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FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE LOUIS CUNAT

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FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE LOUIS CUNAT Empty FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE LOUIS CUNAT

Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 16:55

Je suis né le douze octobre 1918. J'ai passé le conseil de révision une première fois en 1938 mais j'ai été ajourné. Les médecins ont trouvé que j'avais un poids trop faible.
L'année d'après, j'ai été appelé à nouveau à la visite médicale, ils ont trouvé que j'avais pris deux kilos et m'ont déclaré apte. En 1939, ils avaient besoin de chair à canons.

Je suis parti au mois de Novembre 1939 à Auxerre, j'étais affecté au 161ème régiment d'infanterie. J'ai fait mes classes, et vers le mois d'Avril, notre régiment a été transporté à la caserne Kleber à Metz.
Au mois de Mai 40, nous sommes montés sur les arrières de la ligne Maginot, dans le secteur de Sarreguemines (Meurthe et Moselle). Nous étions en alerte et ne faisions rien de particulier.

Début Mai 1940, les Allemands ont envahi la Norvège, la Hollande, la Belgique. Lorsqu'ils sont arrivés en France, on ne nous a pas demandé de nous battre mais de nous replier. Nous reculions tous les jours un peu plus, durant une semaine.
Là on a bien compris que nous n'avions aucune chance contre eux, on reculait et eux avançaient.
Nous avons été encerclés vers le 18 Juin et la question de savoir ce qu'il était préférable de faire, se faire flinguer ou se rendre s'est posée à nous.
Nous avons décidé de nous rendre alors que nous nous trouvions aux environs de Lunéville (Meurthe et Moselle), au Nord de Charmes. Nous avons bien fait parce que ce n'était pas nos vieux fusils qui allaient arrêter la machine de guerre ennemie.

Nous avons été rassemblés à Essey les Nancy, sur une base aérienne où nous sommes restés une quinzaine de jours. Nous n'avions aucun ravitaillement et presque rien à manger. On a commencé à crever de faim là. On couchait par terre, à même le béton dans des grands hangars.
Ensuite nous avons été déplacés et sommes restés dans les mêmes conditions à Toul, (Meurthe et Moselle).

Vers le mois de Juillet, par une chaleur torride, nous avons été conduits en Allemagne dans des wagons de marchandises. Nous avons passés trois jours dans le train sans aucune nourriture.
Nous sommes arrivés à Luckenwalde et avons été enfermés dans le stalag 3-A.
Nous sommes restés là une quinzaine de jours avec une petite ration de nourriture par jour.
Nous avons été employés à installer les clôtures de notre propre camp, car il n'était pas terminé.

Ensuite nous avons été répartis dans des commandos. J'ai été affecté dans une usine d'aviation en construction à Hertefeld. (phonétique Ndr).
Des avions faisaient des essais sur le terrain proche, l'un d'entre eux a touché avec son aile le bâtiment où nous nous trouvions. Il s'est écrasé sur le bâtiment, il y eu plusieurs morts ce coup-là, dont deux Français. Moi j'ai eu de la chance, je m'en suis sorti indemne, avec seulement un peu de gravats sur le dos.

Nous avons dû donner un coup de main pour déblayer, ce qui nous a valu de recevoir en échange 50 cigarettes par personne. Il y avait quand même des allemands humains.

Je me souviens qu'il y avait un champ de patates à côté de l'usine. Lorsqu'on le pouvait, on piquait les patates et fouillant la terre mais en laissant le bois debout. On mettait les patates dans les poches et on les mangeait à midi.

Comme je ne me rasais plus, j'avais attrapé une belle petite barbe. Avec mon physique, le chef du commando est venu me voir et m'a conseillé de raser ma barbe parce que selon lui je ressemblais à un Juif. J'ai donc rasé ma barbe.
Les Allemands avaient en effet conçu un portrait type du Juif, et à priori je lui ressemblais, à cause de mon nez sans doute.

A l'automne, j'ai été envoyé dans un second commando, à Gensagen . (phonétique Ndr).
Je travaillais aux chemins de fer. Je peux vous dire que l'hiver 1940 je m'en souviens tellement il faisait froid.
Nous avions des glaçons qui pendaient aux sourcils ou aux moustaches.
Je me souviens que je m'étais confectionné une paire de gants dans une vieille capote pour manipuler les rails de chemin de fer. Bien souvent, en raison du froid, les gants humides restaient collés sur le rail.

Je suis resté là une petite année et j'ai été affecté dans un autre commando, une usine de chanvre. Là on était bien, on se réchauffait près des fours qui séchaient le chanvre.

Je me souviens que les moineaux venaient picorer les graines de chanvre, alors je passais mon temps libre à les capturer.
J'avais récupéré un petit grillage que je maintenais légèrement surélevé d'un côté par un bâton. J'avais relié une ficelle à ce bâton et lorsque les oiseaux venaient, je tirais sur la ficelle et ils étaient pris au piège.
Je peux dire que ces moineaux ont amélioré mon ordinaire. Çà faisait un peu de viande à manger.

Un jour, un prisonnier avait été pris en train de dormir au lieu de travailler. Les Allemands lui ont demandé de reprendre le travail jusqu'à ce qu'il ait fait son compte d'heure. Nous nous sommes révoltés et tout le commando a été affecté dans un bataillon disciplinaire.
En punition nous devions faire des fossés destinés à l'irrigation. Nous devions faire sept à huit mètres de fossé par jour à deux, sous le contrôle des SS.
Ceux qui ne parvenaient pas à faire le travail avaient droit à la « schlag » qui leur redonnait du courage pour le lendemain.

On a fait ça pendant six mois environ et j'ai été affecté dans un autre commando, le dernier que j'ai connu. Je travaillais alors dans une laiterie à Lanke
Là on était bien, j'y ai même grossi parce qu'on buvait de la crème de lait. Enfin comme je n'étais pas épai,s je n'ai pas eu de mal à grossir.
On prenait le travail le matin de bonne heure et on avait terminé pour 16h00, ce qui nous laissait un peu de temps libre.

Je me souviens qu'à proximité de la laiterie, il y avait un ruisseau qui passait. Je m'étais fait un maillot de bain avec un pull rouge qu'une ouvrière avait oublié. On se baignait dans le ruisseau et les allemands qui faisaient les foins de l'autre côté nous regardaient avec de gros yeux. Ils étaient furieux de nous voir là.

Tous les commandos que j'ai fait se trouvaient autour de Berlin
Nous avons été libérés par les Américains, fin Avril 1945. Nous avons traversé l'Elbe en bateau et sommes restés une quinzaine de jours dans un camp américain. Nous étions là lorsque l'armistice a été signé.

Nous sommes revenus en France par le train, en passant par la Hollande, la Belgique. Nous avions traversé le Rhin sur un pont-bateau.
Nous avons été démobilisés à Paris où nous étions rassemblés dans un grand cinéma. Nous avons été « désinfectés » avant d'être répartis par groupes suivant nos origines. C'est là que j'ai revu pour la première fois un Vosgien, je n'en avais plus vu de toute ma captivité.
Je suis revenu à Bussang vers la fin Mai 1945

Mon frère Henri était déjà revenu d'Allemagne, mon autre frère Auguste n'est revenu que deux mois plus tard. Il avait été libéré par les Russes mais d'après ses dires les Russes n'étaient pas tendres avec eux. Ils leur piquaient tout ce qu'ils pouvaient chaparder.

Dans ma famille, nous étions trois frères prisonniers. Un quatrième, Aimé, a été déporté lors d'une rafle sur Bussang, avec Gilbert Didierlaurent, André Grisvard dit Clovis, et un nommé Vannson dit Batiot. Ils ont dû être six ou sept de Bussang à être déportés. Mon frère Aimé est mort là- bas.
Deux de mes beaux frères, Michel Grandemange et Stéphane Mathieu, ont été pris dans la même rafle, mais sur St Maurice. Ils ne sont jamais revenus non plus.

Je me souviens qu'en Allemagne nous étions rémunérés, quelques Marks par mois. Les Allemands nous payaient avec une monnaie particulière, mais qui avait cours légal auprès des commerçants. Les billets n'étaient imprimés que d'un seul côté.

Je ne sais plus à quelle période, vers 1943 probablement, nous avons commencé à toucher des colis, un par mois, qui nous venaient de la Croix Rouge Française. En même temps nous avons découvert le café soluble, le Nescafé comme on appelait ça, qui nous était fourni par les Américains.
Les Américains nous faisaient aussi parvenir leurs cigarettes, elles étaient enviées par les allemands qui auraient bien voulu y gouter.

Nous avions également droit à une lettre par mois. Le courrier était censuré. Lorsque ma sœur me répondait, elle me mettait ce qui avait été barré sur ma lettre, preuve que tout était lu.

Heureusement que j'ai toujours été assez loin de Berlin, ce qui fait que je n'ai pas été gêné par les bombardements.
J'avais un truc qui me prévenait des bombardements. Au pied de mon lit, j'avais une petite boite en bois fermé par un cadenas. A l'arrivée des avions, le cadenas se mettait à trembler rien que par les vibrations de l'air. Peu de temps après on entendait les avions puis les déflagrations.


( Monsieur Louis CUNAT est décédé le 1er Novembre 2008 - ndr)

yves philippe
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