RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE GISÈLE CHIPOT
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE GISÈLE CHIPOT
J’avais 17 ans à la déclaration de guerre. J’habitais avec mes parents et mon jeune frère Roger en bordure de la place de l’église. Papa et maman étaient coiffeurs, Roger et moi-même étions apprentis dans leur salon. Je n’avais pour ainsi dire jamais quitté Rupt, hormis pour faire un stage ou deux chez d’autres coiffeurs et apprendre de nouvelles techniques de coiffe.
Nous les jeunes et surtout les filles, avions été mis en garde par nos pères sur ce qu’étaient les Allemands. Bien sûr, ils faisaient référence à ceux de la guerre précédente, disaient que c’étaient des bandits, des tueurs, des violeurs.
Les consignes de papa étaient strictes en ce qui me concerne. Interdiction d’être coquette et de mettre du rouge à lèvres, il me fallait même mettre des bas en été. Les filles ont été mises un peu à l’écart de l’occupant pour éviter toute tentation éventuelle et par voie de conséquence tout événement contraire à la décence du moment. Comme j’étais d’un naturel timide à cet âge-là, je n’avais pas à faire d’effort pour obéir.
Je ne saisissais pas tout, je dois dire que, comme la plupart des jeunes filles de mon âge, j’étais totalement ignorante de la vie. Notre voisin, Mr Iergé avait même quitté Rupt pour le Sud Ouest afin que ses filles, qui étaient de mon âge, ne soient pas au contact des Allemands. Il lui restait certainement un souvenir épouvantable de la guerre de 14.
Evidemment lorsque les Allemands sont arrivés sur Rupt, nous avons fui dans la montagne au lieu dit Lampiey où nous avons trouvé refuge dans une grange. Dans notre fuite, j’ai été séparée de mes parents, je suis restée alors avec mon frère et mon grand-père, c’est vous dire que nous avions réellement peur.
Les Allemands avaient tout de même été précédés par des avions italiens qui ont mitraillé la rue de l’église et mis le feu à plusieurs maisons dont celle de mon amie Mme Poirier.
Un ou deux jours plus tard, les choses sont rentrées dans l’ordre et nous avons regagné nos maisons. La nôtre n’avait pas été sinistrée.
Rapidement, nous avons compris que la plupart des Allemands étaient des gens comme nous. Rapidement également, ils se sont présentés dans le salon où papa était bien obligé d’exercer son métier. Je me souviens qu’il n’a pas eu le choix puisque les Allemands lui ont dit « Si vous acceptez, c’est bien, sinon on vous prend votre outil de travail et le ferons nous-mêmes ».
J’ai le souvenir d’un Capitaine allemand qui venait se faire faire les ongles deux fois par semaine. Comme c’est moi qui faisais aussi la manucure, autant dire qu’il venait juste pour se passer le temps.
J’ai eu le plaisir et l’honneur de coiffer aussi Jean Desbordes, l’écrivain et poète, qui revenait tous les ans à Rupt avec sa fiancée pour prendre quelques vacances. Je lui faisais ses frisettes tous les deux jours avec un fer qu’on chauffait à la flamme. C’était étrange, il venait toujours avec un petit singe comme animal de compagnie. A Rupt, il logeait dans la maison qui se trouve à côté de la pharmacie de la Rue de la Dermanville.
Ses parents étaient pharmaciens au village, sur le bord de la route nationale où se trouve toujours une pharmacie à l’heure actuelle. Maman était copine avec Héliette, la sœur de Jean, elles étaient à peu près du même âge. Jean Desbordes était dans la résistance, mais nous ne le savions pas, son amie aussi qui était également pharmacienne. C’est pour des raisons liées à la résistance qu’ils ont été arrêtés puis massacrés par la milice, sur Paris où ils avaient élu résidence. Jean Desbordes et son amie étaient vraiment des gens épatants.
J’ai eu la chance d’être enfant de commerçant, de ce fait nous n’avons manqué de rien, mon père connaissait tous le monde et parvenait à obtenir l’essentiel de nos besoins. Un voisin, Marcel Pierrat était culotté et courageux, il allait chercher la viande en Haute Saône pendant les heures interdites aux déplacements. J’y suis allée aussi, avec papa, on a ramené plusieurs cochons ainsi, je ne peux pas vous dire pourquoi, mais visiblement c’était moins risqué la nuit qu’en plein jour. Nous n’avons pas été malheureux, mais d’un autre côté nous avons pris des risques pour cela. Je pense également que les Allemands savaient mais laissaient faire.
Il m’est arrivé aussi d’apporter de la nourriture aux maquisards qui se trouvaient sur les dessus de Lampiey. Maman remplissait une musette de sucre, de viande et diverses denrées très réglementées, et je portais tout ça dans la montagne. Il s’agissait essentiellement de réfractaires au STO. Je tiens à préciser que sur Rupt, tout le monde coopérait. Un soir, nous avons eu interdiction de sortir et je pense que c’est ce soir-là où le maquis a été attaqué.
J’ai fait partie aussi du groupe de jeune filles qui se sont dévouées comme infirmière improvisée dans la défense passive. Ces cours de secourisme nous étaient dispensés par Marguerite Noel pendant une année. Nous étions fières de nous investir ainsi pour la patrie.
Je me souviens que les derniers Allemands qu’on a vus sont venus nous dire au revoir, ils nous ont même laissé des boîtes de sardines, preuve qu’ils n’étaient pas tous des sauvages.
La nuit où les Américains sont arrivés à Rupt, je me trouvais avec d’autres dans la cave de la cure. M. le Curé Grandhomme m’a même confessée cette nuit-là.
Le lendemain les Américains nous ont laissé deux blessés qu’on a déposés dans notre cave. Parmi eux se trouvait M. Merriot qui était ingénieur textile au Pont de Lette. Il est d’ailleurs mort là de ses blessures. Un officier américain a également dormi chez nous quelques jours. Je m’étais même liée d’amitié avec un soldat américain qui se nommait Jérôme Kern, comme le musicien américain. Malheureusement il a été tué quelque temps plus tard près d’Orbey, en Alsace. Il était originaire du lac Michigan, j’ai longtemps continué à correspondre avec sa famille. Il repose maintenant au cimetière américain du Quéquement, près d’Epinal.
Quelques jours plus tard, ce sont les Tabors qui ont pris la relève
Papa a eu alors l’honneur de coiffer le Prince Reigner de Monaco qui était de passage en tant que soldat, sur Rupt sur Moselle.
Après avoir été libérés, nous avons vécu plusieurs jours de liesse populaire, ce fut vraiment formidable.
Nous les jeunes et surtout les filles, avions été mis en garde par nos pères sur ce qu’étaient les Allemands. Bien sûr, ils faisaient référence à ceux de la guerre précédente, disaient que c’étaient des bandits, des tueurs, des violeurs.
Les consignes de papa étaient strictes en ce qui me concerne. Interdiction d’être coquette et de mettre du rouge à lèvres, il me fallait même mettre des bas en été. Les filles ont été mises un peu à l’écart de l’occupant pour éviter toute tentation éventuelle et par voie de conséquence tout événement contraire à la décence du moment. Comme j’étais d’un naturel timide à cet âge-là, je n’avais pas à faire d’effort pour obéir.
Je ne saisissais pas tout, je dois dire que, comme la plupart des jeunes filles de mon âge, j’étais totalement ignorante de la vie. Notre voisin, Mr Iergé avait même quitté Rupt pour le Sud Ouest afin que ses filles, qui étaient de mon âge, ne soient pas au contact des Allemands. Il lui restait certainement un souvenir épouvantable de la guerre de 14.
Evidemment lorsque les Allemands sont arrivés sur Rupt, nous avons fui dans la montagne au lieu dit Lampiey où nous avons trouvé refuge dans une grange. Dans notre fuite, j’ai été séparée de mes parents, je suis restée alors avec mon frère et mon grand-père, c’est vous dire que nous avions réellement peur.
Les Allemands avaient tout de même été précédés par des avions italiens qui ont mitraillé la rue de l’église et mis le feu à plusieurs maisons dont celle de mon amie Mme Poirier.
Un ou deux jours plus tard, les choses sont rentrées dans l’ordre et nous avons regagné nos maisons. La nôtre n’avait pas été sinistrée.
Rapidement, nous avons compris que la plupart des Allemands étaient des gens comme nous. Rapidement également, ils se sont présentés dans le salon où papa était bien obligé d’exercer son métier. Je me souviens qu’il n’a pas eu le choix puisque les Allemands lui ont dit « Si vous acceptez, c’est bien, sinon on vous prend votre outil de travail et le ferons nous-mêmes ».
J’ai le souvenir d’un Capitaine allemand qui venait se faire faire les ongles deux fois par semaine. Comme c’est moi qui faisais aussi la manucure, autant dire qu’il venait juste pour se passer le temps.
J’ai eu le plaisir et l’honneur de coiffer aussi Jean Desbordes, l’écrivain et poète, qui revenait tous les ans à Rupt avec sa fiancée pour prendre quelques vacances. Je lui faisais ses frisettes tous les deux jours avec un fer qu’on chauffait à la flamme. C’était étrange, il venait toujours avec un petit singe comme animal de compagnie. A Rupt, il logeait dans la maison qui se trouve à côté de la pharmacie de la Rue de la Dermanville.
Ses parents étaient pharmaciens au village, sur le bord de la route nationale où se trouve toujours une pharmacie à l’heure actuelle. Maman était copine avec Héliette, la sœur de Jean, elles étaient à peu près du même âge. Jean Desbordes était dans la résistance, mais nous ne le savions pas, son amie aussi qui était également pharmacienne. C’est pour des raisons liées à la résistance qu’ils ont été arrêtés puis massacrés par la milice, sur Paris où ils avaient élu résidence. Jean Desbordes et son amie étaient vraiment des gens épatants.
J’ai eu la chance d’être enfant de commerçant, de ce fait nous n’avons manqué de rien, mon père connaissait tous le monde et parvenait à obtenir l’essentiel de nos besoins. Un voisin, Marcel Pierrat était culotté et courageux, il allait chercher la viande en Haute Saône pendant les heures interdites aux déplacements. J’y suis allée aussi, avec papa, on a ramené plusieurs cochons ainsi, je ne peux pas vous dire pourquoi, mais visiblement c’était moins risqué la nuit qu’en plein jour. Nous n’avons pas été malheureux, mais d’un autre côté nous avons pris des risques pour cela. Je pense également que les Allemands savaient mais laissaient faire.
Il m’est arrivé aussi d’apporter de la nourriture aux maquisards qui se trouvaient sur les dessus de Lampiey. Maman remplissait une musette de sucre, de viande et diverses denrées très réglementées, et je portais tout ça dans la montagne. Il s’agissait essentiellement de réfractaires au STO. Je tiens à préciser que sur Rupt, tout le monde coopérait. Un soir, nous avons eu interdiction de sortir et je pense que c’est ce soir-là où le maquis a été attaqué.
J’ai fait partie aussi du groupe de jeune filles qui se sont dévouées comme infirmière improvisée dans la défense passive. Ces cours de secourisme nous étaient dispensés par Marguerite Noel pendant une année. Nous étions fières de nous investir ainsi pour la patrie.
Je me souviens que les derniers Allemands qu’on a vus sont venus nous dire au revoir, ils nous ont même laissé des boîtes de sardines, preuve qu’ils n’étaient pas tous des sauvages.
La nuit où les Américains sont arrivés à Rupt, je me trouvais avec d’autres dans la cave de la cure. M. le Curé Grandhomme m’a même confessée cette nuit-là.
Le lendemain les Américains nous ont laissé deux blessés qu’on a déposés dans notre cave. Parmi eux se trouvait M. Merriot qui était ingénieur textile au Pont de Lette. Il est d’ailleurs mort là de ses blessures. Un officier américain a également dormi chez nous quelques jours. Je m’étais même liée d’amitié avec un soldat américain qui se nommait Jérôme Kern, comme le musicien américain. Malheureusement il a été tué quelque temps plus tard près d’Orbey, en Alsace. Il était originaire du lac Michigan, j’ai longtemps continué à correspondre avec sa famille. Il repose maintenant au cimetière américain du Quéquement, près d’Epinal.
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Papa a eu alors l’honneur de coiffer le Prince Reigner de Monaco qui était de passage en tant que soldat, sur Rupt sur Moselle.
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yves philippe- MODERATEUR
- Nombre de messages : 2134
Ville : le Ménil
Age : 60
Points : 2755
Date d'inscription : 28/12/2010
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