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BUSSANG - SOUVENIR DE PAULETTE RIBLET VVE GEORGES WELKER

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BUSSANG - SOUVENIR DE PAULETTE RIBLET VVE GEORGES WELKER Empty BUSSANG - SOUVENIR DE PAULETTE RIBLET VVE GEORGES WELKER

Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 21:17

Mon frère est parti au service militaire en 1939, la guerre arrivant, il a été fait prisonnier en 40 à Surgères puis fut versé dans les chantiers de jeunesse à Rumilly en Savoie. J'ai gardé quelques correspondances qu'il nous envoyait de là-bas.

J'étais ce moment-là femme de chambre chez François Pottecher, le maire de la commune.
Papa a été mobilisé à son tour, mais pour quelques jours seulement, en 40, afin de faire le garde voie dans le secteur. A cette époque là, nous demeurions à côté de l'hôtel du tremplin à Bussang.
Mon fiancé, Georges Welker, venait d'être fait prisonnier au Donon en 1940 également, il fut dirigé dans un premier temps sur Strasbourg avant d’être dirigé en Prusse Orientale. Il y a retrouvé Frédéric Pottecher, le chroniqueur, qui avait également été fait prisonnier.
Vous comprendrez aisément que notre moral n'était pas forcément au beau fixe avec tout ça. Beaucoup de femmes et de jeunes filles étaient dans mon cas.
De la guerre j'ai toujours gardé quelques écrits que j'avais couchés sur le papier. Voici ce que j'avais noté dans les premiers jours de l'occupation:
* * * * *
Quelques impressions de guerre:

Le mercredi 12 juin 1940 : Journée triste. L'avance des Allemands est terrible. Ils marchent vers Paris et nos soldats, bien que très courageux, peuvent les arrêter.
Ici à Bussang, petit village vosgien, c'est l'angoisse, nous restons dans l'attente de savoir ce qu'il va se passer. Tous les jours, de nouveaux soldats viennent camper.

Le jeudi 13 juin : C'est la débandade qui commence. Femmes, enfants fuient le long des routes ces ennemis qui n'épargnent rien.
Le 13 juin au soir, des avions allemands passent par vagues de 25. Où vont-ils? Probablement bombarder le Nord où nos pauvres soldats n'en peuvent plus.

Le vendredi 14 juin : La grande tourmente commence. C'est la fièvre au sein de la population. Va-t-on sauver ce qu'il nous reste ou le laisser piétiner par les Allemands ?
Le 14 juin vers 06 heures du soir un ordre arrive à la mairie. Tous les jeunes gens et affectés spéciaux doivent se rendre à Dijon. Hélas, c'est la seule ligne ferroviaire par laquelle on peut encore fuir. Les civils sont invités à fuir aussi, s’ils le peuvent. Madame Pottecher, ma patronne qui a cinq enfants à sauver, n'hésite pas elle aussi à fuir mais laissant son mari dans une grande angoisse. Ce dernier a de grandes responsabilités au pays puisqu'il est le maire de Bussang.
Mes parents et moi nous défendons de partir. A quoi bon ? Fuir sur des routes dangereuses, être bombardés loin de chez soi ! Autant mourir tous ensemble et ne pas abandonner ce que l'on a eu tant de mal à gagner.
Le 14 juin à dix heures du soir, alors qu'il fait grand nuit, pas même une étoile ne brille, Madame est partie avec ses enfants. Mr et Mme Wapler, leurs amis, fuient également, vers La Baule, la tragédie qui allait se passer dans ce calme et paisible village de Bussang. Après leur départ je vais me consoler chez mes parents. Quand les révérai-je? Bientôt j'espère et dans des conditions meilleures.

Le samedi 15 juin : J'ai passé une nuit agitée et je me suis levée à cinq heures pour voir le départ de tous ces soldats français. Il pleut, c'est bien triste à voir. Ils partent arrêter les Allemands, mais hélas il est déjà trop tard. Toute cette journée, des soldats viennent et vont, des civils tentent toujours de fuir. Je vois passer lamentablement tous ces réfugiés vêtus pauvrement, l'air fatigué et anxieux qui étaient venus se protéger à Bussang.
Les jours qui suivent se ressemblent, nous prenons des nouvelles par les soldats qui passent, les lignes électriques étant coupées.

Le mardi 18 juin : Nouvel ordre. Toutes les personnes habitant le centre et sur le bord de la route nationale doivent au plus vite se réfugier dans les hauteurs. Soit disant que les Allemands arrivaient et que certainement, il y aurait de la résistance puisque les soldats avaient préparé des obstacles anti chars, qui malheureusement n'ont servi à rien.
Il nous fallait se décider. Dans l'après midi, nous sommes montés dans une ferme de Lamerey afin d'y mettre quelques petites affaires à l'abri. Ensuite nous sommes redescendus au village, papa et moi, nous n'osions croire ce qu'il se passait. Mme Marie Fremiot qui tenait un restaurant ( l’Hôtel du Tremplin maintenant – Ndr), au centre de Bussang, est montée elle aussi dans une ferme de Larcenaire. Je suis allée la conduire là-haut où sa fille, Mme Daval, la femme du dentiste du Thillot, et son petit garçon nous y attendaient. Il était trop tard pour que je redescende, je suis restée coucher là. Dans la nuit je fus réveillée par un bruit épouvantable. Nous avons su par la suite que les Français dans leur repli avait fait sauter un dépôt de cheddite au Thillot.
Tout allait donc de plus en plus mal, les gens se serraient pour se protéger et se réconforter.
Le village devient désert, plus aucune voix ne l'anime, le danger est omniprésent.

Le jeudi 20 juin : Vers 8 heures du matin, plusieurs compagnies de soldats français sont venues camper dans la forêt. Les écarts de Bussang n'avaient jamais eu tant de monde, les soldats, les réfugiés et les habitants se retrouvant dans les feignes ou sous les bois en attendant la délivrance.
Le soir vers 8 heures, alors que nous montons vers Larcenaire avec Mme Fremiot, nous sommes restées figées de frayeur. Sortant des nuages, un avion sanitaire allemand volait à très basse altitude, rasant les bois où se réfugiaient nos pauvres soldats. De la Rochotte où nous nous trouvions, nous apercevions très bien le pilote. Quelques coups de DCA furent tirés mais hélas sans résultat. Le pilote pouvait alors bien renseigner l'ennemi.

Le vendredi 21 : De nouveaux soldats sont venus camper, accompagnés de leur chef, soit disant commandant de place. Il se disait un vrai soldat et déclarait qu'il tiendrait ferme.
Mr le Maire et Mr Flageolet lui firent comprendre que Bussang n'était composé que de ses habitants et de réfugiés civils et qui valait mieux laisser passer les Allemands que de résister. Le commandant attendit 08 heures du matin pour se rendre à l'avis général mais le lendemain, il trouva bon de faire tout autrement.

Le samedi 22 : A 04 heures du matin, premier avertissement. Un obus, tombé à Larcenaire nous fit savoir que les Allemands étaient tout près de nous. Ils attendaient de pouvoir avancer.
À 06 heures et demie, deux nouveaux obus furent lancés, un au dessus de la ferme Pampy (Parmentier – Ndr) et l'autre derrière une autre ferme Parmentier, ne causant aucun dégât. Le calme revient. A 09 heures, un envoyé allemand est venu, porteur d'un pli à l'attention du Commandant Drapier, lui ordonnant de se rendre à défaut de quoi Bussang sera mis à feu et à sang. Le commandant, trop fier pour s'abaisser devant eux, ne céda pas, bien qu'il savait parfaitement que ce n'était pas les quelques balles qui lui restaient qui allaient sauver Bussang. A 10 heures, nous nous trouvions à la ferme de Mr Chevrier à Lammerey, nous vîmes arriver le Commandant et plusieurs soldats. Il voulait nous faire partir du côté de Sauté mais nous n'avons pas cédé, ce qui était heureux. Les soldats et le commandant se mirent à creuser des tranchées, donnant juste la place à un homme. Il s'y installa avec un téléphone qui le reliait à un autre poste. Quelques instants plus tard, les obus se mirent à siffler. Vers 11 heures, la maison de Mme Vaxelaire, à Sauté, brûla. Le commandant, fier de lui, se retourna vers nous et dit: « C'est splendide la bataille, n'est ce pas mesdemoiselles. Si j'avais 70 tonnes d'explosifs, je les lancerais sur Bussang et ses habitants ». Écœurées d'entendre parler ce fou, nous ne répondîmes pas. Les obus continuèrent de siffler.
Vers une heure et demie de l'après midi, avec papa, nous vîmes, par la fenêtre qui donnait sur la chaume Ghigette, sise entre la croix de Fresse et Larcenaire, des sapins qui se déplaçaient. Nous étions inquiets, ne sachant ce que c'était. Un Allemand s'avançait en direction du Commandant lequel lui tira dessus. Il riposta avant de remonter chercher du renfort. Quelques minutes plus tard, il redescendait, mais pas seul.
Les obus continuaient à pleuvoir et vers trois heures de l'après midi, les premières maisons sur la place du village commençaient à brûler. La maison de Mme Valdenaire, (« Le Grillon » maintenant – Ndr), le café Maillard dit « Chez Zélie », la pâtisserie Arnould, la cordonnerie Arnould, et toute la place étaient en proie aux flammes. Seule, la mairie a été épargnée.

Entre 4 heures et demie et cinq heures et demie, nous n'apercevions plus le centre du village à cause de la fumée et des obus qui continuaient à tomber.
Qu’allait-il rester de notre pauvre village? Nos maisons allaient elles être épargnées. Nous attendions dans l’angoisse, nous demandant comment cela finirait.
Le commandant restait là, rigide, ne voulant toujours pas céder.
Dans la soirée, un homme et deux femmes sont venus sous le plus fort du bombardement le supplier de se rendre. L'homme lui offrit sa poitrine pour sauver les enfants du pays, mais hélas, le commandant, d'un sourire ironique, lui dit qu'il ne s'apitoierait pas sur les pauvres victimes.
L'homme lui dit encore: « Mon commandant, êtes vous sûr de gagner la bataille? ». L’officier lui répondit: « Mon vieux, je ferai mon devoir jusqu'au bout ».
Son devoir n'était-il pas de protéger la population qui se souviendra à jamais de ces tristes heures ?
Enfin à 06 heures du soir, le Commandant cria « Cessez le feu », puis il attendit dans sa tranchée l'heure de se constituer prisonnier.
Le canon ne tonnait plus mais la haine allemande arrivait, armée jusqu'aux dents.
Après avoir visité les fermes des environs où ils firent des prisonniers, les Allemands ôtèrent les casques des soldats français et les envoyant rouler à terre d'un coup de pied. Quel spectacle que de voir nos pauvres soldats français ainsi malmenés après qu'on leur ait cassé leurs fusils. Ils les firent mettre leurs mains sur la tête et prirent la direction du village. Ensuite deux Allemands sont venus chercher le commandant, lui arrachant ses galons.
Nous descendîmes ensuite au village, où les Allemands chantaient, victorieux. La place n'était plus qu'un tas de gravats, seuls quelques murs subsistaient encore. On se souviendra longtemps du commandant Drapier de St Etienne.
* * * *

Il me reste d’autres souvenirs de cette triste période : Une nuit de 1941, les Allemands sont venus chercher Mr Pottecher qui avait refusé de les aider. Ils lui ont fait porter une limonière à bout de bras jusqu'à l'hôtel des Sources. Il était juste vêtu d'une chemise et d'un bas de pyjama. Il est parti pieds nus alors qu'il faisait très froid, le sol était verglacé. Une fois arrivés aux Sources, ils l'ont ligoté, l'ont frappé et bouclé dans un petit cachot placé sous les escaliers de l’Hôtel des Sources, où il a passé la nuit. Ils ont fini par le libérer le lendemain.

Après cette période troublée, les choses ses sont calmées, un semblant de vie a repris. J'ai le souvenir de présence d'Allemands au Théâtre du Peuple, ainsi que dans le château Pottecher situé à côté. L'hôtel des Sources était également réquisitionné
Papa s'est débrouillé pour faire revenir mon frère. Tous les deux, ils allaient ravitailler le maquis du Séchenat et celui du Peut Haut. Papa avait des facilités puisqu'il était voiturier. Je me souviens aussi que papa avait caché un grand fusil dans un placard, derrière des bouteilles. De temps en temps il le sortait et le nettoyait. Nous avions caché notre poste de radio dans une cave extérieure dont l'entrée était dissimulée par des clapiers à lapins. A heures fixes, nous allions écouter Radio Londres. Je me souviens qu'on écoutait les messages codés, je n'y comprenais rien bien sûr, mais papa savait quels mots d'alerte il fallait qu'il entende pour mettre ou non en marche le maquis sur des parachutages à venir. Je me souviens du message codé suivant: « Les cigognes sont arrivées ».

A partir du moment où le débarquement en Normandie a eu lieu, les Allemands ont commencé à devenir mauvais.

Lorsque les alliés sont arrivés, les bombardements ont eu lieu entre les forces en présence. La population qui le pouvait allait se réfugier dans les caves. Tous les gens de notre quartier qui n'avaient pas de bonne cave venaient dans la cave de chez Pottecher, comme les Fremiot avec leur fille Yvonne, Mr Collin le cordonnier et sa femme, les gens de « La Populaire », c'est à dire la coopérative, le boucher Claudel. Quelquefois, lorsque l'eau de la Moselle montait, il fallait évacuer cette cave qui inondait et trouver un autre abri.
Régulièrement, j'envoyais des colis à mon frère et à mon fiancé. Je leur faisais des cakes dans lesquels je dissimulais un petit tube de Cuscuitine. La Cuscuitine était un médicament conditionné en tubes de verre. Dans ces tubes on y laissait des messages qui ne pouvaient pas être écrits dans le courrier ordinaire, à cause de la censure.


Mon frère avait eu la malchance d'être requis pour le STO. Il est revenu en 1944 parce qu'il était très malade. Il avait fait une double pleurésie à Berlin. La croix rouge allemande l'a accompagné jusque Paris où il a été remis à la croix rouge française, laquelle l’a juste mis au train. Ce sont les passagers qui se sont occupés de lui tout au long de son voyage qui le ramenait à Bussang. Il est arrivé chez nous dans un triste état, au point où même le médecin était pessimiste sur ses chances de survie. Nous l’avons même veillé toute la nuit, mais nos attentions à son égard et ceux des Bussenets ont fait qu’il s’en est tiré.

Fin 1944, je me souviens des premiers éclaireurs français qui sont arrivés sur Bussang. Ils sont venus chez Pottecher où je me trouvais. Ils ont inspecté les pièces pour voir si tout était en ordre. Nous leur avions préparé un coup à boire mais le commandant a fait enlever les verres. Il s’agissait des Tabors.

Georges, mon fiancé avait passé un temps de sa captivité dans un stalag et travaillait dans une grosse ferme d’Etat. Là-bas, tous les hommes avaient eux aussi été réquisitionnés pour l'effort de guerre allemand. Il a été délivré par les Russes au mois d'avril mais pour des raisons d'échange de prisonniers entre Russes et Américains, il n'est revenu qu'en septembre 1945. Lui qui était parti au service militaire en 1939, il a donc passé six ans de sa vie loin des siens bien qu'il soit revenu en permission tout de même une seule fois avant en février 1940.
Deux autres prisonniers Bussenets, un nommé Boyaux et un Hans sont revenus au village encore après lui.
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