas facile à vivre. Chaque jour vous vous attendiez à voir arriver une mauvaise nouvelle. A force de connaître celles qui arrivaient à vos connaissances, vous craigniez à chaque instant que la prochaine serait pour vous.
J'ai continué à aller travailler à Ramonchamp, j'emmenais mon gamin avec moi pour le laisser en pension là-bas. Sur le trajet, je lui parlais tout le temps pour me rassurer, comme si à son âge il pouvait me protéger. Vous savez, à cette époque là, les rues n'étaient pas éclairées comme maintenant.
Lorsque le pont de la Courbe a été bombardé en 44, nous avons eu de gros dégâts dans notre logement et notre ménage alors nous sommes allés habiter chez mes beaux parents, Rue du Tramway, près du quartier de la gare au Thillot (Rue des libérateurs maintenant - Ndr).
C'est là que nous avons connu la vie dans les caves. Comme si nos conditions de vie ne suffisaient pas, les Allemands nous obligeaient à laisser les portes ouvertes. A chaque fois que je croisais un Allemand, j'avais peur qu'il ne coupe le bras droit à mon gamin. La rumeur des anciens disait que les Allemands faisaient ça pour ne pas qu'ils deviennent soldats. Cette rumeur était tellement ancrée dans les mœurs que nous, parents on y croyait.
On s'éclairait grâce à une turbine que le beau père avait installée puisqu'un petit ruisseau passait près de chez eux.
Mon beau père, qui avait la hantise des bombardements, puisqu'il les avait subis lors de la guerre précédente, avait aménagé un plancher dans le tunnel du ruisseau qui passait près de chez lui.
Malheureusement, un bombardement a touché la digue de l'étang Lambert, à « La Pecherotte ». Toute l'eau s'était répandue en partie sur le Thillot et sur Ramonchamp, occasionnant des dégâts impressionnants et emportant l'ouvrage qui avait été créé dans le tunnel.
Comme la vie au Thillot commençait à ne plus être supportable, nous avons évacué le 08 novembre. Avant de partir, mon beau père avait fait un trou à l'intérieur même de son garage où on avait caché le peu de nourriture qu'on avait pu économiser, du sucre du savon, du café et des pâtes, ainsi que les roues de sa moto pour ne pas qu'on la vole, et la TSF. Le but étant de retrouver le tout à notre retour.
Nous sommes partis, avec les voisins Gueschwindenhammer, par le Ménil puis Morbieux alors que la neige se transformait en gadoue, le tout sous les bombardements. Nous avons appris à la cabane des Italiens que le gendarme Minmeister venait d'être tué quelques jours plus tôt. Les Tabors ont mis mon gamin sur un de leurs mulets et ensemble avons pris la direction de Morbieux.
Des camions nous ont pris en compte et nous ont conduits à la Sécurité Militaire à Remiremont où nous avons retrouvé Pierrot Grisvard du Thillot. On a couché sur la paille puis dans les jours qui ont suivi, nous sommes remontés à pied jusqu'à Rémanvillers où habitait mon frère. Là j'ai appris que mes parents se trouvaient à la colline de Grandrupt, chez les Andreux. Comme je ne pouvais pas rester chez mon frère, je suis allée à Grandrupt et ai trouvé refuge durant quinze jours à la scierie Montémont.
De là, je me souviens qu'on montait au Col du Ramné d'où on apercevait les lueurs rouges de la Bresse qui brûlait.
Lorsqu'on a su que le Thillot était libéré, mon mari est allé voir en reconnaissance avec Yvan, mon frère. Lorsqu'ils sont arrivés chez ses parents, ils ont constaté qu'un lapin mijotait encore dans une marmite et que d'autres gambadaient dans la chambre à coucher de mes beaux parents.
Nous sommes donc revenus au Thillot dès que nous avons pu. Hélas la réserve de nourriture que nous espérions retrouver avait été submergée par l'eau qui avait rempli la cache. Le sucre avait fondu et le savon avait contaminé le reste des aliments. Seules les roues de moto ont été réutilisées et la TSF que mon beau père s'est empressé d'aller faire réparer.
Je suis donc restée chez mes parents à Ramonchamp, près du château Bernard. Ma sœur, Rose se trouvait là aussi avec sa petite gamine, Yolande, puisque son mari, Emile Urlacher était également prisonnier.
Je travaillais chez Fritz-Koéchlin à l'Etat, (SFK jusqu'en 2008 - Ndr). Le directeur, Mr Besançon était très bien. Il m'accordait le droit d'aller m'occuper de mon gamin à 09h00 les matins et à 3 heures les après-midis.
Je suis restée de longs mois dans l'inquiétude, sans avoir aucune nouvelle de mon mari.
Le 1er septembre 1941 Maurice s'est évadé de Dortmund. Il s'était confectionné une boussole avec une plume de porte plume et était parti vers l'Ouest. Il s'est procuré des habits civils, s'est retrouvé en Belgique, puis par le train à Nancy où il a perdu ses papiers.
Un samedi au soir il est venu chez nous, où il n'a passé qu'une nuit avant de s'enfuir vers la zone libre. Il s'est retrouvé à Bourg en Bresse où il est devenu moniteur dans un chantier de jeunesse.
A partir de ce moment-là, j'ai été tiraillée entre l'amour que je portais à mon gamin et celui que j'avais pour mon mari, à tel point que j'ai fait part de mon intention à mes parents de partir retrouver Maurice avec mon gamin sur les bras.
A cette époque-là, je n'étais jamais allée jusqu'à Remiremont et je m'étais mise dans la tête de partir à Bourg en Bresse. Mes parents ne m'ont autorisée à partir qu'à la condition de leur laisser Pierre qui n'avait que deux ans. J'ai donc prévenu Mr Besançon le directeur du tissage qui m'a autorisée à m'absenter.
Le jour du départ, ma belle sœur m'a accompagnée à la gare du Thillot où je devais prendre le car. Quel déchirement de devoir me séparer de mon gamin qu'elle portait sur ses bras, à tel point qu'à la maison ils étaient certains que j'y serais revenue le jour même avant la nuit.
Je savais que Pierre était entre de bonnes mains, ce qui m’a donné le courage de partir à l'aventure. Je suis arrivée à Lure où j'ai dû passer la nuit dans un hôtel qui regorgeait d'Allemands. Autant dire que je n'ai pas dormi de la nuit tellement j'avais peur. Là j'ai pris le train le lendemain, peu réconfortée par deux gendarmes qui m'ont dit que ce n'était pas prudent de passer la ligne sans papier en règle. Ca ne m’a pas empêchée de poursuivre mon chemin.
Je suis arrivée à Besançon où j'ai trouvé un instituteur de Toul qui voulait passer également en zone libre. Il avait un point commun avec moi, il n'avait pas de papier.
Nous avons pris le train ensemble et sommes arrivés à Mouchard dans le Doubs. Nous sommes allés dans un bistrot, où personne ne s'est occupé de nous jusqu'à ce quelqu'un vienne nous tapoter sur l'épaule. C'était un prisonnier évadé, originaire de St Dié, nommé Thiébaut qui faisait le passeur. Il nous a proposé ses services, moyennant finances, évidemment, et nous a dit de nous tenir prêts à partir dans la demi-heure.
S'en sont suivis 18 kilomètres de montée pour traverser une forêt pour nous retrouver à Poligny, en zone libre, non sans avoir été précédemment arrosés par des tirs d'Allemands qui nous avaient repérés. Imaginez un peu ce que peut représenter cette marche avec une valise et un sac à dos chargés de toutes choses, heureusement que le passeur m'a bien aidée en portant ma valise. Je me souviens que parmi les effets que j'emportais se trouvait un lapin cuisiné par ma belle mère pour son fils. J'étais tellement heureuse d'avoir pu passer en zone libre qu'à Poligny, j'ai déballé le lapin.
C'était étrange de nous trouver à quelques dizaines de mètres de soldats allemands qu'on apercevait à travers les arbres.
J'ai passé la nuit à Poligny et le lendemain j'ai retrouvé mon mari. Il restait encore du lapin.
Je suis restée quinze jours à Bourg en Bresse.
(Mentionnons que dans le Jura, la Ligne de démarcation suivait la voie ferrée des Rousses à Champagnole, traversait la forêt entre Arbois et Poligny puis longeait la Loue depuis Chamblay et le Doubs. – Ndr)
Je ne savais pas que pendant ce temps-là des gens bien intentionnés avaient fait courir le bruit sur mon lieu de travail et à la mairie que je ne reviendrais plus à Ramonchamp.
Quinze jours plus tard, j'ai entamé le trajet du retour, j'ai retrouvé l'instituteur de Toul qui revenait lui aussi. Mais pour passer la ligne se sont jointes à nous deux vieilles femmes belges qui avaient au moins quatre vingt ans. Elles venaient de la Côte d'Azur et devaient appartenir à la bourgeoisie. Nous n'étions pas aidées avec elles puisque l'une n'arrêtait pas de bavarder et l'autre avait une jambe raide. Il fallait que le passeur l'aide à chaque fois qu'il fallait descendre un obstacle, et sur 18 kilomètres de descente, il y en avait quelques-uns, forcément.
Comme les deux vieilles n'écoutaient pas les consignes du passeur sur la discrétion, avec l'instituteur, nous avons pris la décision de partir devant, une fois la ligne de démarcation passée.
Nous sommes arrivés à Mouchard au moins une heure avant le trio.
Le lendemain matin nous avons repris le car pour Besançon, là l'instituteur a été longuement contrôlé par les Allemands. Je me souviens que nous avons mangé à Besançon où des poireaux et une tranche de veau nous ont été servis, mais j'étais tellement dans la crainte que je n'ai rien pu manger. Nous avons pris le train et j'ai quitté l'instituteur à Lure où j'ai repris le car. Je ne vous dis pas le bonheur de retrouver mon gamin!
Comme j'étais considérée définitivement partie avec mon mari, j'ai découvert le mois d'après qu'on m'avait supprimé mon allocation militaire. Il a fallu que je me batte pour la toucher à nouveau, beaucoup plus tard.
Le 14 juillet 1942, les Allemands se sont présentés à la maison. Ils avaient le dossier de mon mari, ils le recherchaient depuis son évasion et voulaient des renseignements sur lui. Ils ont interrogé mon gamin qui n'avait pas trois ans tandis que quelqu'un est venu me chercher à l'usine.
Je leur ai donné son adresse en zone libre. Ils ont pris place à bord de leur véhicule mais avant qu'ils ne repartent, l'interprète français qui se trouvait avec eux est revenu me voir et m'a dit: «' Ne vous inquiétez pas, ils n'iront pas le rechercher en zone libre, mais dites lui de ne pas revenir ici ».
Mon mari est quand même revenu plusieurs fois, en douce. Un jour il a été contrôlé sur la ligne de démarcation, il a présenté sa fausse carte d'identité. Celle-ci lui avait été faite par Cécile Valence, secrétaire à la mairie du Thillot, laquelle avait piétiné le document pour lui donner un ton vieilli. Lors du contrôle les soldats lui ont fait quelques difficultés jugeant cette carte fausse, mais ils l'ont tout de même laissé passer.
Mon mari est resté en zone libre jusqu'à ce que les Allemands envahissent la totalité du pays. Il est revenu en 1943 au Thillot où nous nous sommes mis en ménage.
Il a travaillé comme maçon avec son père mais n'avait plus de papier donc plus de carte d'alimentation. Il a travaillé aussi pour le maquis. Un soir André Laurent est venu porter un message à mon mari. Ils sont partis ensemble au moment où les Allemands faisaient une relève.
Depuis ma fenêtre je les ai vus se faire mettre en joue par trois soldats, j'ai bien cru qu'ils allaient y passer. Il m'en a donné du souci mon mari avec sa résistance. Lorsque je parlais de mes craintes à ce sujet, mon beau père qui avait fait 14 et qui avait était résistant lui aussi me répondait: « Avec des femmes comme vous, la guerre ne sera jamais finie », ce qui n'était pas pour me rassurer.
Vous savez, la vie d'une femme de prisonnier ou de femme de prisonnier évadé n'est pas facile à vivre. Chaque jour vous vous attendiez à voir arriver une mauvaise nouvelle. A force de connaître celles qui arrivaient à vos connaissances, vous craigniez à chaque instant que la prochaine serait pour vous.
J'ai continué à aller travailler à Ramonchamp, j'emmenais mon gamin avec moi pour le laisser en pension là-bas. Sur le trajet, je lui parlais tout le temps pour me rassurer, comme si à son âge il pouvait me protéger. Vous savez, à cette époque là, les rues n'étaient pas éclairées comme maintenant.
Lorsque le pont de la Courbe a été bombardé en 44, nous avons eu de gros dégâts dans notre logement et notre ménage alors nous sommes allés habiter chez mes beaux parents, Rue du Tramway, près du quartier de la gare au Thillot (Rue des libérateurs maintenant - Ndr).
C'est là que nous avons connu la vie dans les caves. Comme si nos conditions de vie ne suffisaient pas, les Allemands nous obligeaient à laisser les portes ouvertes. A chaque fois que je croisais un Allemand, j'avais peur qu'il ne coupe le bras droit à mon gamin. La rumeur des anciens disait que les Allemands faisaient ça pour ne pas qu'ils deviennent soldats. Cette rumeur était tellement ancrée dans les mœurs que nous, parents on y croyait.
On s'éclairait grâce à une turbine que le beau père avait installée puisqu'un petit ruisseau passait près de chez eux.
Mon beau père, qui avait la hantise des bombardements, puisqu'il les avait subis lors de la guerre précédente, avait aménagé un plancher dans le tunnel du ruisseau qui passait près de chez lui.
Malheureusement, un bombardement a touché la digue de l'étang Lambert, à « La Pecherotte ». Toute l'eau s'était répandue en partie sur le Thillot et sur Ramonchamp, occasionnant des dégâts impressionnants et emportant l'ouvrage qui avait été créé dans le tunnel.
Comme la vie au Thillot commençait à ne plus être supportable, nous avons évacué le 08 novembre. Avant de partir, mon beau père avait fait un trou à l'intérieur même de son garage où on avait caché le peu de nourriture qu'on avait pu économiser, du sucre du savon, du café et des pâtes, ainsi que les roues de sa moto pour ne pas qu'on la vole, et la TSF. Le but étant de retrouver le tout à notre retour.
Nous sommes partis, avec les voisins Gueschwindenhammer, par le Ménil puis Morbieux alors que la neige se transformait en gadoue, le tout sous les bombardements. Nous avons appris à la cabane des Italiens que le gendarme Minmeister venait d'être tué quelques jours plus tôt. Les Tabors ont mis mon gamin sur un de leurs mulets et ensemble avons pris la direction de Morbieux.
Des camions nous ont pris en compte et nous ont conduits à la Sécurité Militaire à Remiremont où nous avons retrouvé Pierrot Grisvard du Thillot. On a couché sur la paille puis dans les jours qui ont suivi, nous sommes remontés à pied jusqu'à Rémanvillers où habitait mon frère. Là j'ai appris que mes parents se trouvaient à la colline de Grandrupt, chez les Andreux. Comme je ne pouvais pas rester chez mon frère, je suis allée à Grandrupt et ai trouvé refuge durant quinze jours à la scierie Montémont.
De là, je me souviens qu'on montait au Col du Ramné d'où on apercevait les lueurs rouges de la Bresse qui brûlait.
Lorsqu'on a su que le Thillot était libéré, mon mari est allé voir en reconnaissance avec Yvan, mon frère. Lorsqu'ils sont arrivés chez ses parents, ils ont constaté qu'un lapin mijotait encore dans une marmite et que d'autres gambadaient dans la chambre à coucher de mes beaux parents.
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yves philippe- MODERATEUR
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Ville : le Ménil
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Points : 2755
Date d'inscription : 28/12/2010
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