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LE THILLOT - SOUVENIRS DE FERNANDE DURUPT VVE PAUL EVE

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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 16:36

Je suis née en 1910, je viens d'avoir cent ans il y a quelques semaines alors vous savez, la guerre est bien loin pour moi.
Lorsque la guerre est arrivée, j'avais deux gamines, Josiane née en 1937 et Simone née en 39.
Nous habitions dans la rue de l'abattoir au Thillot (La Rue de la Paix maintenant – Ndr).
Mon mari a fait comme tous les hommes, il a fui en zone libre. Il est resté un bon moment dans le Sud. Nous correspondions juste avec des cartes où on ne pouvait rien écrire puisque tout était censuré et le courrier n'arrivait pas toujours à destination.
Mon mari devait se trouver bien là-bas puisqu'il est revenu au Thillot dans les derniers.

Lorsque la poudrière a sauté au Thillot, j'étais sous les voûtes de l'usine de la Courbe. Il y a eu d'abord une petite explosion qui n'a pas fait de mal puis une plus grosse. Celle-là a fait tomber toute la poussière et les morceaux du plafond qui ne tenaient plus. Je ne reconnaissais plus Josiane, tellement elle était recouverte de saleté. Simone était en pension à ce moment-là chez Albert Remy au Thillot.
Je me souviens des premiers Allemands que j'ai vus. Parmi eux il y avait un Alsacien. Ils étaient armés jusqu'aux chaussures.
On ne faisait pas les malignes puisqu'on nous avait dit que les Boches coupaient les mains des garçons pour ne plus qu'ils puissent tenir de fusils, et qu'ils empoisonnaient les filles.
Ces Allemands-là nous ont dit bonjour et nous ont donné des bonbons pour nos gosses et une boîte de conserve.
Je n'ai pas voulu que ma gamine prenne ces bonbons, je n'avais pas confiance et je repensais à ce qu'on nous avait dit, je ne voulais pas qu'ils l'empoisonnent. J'ai également jeté la boîte de sardines de Concarneau qu'ils m'avaient offerte. Peut-être que j'ai été rassurée par quelqu'un qui l'avait mangée, je suis allée rechercher cette boîte le lendemain, en la jetant elle était tombée dans une rigole.

Comme les hommes étaient partis, ce sont les femmes qui les ont remplacés dans les usines. C'est comme ça que je me suis retrouvée à la Tannerie Grosjean au Thillot.
Comme il n'y avait plus rien à manger, la commune nous avait laissé à disposition un petit coin de terre à cultiver. Le mien se trouvait un peu plus haut en montant le Col des Croix. Je n'avais pas eu de chance, il n'y avait pas de terre si bien que je plantais mes légumes sur de la roche. Mes patates ne mûrissaient pas, elles restaient vertes puisqu'elles avaient le nez au soleil. Mes gamines en sont tombées malades, je ne savais pas pourquoi à l'époque.

Comme mon mari ne fumait pas, je profitais de ses tickets de tabac pour faire du troc et je les échangeais contre des pommes de terre, j'ai aussi troqué des habits, mais j'ai toujours refusé de me séparer de mon alliance ou de mes bijoux. Certaines ont été amenées à le faire, c'est vous dire le désarroi d'un côté de la transaction et l'intéressement de l'autre, tout ça pour quelques patates. Celles qui ont été rendues à cela n'avaient plus d'autres solutions. J'ai vu refuser le don de quelques patates parce que rien n'était donné en échange. Que voulez-vous, quand on n’a plus rien, on n’a plus rien, alors elles repartaient, la faim au ventre. Certaines venaient de St Maurice à pied, elles prenaient une journée pour quelques légumes.
Je me souviens de ces paysans qui profitaient de nous pendant la guerre et qui avaient le culot de venir nous vendre leur beurre après la guerre. On préférait s'en passer plutôt que de les enrichir à nouveau.

Combien de fois je suis allée en Haute Saône avec mon vélo pour un kilo de patates. Les routes n'étant pas comme maintenant, il m'a fallu souvent pousser mon vélo pour revenir, avec un pneu à plat. Le vélo, les patates et le col à remonter, c'était harassant, sans compter le temps perdu.

Ce n'était pas facile de gérer les tickets, il y en avait de toutes sortes, et ils étaient petits. Il nous arrivait de compter sur certains tickets, pour nous rendre compte devant le commerçant qu'on n'en avait plus.

Lorsque mon mari est revenu, je pense qu'il est allé retravailler à la Tannerie. Il n'a pas été touché par le STO mais il a dû aller faire des trous pour les Allemands sur Chaillon.
Il est allé aussi au maquis qui se trouvait à la source de l'Ognon. Il s'y trouvait lorsqu'ils ont été attaqués par les Allemands un soir de parachutage. Il a eu de la chance de ne pas se faire attraper comme certains ce soir-là.

Je sais qu'une fois, mon mari m'a fait passer des armes pour le maquis. Ces armes étaient démontées en pièces, et mises dans un sac à dos. C'est moi qui portais ce sac pour passer au poste de contrôle des Allemands au niveau du pont Galmant. Il fallait que je fasse attention pour ne pas que ça fasse gling gling en passant près d'eux. Comme je passais toujours par là pour aller travailler à la Tannerie, c'était plus discret et moins suspect. Bien après le pont, mon mari a repris le sac, j'en avais marre tellement il était lourd. Aujourd'hui, quand j'y repense, j'ai l'impression de toujours sentir le poids de ce sac à dos.

Ensuite il y a eu les bombardements lorsque les alliés sont arrivés. On a dû descendre dans les caves. On avait un petit chat noir qui a été blessé par un éclat d'obus, ça aurait pu très bien être un de nous. Je n'ai jamais entendu une bête hurler de douleur comme celle là. Je l'ai retrouvé mort quelques jours plus tard.

Un soir, de septembre 44, je me suis aventurée dans la rue pour aller chercher de l'eau dans une maison, en face de chez nous. A ce moment là, je n'avais pas l'eau sur l'évier. Me voilà partie avec mes deux seaux et je suis tombée nez à nez avec une patrouille allemande. Le couvre feu avait été avancé à cinq heures de l'après midi, j'ai été mise en joue. J'ai bien cru que ma dernière heure était arrivée. Je me souviens avoir pensé à mes gamines et à mon homme à ce moment-là. Il a fallu que je me justifie. Ils m'ont laissé faire mais m'ont escortée, toujours en joue, je suis allée chercher mon eau et ils m'ont raccompagnée jusque devant ma porte. Croyez vous qu'ils auraient porté mes seaux ?, rien du tout! Mes gamines qui m'ont vue arriver ont eu peur aussi puisque j'étais encadrée par la patrouille.

Je me souviens d'une autre fois où j'étais allée faire des commissions au magasin qui se trouvait dans le quartier de la gare. Un obus a fait sauter la vitrine du libre service où j'allais. Tous les rayons ont été éparpillés dans la rue. Je n'ai pas été blessée, ni la dame qui se trouvait sur le trottoir d'en face. Là on a vu plein de gens qui venaient de je ne sais où, qui se sont précipités et se sont mis à piller tout ce qu'ils trouvaient. Un Allemand, avec un appareil photo a pris des clichés de la scène. Il était effaré de voir des Français voler des Français.

Je n'ai pas d'anecdotes à vous donner sur des femmes résistantes, à l'époque-là, tout se faisait dans la discrétion absolue, il y en a eu, bien sûr, mais on ne l'a su que bien après la guerre, lorsque les langues se sont déliées. Il y a eu aussi quelques collaboratrices, certaines ont fui avant la libération, d'autres se sont vues montrer du doigt. On leur a coupé les cheveux à ras et on leur a marqué une croix gammée sur les fesses, ce qui voulait tout dire. Il faut dire que si certains cas étaient litigieux, d'autres étaient évidents. Se montrer ouvertement au bras d'un Boche alors que le mari était prisonnier n'était pas malin. Il y a pire encore, des gamins illégitimes ont été abandonnés avant le retour des maris.
Vraiment, la guerre n’amène rien de bon !
yves philippe
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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 16:36

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