BUSSANG - SOUVENIR D’AIMÉ COLNEL
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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BUSSANG - SOUVENIR D’AIMÉ COLNEL
J'avais 15 ans en 1940, nous demeurions au Quartier, à Bussang.
A cet endroit se trouvait toujours le cantonnement militaire de 1914. Des soldats se trouvaient là et le grand bâtiment qui servait de dépôt à l'entreprise Pottecher avait été transformé en grosse écurie où étaient rassemblés les mulets.
Nous étions jeunes et aimions aller nous frotter aux bidasses, par curiosité.
Lorsque les Allemands ont approché des frontières vosgiennes, mon père, qui avait fait 14, a bien senti que la proximité de notre maison par rapport au cantonnement des soldats français présentait un danger.
Les soldats français on commencé à faire des trous un peu partout pour organiser la défense et une grosse mitrailleuse a été placée sur la butte au dessus de chez nous.
Les points stratégiques étant bombardés en premier, mon père a pris la décision de déplacer toute la famille et nous sommes allés quelques jours chez un oncle à ma mère qui demeurait à la Colline de Fresse.
Nous étions chez mon oncle, abrités dans le grenier de sa ferme lorsque les Allemands sont venus voir si nous n'étions pas de « dangereux terroristes ».
Comme les anciens de 14 nous avaient dit que les Boches coupaient les mains des garçons, je peux vous dire qu'on ne faisait pas les malins.
Au bout de quelques jours, la situation étant redevenue stable, nous sommes redescendus chez nous à Bussang.
Nous avons constaté que les magasins situés sur la place du village avaient été incendiés, entre autres, le café « Chez Zélie » à côté de l'église, le commerce du photographe Regenbach ou le magasin de meubles Brunold.
Ces bâtiments sont restés tels quels durant la durée de la guerre.
Avec l'occupation, la nourriture a commencé à manquer, les tickets et cartes d'alimentations ont été mis en place et pour nos parents, savoir ce qu'on allait avoir dans nos assiettes était plus préoccupant que la présence de l'occupant lui même.
Certains ne comprenaient pas que le fait qu'on soit onze à la maison nous donne droit à des volumes plus importants de nourriture que les leurs alors qu'ils n'étaient que deux ou trois. Notre part individuelle n'était, en fin de compte, pas plus grosse que la leur.
Lorsque les gens n'ont rien pour survivre, il est normal qu'ils regardent d'un peu plus près dans l'assiette du voisin.
Mais ces moments pénibles s'ajoutaient encore aux difficultés quotidiennes de la vie. En plus de la présence de l'occupant venaient s'ajouter ces tiraillements entre gens, qui s'entendaient pourtant bien jusqu'alors, tout ça, quelquefois, pour un malheureux bout de pain.
Dans le même temps, les entreprises ont réduit leur activité et autant d'ouvriers se sont retrouvés sans emploi.
Fin 1941, le maire et le curé du village se sont alors occupés de placer des jeunes dans des grosses fermes de la plaine. C'était autant de bouches qu'il n'y avait plus à nourrir sur Bussang et autant de soucis en moins pour nos parents qui en avaient déjà bien assez.
Je me suis retrouvé dans une grosse exploitation agricole à Montigny le Roi, en Haute Marne.
D'autres jeunes de Bussang ont été placés comme moi dans des fermes de ce secteur, comme René Eckmann, Joseph Lamblé, Louis Albert, Louis Rey, Gilbert Didierlaurent.
Le dimanche seulement, on se retrouvait entre nous.
Cette situation a duré deux ans jusqu'à ce que je décide de revenir à Bussang. Je pensais retrouver un travail au village, mais les emplois étant laissés aux plus nécessiteux, j'ai dû me résoudre à aller rechercher du travail ailleurs.
Je suis allé en Haute Saône où j'ai travaillé successivement dans une ferme de Corravillers puis dans une autre à côté du Bois Geoffroy, sur les dessus de Raddon, chez Paul Brouillard.
Je me souviens que le jour où je suis allé dans cette seconde ferme, j'ai été contrôlé par une bande de jeunes qui m'ont demandé mes papiers et où j'allais. Ils étaient cinq ou six, habillés en civil. Ils ont fouillé ma valise, puis m'ont laissé repartir. Je ne savais pas qu'il s'agissait de jeunes maquisards.
Le lendemain, alors que j'étais embauché dans cette ferme, je vois ces jeunes venir s'y ravitailler. Ils ont tenté de me persuader qu'il fallait que je parte avec eux, mais j'ai refusé.
Ils étaient simplement armés d'un malheureux révolver, et se tenaient dans ce qu'ils considéraient comme être leur maquis lequel était implanté dans la forêt, à proximité.
Au bout de quelques semaines, alors que je me trouvais dans les champs, avec Mr Brouillard, à proximité de cette forêt, on aperçoit des camions allemands qui se postent à la lisière du bois. On remarque les Allemands qui encerclent le bois et pénètrent dans cette forêt.
Au bout de quelques minutes, nous avons entendu des coups de feu et les Boches sont repartis.
Le lendemain, avec le paysan, nous sommes allés voir ce qu'il s'y était passé. Nous avons découvert les corps de quatre jeunes qui avaient été abattus dans la cabane où ils se tenaient. Un cinquième a été liquidé à la lisière du bois alors qu'il revenait au maquis.
Il s'agissait des jeunes qui m'avaient contrôlé et qui avaient tenté de m'enrôler avec eux. J'avais donc bien fait de ne pas y aller.
Dès que j'ai su que Bussang était libéré, je suis revenu chez moi.
Quelque temps plus tard, avec Georges Pierrel, Pierre et Louis Papa, nous avons décidé de nous engager. De toute façon, il fallait bien qu'on fasse notre service militaire, d'une façon ou d'une autre.
Je suis allé à Vesoul et le 16 février 1945, je me suis retrouvé dans l'infanterie. Après une semaine de classe près de la frontière suisse je suis incorporé dans le 9ème D.I.C ( Division d'Infanterie Coloniale ), auprès du 2ème Régiment d'Artillerie Coloniale Marocain.
Nous avons touché des tenues et un paquetage, à l'américaine. Cet équipement n'avait vraiment rien à voir avec celui qui équipait les Français quatre ans plus tôt, c'était de l'eau et du vin.
Nous sommes partis sur l'Alsace et avons rejoint le front au niveau de la forêt de la Hart. Toutefois, comme j'étais dans l'artillerie, je n'étais pas au contact, mais plutôt à l'arrière du front. Nous étions équipés de canons de 150 et tirions à 15 kilomètres.
Nous sommes passés par Colmar, Erstein, Strasbourg, Schiltigheim, Bisheim.
Nous avons poursuivi en Allemagne sur Mannheim, avons traversé le Rhin sur un pont bateau et sommes redescendus sur Baden Baden, puis Fribourg.
Cette ville était en feu lorsque nous l'avons traversée.
Comme nous passions après l'infanterie, on pouvait constater les dégâts de la guerre avec ces champs de ruines jalonnés de cadavres.
Les Allemands ont connu en 45, et peut être même de manière plus violente, ce qu'il s'était passé chez nous en 40, avec le même exode de la population et ses soldats qui fuyaient l'occupant. Nous avons poursuivi la descente pour nous retrouver au final au niveau de Pfastatt.
L'armistice a été signé et nous sommes devenus une armée d'occupation.
J'ai défilé à Constance et à Tuttlingen devant le maréchal De Lattre de Tassigny et le Sultan du Maroc.
Comme mon régiment était en attente pour partir sur l'Indochine et que je ne m'étais engagé que pour la durée de la guerre et non pour trois ans, j'ai été reversé au 32ème Régiment d'Artillerie le 27 juillet 1945 puis au 65ème Régiment d'Artillerie d'Afrique le 16 février 1946.
J'ai été libéré de mes obligations militaires à Lunéville le 26 mai 1946.
Pour conclure, je dirais que de 1940 à 1944, ce fut quatre ans où nous avons passé notre temps à tenter de continuer d'exister chaque jour, alors que normalement nous aurions dû mordre la vie à pleines dents.
Combien de jeunes ont endeuillé leur famille à un âge où a le droit de tout faire, sauf celui de mourir.
A cet endroit se trouvait toujours le cantonnement militaire de 1914. Des soldats se trouvaient là et le grand bâtiment qui servait de dépôt à l'entreprise Pottecher avait été transformé en grosse écurie où étaient rassemblés les mulets.
Nous étions jeunes et aimions aller nous frotter aux bidasses, par curiosité.
Lorsque les Allemands ont approché des frontières vosgiennes, mon père, qui avait fait 14, a bien senti que la proximité de notre maison par rapport au cantonnement des soldats français présentait un danger.
Les soldats français on commencé à faire des trous un peu partout pour organiser la défense et une grosse mitrailleuse a été placée sur la butte au dessus de chez nous.
Les points stratégiques étant bombardés en premier, mon père a pris la décision de déplacer toute la famille et nous sommes allés quelques jours chez un oncle à ma mère qui demeurait à la Colline de Fresse.
Nous étions chez mon oncle, abrités dans le grenier de sa ferme lorsque les Allemands sont venus voir si nous n'étions pas de « dangereux terroristes ».
Comme les anciens de 14 nous avaient dit que les Boches coupaient les mains des garçons, je peux vous dire qu'on ne faisait pas les malins.
Au bout de quelques jours, la situation étant redevenue stable, nous sommes redescendus chez nous à Bussang.
Nous avons constaté que les magasins situés sur la place du village avaient été incendiés, entre autres, le café « Chez Zélie » à côté de l'église, le commerce du photographe Regenbach ou le magasin de meubles Brunold.
Ces bâtiments sont restés tels quels durant la durée de la guerre.
Avec l'occupation, la nourriture a commencé à manquer, les tickets et cartes d'alimentations ont été mis en place et pour nos parents, savoir ce qu'on allait avoir dans nos assiettes était plus préoccupant que la présence de l'occupant lui même.
Certains ne comprenaient pas que le fait qu'on soit onze à la maison nous donne droit à des volumes plus importants de nourriture que les leurs alors qu'ils n'étaient que deux ou trois. Notre part individuelle n'était, en fin de compte, pas plus grosse que la leur.
Lorsque les gens n'ont rien pour survivre, il est normal qu'ils regardent d'un peu plus près dans l'assiette du voisin.
Mais ces moments pénibles s'ajoutaient encore aux difficultés quotidiennes de la vie. En plus de la présence de l'occupant venaient s'ajouter ces tiraillements entre gens, qui s'entendaient pourtant bien jusqu'alors, tout ça, quelquefois, pour un malheureux bout de pain.
Dans le même temps, les entreprises ont réduit leur activité et autant d'ouvriers se sont retrouvés sans emploi.
Fin 1941, le maire et le curé du village se sont alors occupés de placer des jeunes dans des grosses fermes de la plaine. C'était autant de bouches qu'il n'y avait plus à nourrir sur Bussang et autant de soucis en moins pour nos parents qui en avaient déjà bien assez.
Je me suis retrouvé dans une grosse exploitation agricole à Montigny le Roi, en Haute Marne.
D'autres jeunes de Bussang ont été placés comme moi dans des fermes de ce secteur, comme René Eckmann, Joseph Lamblé, Louis Albert, Louis Rey, Gilbert Didierlaurent.
Le dimanche seulement, on se retrouvait entre nous.
Cette situation a duré deux ans jusqu'à ce que je décide de revenir à Bussang. Je pensais retrouver un travail au village, mais les emplois étant laissés aux plus nécessiteux, j'ai dû me résoudre à aller rechercher du travail ailleurs.
Je suis allé en Haute Saône où j'ai travaillé successivement dans une ferme de Corravillers puis dans une autre à côté du Bois Geoffroy, sur les dessus de Raddon, chez Paul Brouillard.
Je me souviens que le jour où je suis allé dans cette seconde ferme, j'ai été contrôlé par une bande de jeunes qui m'ont demandé mes papiers et où j'allais. Ils étaient cinq ou six, habillés en civil. Ils ont fouillé ma valise, puis m'ont laissé repartir. Je ne savais pas qu'il s'agissait de jeunes maquisards.
Le lendemain, alors que j'étais embauché dans cette ferme, je vois ces jeunes venir s'y ravitailler. Ils ont tenté de me persuader qu'il fallait que je parte avec eux, mais j'ai refusé.
Ils étaient simplement armés d'un malheureux révolver, et se tenaient dans ce qu'ils considéraient comme être leur maquis lequel était implanté dans la forêt, à proximité.
Au bout de quelques semaines, alors que je me trouvais dans les champs, avec Mr Brouillard, à proximité de cette forêt, on aperçoit des camions allemands qui se postent à la lisière du bois. On remarque les Allemands qui encerclent le bois et pénètrent dans cette forêt.
Au bout de quelques minutes, nous avons entendu des coups de feu et les Boches sont repartis.
Le lendemain, avec le paysan, nous sommes allés voir ce qu'il s'y était passé. Nous avons découvert les corps de quatre jeunes qui avaient été abattus dans la cabane où ils se tenaient. Un cinquième a été liquidé à la lisière du bois alors qu'il revenait au maquis.
Il s'agissait des jeunes qui m'avaient contrôlé et qui avaient tenté de m'enrôler avec eux. J'avais donc bien fait de ne pas y aller.
Dès que j'ai su que Bussang était libéré, je suis revenu chez moi.
Quelque temps plus tard, avec Georges Pierrel, Pierre et Louis Papa, nous avons décidé de nous engager. De toute façon, il fallait bien qu'on fasse notre service militaire, d'une façon ou d'une autre.
Je suis allé à Vesoul et le 16 février 1945, je me suis retrouvé dans l'infanterie. Après une semaine de classe près de la frontière suisse je suis incorporé dans le 9ème D.I.C ( Division d'Infanterie Coloniale ), auprès du 2ème Régiment d'Artillerie Coloniale Marocain.
Nous avons touché des tenues et un paquetage, à l'américaine. Cet équipement n'avait vraiment rien à voir avec celui qui équipait les Français quatre ans plus tôt, c'était de l'eau et du vin.
Nous sommes partis sur l'Alsace et avons rejoint le front au niveau de la forêt de la Hart. Toutefois, comme j'étais dans l'artillerie, je n'étais pas au contact, mais plutôt à l'arrière du front. Nous étions équipés de canons de 150 et tirions à 15 kilomètres.
Nous sommes passés par Colmar, Erstein, Strasbourg, Schiltigheim, Bisheim.
Nous avons poursuivi en Allemagne sur Mannheim, avons traversé le Rhin sur un pont bateau et sommes redescendus sur Baden Baden, puis Fribourg.
Cette ville était en feu lorsque nous l'avons traversée.
Comme nous passions après l'infanterie, on pouvait constater les dégâts de la guerre avec ces champs de ruines jalonnés de cadavres.
Les Allemands ont connu en 45, et peut être même de manière plus violente, ce qu'il s'était passé chez nous en 40, avec le même exode de la population et ses soldats qui fuyaient l'occupant. Nous avons poursuivi la descente pour nous retrouver au final au niveau de Pfastatt.
L'armistice a été signé et nous sommes devenus une armée d'occupation.
J'ai défilé à Constance et à Tuttlingen devant le maréchal De Lattre de Tassigny et le Sultan du Maroc.
Comme mon régiment était en attente pour partir sur l'Indochine et que je ne m'étais engagé que pour la durée de la guerre et non pour trois ans, j'ai été reversé au 32ème Régiment d'Artillerie le 27 juillet 1945 puis au 65ème Régiment d'Artillerie d'Afrique le 16 février 1946.
J'ai été libéré de mes obligations militaires à Lunéville le 26 mai 1946.
Pour conclure, je dirais que de 1940 à 1944, ce fut quatre ans où nous avons passé notre temps à tenter de continuer d'exister chaque jour, alors que normalement nous aurions dû mordre la vie à pleines dents.
Combien de jeunes ont endeuillé leur famille à un âge où a le droit de tout faire, sauf celui de mourir.
yves philippe- MODERATEUR
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Date d'inscription : 28/12/2010
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