FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE PIERRE DIEUDONNE
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE PIERRE DIEUDONNE
Je suis né à Fresse sur Moselle en 1922.
Je me souviens de ce 03 septembre 1939 à 17h00 lorsqu'on a entendu à la radio que la France déclarait la guerre à l'Allemagne.
Paul Raynaud, président du Conseil criait à qui voulait l'entendre: « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ».
Tous les jeunes, dont je faisais partie devaient aller s'inscrire à la mairie pour former une espèce de milice communale. Nous étions gonflés à bloc tellement nous étions sûrs de nous. Nous étions là pour aider l'armée et lutter contre les éventuels espions.
Nous tenions la « Tête du Seu » à Fresse, qui est un endroit stratégique, depuis le Moyen Age paraît-il. Depuis ce point haut, nous surveillions à la jumelle tout ce qui se passait dans la vallée de la haute Moselle. On se croyait à la guerre en somme.
Au final nous étions tellement supérieurs à nos ennemis qu'on s'est sauvé en vitesse lorsque l'Allemagne a mis un pied en France. Le mot d'ordre a été passé que tous les jeunes de tel à tel âge devaient fuir vers le centre de la France.
Je me souviens qu'au mois de mai 1940, je devais passer mon permis de conduire. Nous avons dû fuir les Vosges une semaine avant que je ne passe cet examen.
Comme c'était la débrouille pour tout le monde et que le couple de personnes âgées qui demeurait à côté de chez nous n'était plus en mesure de conduire, ils m'ont confié leur voiture et c'est moi qui les ai conduits dans le sud de la France.
Je suivais mes parents qui avaient pris une camionnette.
Nous avons alors connu les premiers embouteillages qui n'avaient rien à envier à ceux qui rythment les départs et retours de vacances de nos jours, la joie en moins. La circulation se bloquait sans qu'on sache pourquoi, et ça repartait, tant bien que mal. La pénurie de carburant obligeait les gens à abandonner leurs véhicules là où ils tombaient en panne, ce qui ne facilitait pas la circulation, les piétons, les charrettes avançaient, chacun à son rythme.
Après plusieurs nuits sans dormir, nous avons pu trouver un peu de repos dans une grange. Cahin-caha, nous sommes arrivés comme ça jusque dans la Creuse.
Nous étions dépaysés de voir des champs à perte de vue, des montagnes qui n'étaient que des collines ce qui ajoutait à l'immensité du paysage, des fermes de vingt vaches Charolaises alors que les nôtres n'en avaient que trois ou quatre. Presque aucune source mais des puits partout, les femmes qui battaient le linge avec des petites planches, à genoux au bord des rivières, etc.
Arrivés là, on nous a dit que les Boches étaient partout et que ce n'était pas la peine d'aller plus loin.
On voyait bien que l'armée était en déroute et que plus les soldats étaient gradés, plus ils étaient partis tôt, vite et loin.
Nous avons donc trouvé des petits boulots, à droite à gauche. En ce qui nous concerne nous avons été hébergés dans une ferme à Richeboeuf, un lieu-dit, près de Montluçon (03) où nous avons participé aux moissons.
Les bistrots étaient les meilleurs endroits pour nous renseigner, souvent il y avait un poste de radio. C'est comme ça qu'on a entendu à nouveau Paul Raynaud lancer, selon lui, son unique et dernier appel aux Etats Unis d'Amérique pour qu'ils viennent à notre secours. Dans les mêmes circonstances, j'ai entendu le discours du Maréchal Pétain, qui nous informait qu'il avait demandé l'armistice «« dans l'honneur ». Nous savions donc que la guerre était finie.
Au bout de quelques semaines, j'ai voulu revenir dans les Vosges en éclaireur, la rumeur publique nous avait fait savoir qu'il était possible de passer la ligne de démarcation.
J'ai donc pris le train et me suis retrouvé à Mont sous Vaudray (39) dans le Jura.
Je suis rentré dans un bistrot qui était tenu par un cultivateur. Le hasard a fait que c'était le point de dépôt de gens qui passaient eux aussi la ligne, mais dans l'autre sens.
J'ai donc vu des gens qui se dégageaient d'une charrette où avait été aménagée une cache, laquelle étaient recouverte de fumier.
J'ai donc pu prendre place dans cette cachette et le paysan a repris la route dans le sens inverse avec un chargement de maïs, ce qui n'était pas plus mal pour nous.
Arrivé au barrage tenu par les gendarmes Français, j'ai entendu le militaire demander au paysan combien de personnes il passait cette fois ci. La réponse franche de notre passeur démontrait une complicité certaine avec les gendarmes et ce fut avec soulagement que nous nous sommes dirigés vers le second barrage, qui était tenu, celui là, par des Allemands.
Je n'avais qu'une seule crainte, c'était que l'un de nous se mette à tousser ou à éternuer.
Après quelques minutes d'inquiétude, la charrette a repris sa route et nous nous sommes retrouvés chez ce brave paysan qui nous a offert un café et le repas. Il nous a expliqué ce qu'il nous fallait faire pour rejoindre la Gare de Montbarrey ( 39).
Nous sommes donc partis l'un derrière l'autre, de manière espacée et avons pris le train dans ce village. Dans le train, nous avons vite compris qu'il était plein de types comme nous, c'était facile à voir du fait de nos tenues défraichies.
En trajet, nous avons été contrôlés par un officier allemand qui demandait à chacun poliment en français où il allait. Il était peut être quatre heures de l'après midi et j'ai dit, comme d'autres que j'allais travailler à Lyon.
Quand l'Allemand est repassé, il nous a clairement fait comprendre qu'il ne nous croyait pas, mais ne nous a pas fait plus de difficulté, comme quoi tous les Allemands n'étaient pas mauvais.
Le terminus du train nous a laissés à Vesoul, les lignes ferroviaires n'étant plus en état pour nous conduire plus haut. C'est donc par car que j'ai rejoint le Thillot au début du mois de novembre 1940.
Mes parents habitaient dans la cour de l'usine Hoffner, j'ai à peine eu le temps de rentrer que j'étais déjà embauché le lendemain. Il y avait tellement de dégâts à réparer qu'il m'était difficile de refuser.
J'ai donc repris le travail jusqu'au jour où j'ai été requis pour aller travailler en Allemagne. Je n'ai pas eu la chance des cultivateurs et de ceux qui travaillaient pour eux, lesquels étaient exemptés parce qu'ils devaient produire.
Avec ceux qui étaient requis comme moi, nous sommes allés passer visite Rue Jeanne d'arc à EPINAL, devant des Allemands. On a bien tenté de se faire exempter nous aussi, mais ça n'a pas marché, on était reconnu “Bon pour le Service”.
Le lendemain nous avons été mis dans des trains et sommes allés dans un premier temps dans un centre de regroupement à Revigny Sur Ornain dans la Meuse.
Au bout de deux ou trois jours nous avons repris le train. Je me souviens de voir les cheminots qui pleuraient de nous voir partir si jeunes. Ça ne nous remontait pas le moral.
Nous sommes arrivés à Francfort où nous avons été dispatchés un peu partout.
Les aberrations de l'administration n'étant pas spécifiques à la France, mon passé d'ouvrier textile m'a conduit à être affecté dans une usine de pneumatiques à Fulda, une ville qui comptait à l'époque 30,000 habitants, aujourd'hui, elle en compte plus de 100 000 et l'usine qui se trouvait perdue dans les champs à l'écart de la ville est aujourd'hui en pleine ville.
Nous étions logés dans un cantonnement qui contenait dix baraques de douze bonshommes. Il y avait là des Français et des Belges, des Russes des Polonais. Nous étions tous civils, il n'y avait pas de prisonniers.
J'ai été affecté au traitement des patins sur lesquels étaient collés des caoutchoucs. Ces patins étaient destinés à la confection des chenilles des chars. Ce poste n'était pas très physique mais j'étais constamment soumis aux émanations du traitement des pièces métalliques.
J'ai bien cru que j'allais y passer, alors j'ai employé un stratagème pour qu'on me change de poste. Je me suis mis à tousser mais mon chef de poste me faisait boire du lait en guise de contrepoison.
Comme je continuais à tousser j'ai fini tout de même chez le médecin. Il m'a envoyé passer une radio à l'hôpital . Là j'ai eu de la chance, j'avais eu un problème aux poumons quand j'étais jeune, le médecin l'a vu à la radio. Il a cru à un début de tuberculose ce qui m'a permis de changer de poste, je me suis retrouvé au terrassement.
Là j'étais bien, d'une part j'étais à l'air libre et d'autre part les seules consignes de notre chef allemand étaient de ne pas travailler trop vite. Croyez- moi si vous voulez, mais on a obéi aux ordres.
A force j'ai appris quelques mots d'allemand, ce qui me permettait de comprendre certaines choses, mais c'était plutôt mal vu par certains Français qui pouvaient être tentés de nous cataloguer de collabo.
Je me souviens qu'une fois je m'étais entraîné à commander un billet de train. En réalité ce billet de train a servi à un prisonnier français qui voulait s'évader. Au guichet, l'Allemand n'y a vu que du feu et le prisonnier a pu regagner la France. Il m'a écrit par la suite en se faisant passer pour un oncle ou quelque chose comme ça.
D'un autre côté, les Allemands appréciaient les Français qui apprenaient l'allemand, ils pensaient que c'était une forme d'intégration au régime.
Préparant et suivant le débarquement des alliés, les bombardements ont plu sur l'Allemagne.
Les étrangers que nous étions n'avaient pas droit aux abris alors on allait dans la campagne, se terrer dans des trous ou des fossés.
Avec l'approche des Américains, les alertes se sont amplifiées et nous passions plus de temps dans la campagne que dans l'usine.
Pour ma part, j'ai toujours tenté de m'isoler des groupes, je préférais être seul. Bien m'en a pris puisqu'un jour une pauvre femme m'a demandé si je ne pouvais pas l'aider à faire un trou pour qu'elle puisse protéger sa famille. J'ai accepté, en échange elle me nourrissait.
Je me souviens du bourdonnement de ces avions qui passaient sans discontinuer et qui émettaient un bruit tel qu'on peut l'assimiler à celui d'un tissage.
Un jour en regagnant le camp je remarque deux militaires, les fusils pointés vers l'avant, ils longeaient le fossé opposé au mien.
Leur tenue m'était étrangère et j'ai bien vu que ce n'étaient pas des Allemands. Un gars leur a posé la question: « American »?
Le soldat l'a pointé du fusil, il ne pouvait pas savoir qu'on était Français alors on s'est fait connaître. Ces Américains étaient suivis par des Canadiens.
Ils nous ont désigné une caserne et nous ont dit qu'on pouvait se servir en nourriture.
Dans les cuisines de cette caserne il y avait encore les marmites pleines et chaudes, préparées par les Allemands avant leur fuite.
J'ai vu des gars se faire péter le ventre tellement ils avaient faim. Ce n'est pas facile de se restreindre quand on est face à des aliments et qu'on crève de faim. Certains ont été malades comme des chiens d'avoir trop mangé.
Nous avons profité de navettes de camions militaires qui montaient des soldats au front et qui nous prenaient sur le retour pour nous déposer dans les environs de Francfort où nous avons séjourné quelques jours en caserne.
Ensuite nous avons pris un train qui nous a reconduits en France. Chose étrange, à l'approche de la frontière, alors que nous devions laisser passer des trains prioritaires, une vingtaine de gars ont préféré sauter du train, et partir à pied dans la campagne, ils avaient certainement leurs raisons.
Nous sommes descendus du train à Revigny Sur Ornain où nous nous sommes retrouvés au centre de regroupement. Là nous avons subi une sélection et on nous a posé un tas de questions diverses. On s'est tous retrouvés à poil dans une salle, à une centaine de personnes au moins, on a passé toutes sortes de visites et d'examens .Toutes les identités étaient vérifiées, contrôlées, en effet, parmi nous se trouvaient certainement des miliciens et des collabos recherchés.
On a dû toucher 10 Francs et on a repris le train pour rejoindre nos domiciles respectifs.
A Epinal, j'ai été agréablement surpris par l'accueil de jeunes gens qui s'empressaient pour nous aider.
Je suis rentré à Fresse Sur Moselle courant mai 1945 après 27 mois passés en Allemagne sans revenir.
Par rapport à d'autres, je pense que je ne m'en suis pas mal tiré. J'ai vu des gars aller tout droit à Dachau parce qu'ils n'avaient pas su garder leur poing au fond de leur poche ou leur langue.
C'était oublier que nous n'étions pas en position de force. J'en ai vu partir plus d'un avec les hommes de la Gestapo, on savait qu'on ne les reverrait plus.
Pour un mot de trop, on devenait un résistant, un communiste, un terroriste, donc même si les gars requis pour le STO avaient plus de libertés que les prisonniers, ils pouvaient tout comme eux terminer en camp de concentration.
Je me souviens de ce 03 septembre 1939 à 17h00 lorsqu'on a entendu à la radio que la France déclarait la guerre à l'Allemagne.
Paul Raynaud, président du Conseil criait à qui voulait l'entendre: « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ».
Tous les jeunes, dont je faisais partie devaient aller s'inscrire à la mairie pour former une espèce de milice communale. Nous étions gonflés à bloc tellement nous étions sûrs de nous. Nous étions là pour aider l'armée et lutter contre les éventuels espions.
Nous tenions la « Tête du Seu » à Fresse, qui est un endroit stratégique, depuis le Moyen Age paraît-il. Depuis ce point haut, nous surveillions à la jumelle tout ce qui se passait dans la vallée de la haute Moselle. On se croyait à la guerre en somme.
Au final nous étions tellement supérieurs à nos ennemis qu'on s'est sauvé en vitesse lorsque l'Allemagne a mis un pied en France. Le mot d'ordre a été passé que tous les jeunes de tel à tel âge devaient fuir vers le centre de la France.
Je me souviens qu'au mois de mai 1940, je devais passer mon permis de conduire. Nous avons dû fuir les Vosges une semaine avant que je ne passe cet examen.
Comme c'était la débrouille pour tout le monde et que le couple de personnes âgées qui demeurait à côté de chez nous n'était plus en mesure de conduire, ils m'ont confié leur voiture et c'est moi qui les ai conduits dans le sud de la France.
Je suivais mes parents qui avaient pris une camionnette.
Nous avons alors connu les premiers embouteillages qui n'avaient rien à envier à ceux qui rythment les départs et retours de vacances de nos jours, la joie en moins. La circulation se bloquait sans qu'on sache pourquoi, et ça repartait, tant bien que mal. La pénurie de carburant obligeait les gens à abandonner leurs véhicules là où ils tombaient en panne, ce qui ne facilitait pas la circulation, les piétons, les charrettes avançaient, chacun à son rythme.
Après plusieurs nuits sans dormir, nous avons pu trouver un peu de repos dans une grange. Cahin-caha, nous sommes arrivés comme ça jusque dans la Creuse.
Nous étions dépaysés de voir des champs à perte de vue, des montagnes qui n'étaient que des collines ce qui ajoutait à l'immensité du paysage, des fermes de vingt vaches Charolaises alors que les nôtres n'en avaient que trois ou quatre. Presque aucune source mais des puits partout, les femmes qui battaient le linge avec des petites planches, à genoux au bord des rivières, etc.
Arrivés là, on nous a dit que les Boches étaient partout et que ce n'était pas la peine d'aller plus loin.
On voyait bien que l'armée était en déroute et que plus les soldats étaient gradés, plus ils étaient partis tôt, vite et loin.
Nous avons donc trouvé des petits boulots, à droite à gauche. En ce qui nous concerne nous avons été hébergés dans une ferme à Richeboeuf, un lieu-dit, près de Montluçon (03) où nous avons participé aux moissons.
Les bistrots étaient les meilleurs endroits pour nous renseigner, souvent il y avait un poste de radio. C'est comme ça qu'on a entendu à nouveau Paul Raynaud lancer, selon lui, son unique et dernier appel aux Etats Unis d'Amérique pour qu'ils viennent à notre secours. Dans les mêmes circonstances, j'ai entendu le discours du Maréchal Pétain, qui nous informait qu'il avait demandé l'armistice «« dans l'honneur ». Nous savions donc que la guerre était finie.
Au bout de quelques semaines, j'ai voulu revenir dans les Vosges en éclaireur, la rumeur publique nous avait fait savoir qu'il était possible de passer la ligne de démarcation.
J'ai donc pris le train et me suis retrouvé à Mont sous Vaudray (39) dans le Jura.
Je suis rentré dans un bistrot qui était tenu par un cultivateur. Le hasard a fait que c'était le point de dépôt de gens qui passaient eux aussi la ligne, mais dans l'autre sens.
J'ai donc vu des gens qui se dégageaient d'une charrette où avait été aménagée une cache, laquelle étaient recouverte de fumier.
J'ai donc pu prendre place dans cette cachette et le paysan a repris la route dans le sens inverse avec un chargement de maïs, ce qui n'était pas plus mal pour nous.
Arrivé au barrage tenu par les gendarmes Français, j'ai entendu le militaire demander au paysan combien de personnes il passait cette fois ci. La réponse franche de notre passeur démontrait une complicité certaine avec les gendarmes et ce fut avec soulagement que nous nous sommes dirigés vers le second barrage, qui était tenu, celui là, par des Allemands.
Je n'avais qu'une seule crainte, c'était que l'un de nous se mette à tousser ou à éternuer.
Après quelques minutes d'inquiétude, la charrette a repris sa route et nous nous sommes retrouvés chez ce brave paysan qui nous a offert un café et le repas. Il nous a expliqué ce qu'il nous fallait faire pour rejoindre la Gare de Montbarrey ( 39).
Nous sommes donc partis l'un derrière l'autre, de manière espacée et avons pris le train dans ce village. Dans le train, nous avons vite compris qu'il était plein de types comme nous, c'était facile à voir du fait de nos tenues défraichies.
En trajet, nous avons été contrôlés par un officier allemand qui demandait à chacun poliment en français où il allait. Il était peut être quatre heures de l'après midi et j'ai dit, comme d'autres que j'allais travailler à Lyon.
Quand l'Allemand est repassé, il nous a clairement fait comprendre qu'il ne nous croyait pas, mais ne nous a pas fait plus de difficulté, comme quoi tous les Allemands n'étaient pas mauvais.
Le terminus du train nous a laissés à Vesoul, les lignes ferroviaires n'étant plus en état pour nous conduire plus haut. C'est donc par car que j'ai rejoint le Thillot au début du mois de novembre 1940.
Mes parents habitaient dans la cour de l'usine Hoffner, j'ai à peine eu le temps de rentrer que j'étais déjà embauché le lendemain. Il y avait tellement de dégâts à réparer qu'il m'était difficile de refuser.
J'ai donc repris le travail jusqu'au jour où j'ai été requis pour aller travailler en Allemagne. Je n'ai pas eu la chance des cultivateurs et de ceux qui travaillaient pour eux, lesquels étaient exemptés parce qu'ils devaient produire.
Avec ceux qui étaient requis comme moi, nous sommes allés passer visite Rue Jeanne d'arc à EPINAL, devant des Allemands. On a bien tenté de se faire exempter nous aussi, mais ça n'a pas marché, on était reconnu “Bon pour le Service”.
Le lendemain nous avons été mis dans des trains et sommes allés dans un premier temps dans un centre de regroupement à Revigny Sur Ornain dans la Meuse.
Au bout de deux ou trois jours nous avons repris le train. Je me souviens de voir les cheminots qui pleuraient de nous voir partir si jeunes. Ça ne nous remontait pas le moral.
Nous sommes arrivés à Francfort où nous avons été dispatchés un peu partout.
Les aberrations de l'administration n'étant pas spécifiques à la France, mon passé d'ouvrier textile m'a conduit à être affecté dans une usine de pneumatiques à Fulda, une ville qui comptait à l'époque 30,000 habitants, aujourd'hui, elle en compte plus de 100 000 et l'usine qui se trouvait perdue dans les champs à l'écart de la ville est aujourd'hui en pleine ville.
Nous étions logés dans un cantonnement qui contenait dix baraques de douze bonshommes. Il y avait là des Français et des Belges, des Russes des Polonais. Nous étions tous civils, il n'y avait pas de prisonniers.
J'ai été affecté au traitement des patins sur lesquels étaient collés des caoutchoucs. Ces patins étaient destinés à la confection des chenilles des chars. Ce poste n'était pas très physique mais j'étais constamment soumis aux émanations du traitement des pièces métalliques.
J'ai bien cru que j'allais y passer, alors j'ai employé un stratagème pour qu'on me change de poste. Je me suis mis à tousser mais mon chef de poste me faisait boire du lait en guise de contrepoison.
Comme je continuais à tousser j'ai fini tout de même chez le médecin. Il m'a envoyé passer une radio à l'hôpital . Là j'ai eu de la chance, j'avais eu un problème aux poumons quand j'étais jeune, le médecin l'a vu à la radio. Il a cru à un début de tuberculose ce qui m'a permis de changer de poste, je me suis retrouvé au terrassement.
Là j'étais bien, d'une part j'étais à l'air libre et d'autre part les seules consignes de notre chef allemand étaient de ne pas travailler trop vite. Croyez- moi si vous voulez, mais on a obéi aux ordres.
A force j'ai appris quelques mots d'allemand, ce qui me permettait de comprendre certaines choses, mais c'était plutôt mal vu par certains Français qui pouvaient être tentés de nous cataloguer de collabo.
Je me souviens qu'une fois je m'étais entraîné à commander un billet de train. En réalité ce billet de train a servi à un prisonnier français qui voulait s'évader. Au guichet, l'Allemand n'y a vu que du feu et le prisonnier a pu regagner la France. Il m'a écrit par la suite en se faisant passer pour un oncle ou quelque chose comme ça.
D'un autre côté, les Allemands appréciaient les Français qui apprenaient l'allemand, ils pensaient que c'était une forme d'intégration au régime.
Préparant et suivant le débarquement des alliés, les bombardements ont plu sur l'Allemagne.
Les étrangers que nous étions n'avaient pas droit aux abris alors on allait dans la campagne, se terrer dans des trous ou des fossés.
Avec l'approche des Américains, les alertes se sont amplifiées et nous passions plus de temps dans la campagne que dans l'usine.
Pour ma part, j'ai toujours tenté de m'isoler des groupes, je préférais être seul. Bien m'en a pris puisqu'un jour une pauvre femme m'a demandé si je ne pouvais pas l'aider à faire un trou pour qu'elle puisse protéger sa famille. J'ai accepté, en échange elle me nourrissait.
Je me souviens du bourdonnement de ces avions qui passaient sans discontinuer et qui émettaient un bruit tel qu'on peut l'assimiler à celui d'un tissage.
Un jour en regagnant le camp je remarque deux militaires, les fusils pointés vers l'avant, ils longeaient le fossé opposé au mien.
Leur tenue m'était étrangère et j'ai bien vu que ce n'étaient pas des Allemands. Un gars leur a posé la question: « American »?
Le soldat l'a pointé du fusil, il ne pouvait pas savoir qu'on était Français alors on s'est fait connaître. Ces Américains étaient suivis par des Canadiens.
Ils nous ont désigné une caserne et nous ont dit qu'on pouvait se servir en nourriture.
Dans les cuisines de cette caserne il y avait encore les marmites pleines et chaudes, préparées par les Allemands avant leur fuite.
J'ai vu des gars se faire péter le ventre tellement ils avaient faim. Ce n'est pas facile de se restreindre quand on est face à des aliments et qu'on crève de faim. Certains ont été malades comme des chiens d'avoir trop mangé.
Nous avons profité de navettes de camions militaires qui montaient des soldats au front et qui nous prenaient sur le retour pour nous déposer dans les environs de Francfort où nous avons séjourné quelques jours en caserne.
Ensuite nous avons pris un train qui nous a reconduits en France. Chose étrange, à l'approche de la frontière, alors que nous devions laisser passer des trains prioritaires, une vingtaine de gars ont préféré sauter du train, et partir à pied dans la campagne, ils avaient certainement leurs raisons.
Nous sommes descendus du train à Revigny Sur Ornain où nous nous sommes retrouvés au centre de regroupement. Là nous avons subi une sélection et on nous a posé un tas de questions diverses. On s'est tous retrouvés à poil dans une salle, à une centaine de personnes au moins, on a passé toutes sortes de visites et d'examens .Toutes les identités étaient vérifiées, contrôlées, en effet, parmi nous se trouvaient certainement des miliciens et des collabos recherchés.
On a dû toucher 10 Francs et on a repris le train pour rejoindre nos domiciles respectifs.
A Epinal, j'ai été agréablement surpris par l'accueil de jeunes gens qui s'empressaient pour nous aider.
Je suis rentré à Fresse Sur Moselle courant mai 1945 après 27 mois passés en Allemagne sans revenir.
Par rapport à d'autres, je pense que je ne m'en suis pas mal tiré. J'ai vu des gars aller tout droit à Dachau parce qu'ils n'avaient pas su garder leur poing au fond de leur poche ou leur langue.
C'était oublier que nous n'étions pas en position de force. J'en ai vu partir plus d'un avec les hommes de la Gestapo, on savait qu'on ne les reverrait plus.
Pour un mot de trop, on devenait un résistant, un communiste, un terroriste, donc même si les gars requis pour le STO avaient plus de libertés que les prisonniers, ils pouvaient tout comme eux terminer en camp de concentration.
yves philippe- MODERATEUR
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