RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS D'YVAN CHONAVEL
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS D'YVAN CHONAVEL
A partir de ce 1er Septembre 1939 commença alors ce que nous appelions la drôle de guerre, . Les individus en mesure de porter les armes furent donc mobilisés, ce qui entraîna d'inéluctables perturbations dans la vie industrielle et sociale du village.
Les usines privées de l'essentiel de leurs ouvriers, manquant de matières premières, réduisaient considérablement leur production. Les salaires, de ce fait, diminuèrent dans les mêmes proportions. La situation des agriculteurs était aussi grave, les récoltes, pour être menées à bien, manquaient de main d'œuvre.
Il fallut attendre jusqu'au 10 mai 1940 pour se sentir touché par des opérations de guerre. La grande offensive allemande venait d'écraser les Pays Bas et la Belgique, puis le nord de la France. Bref, les choses se gâtaient effectivement.
En raison de la censure, nous avions peu de nouvelles fiables par la presse. Grâce à la radio, nous savions tout de même que certaines villes du département étaient bombardées, entre autre, son Chef Lieu.
Le black-out était instauré, les fenêtres étaient camouflées, les ampoules peintes en bleu, aucune lumière ne devait filtrer, les contrevenants étant sévèrement punis.
Les autorités militaires avaient confisqué toutes les armes, décrété le couvre feu et délivré des autorisations de circuler.
Le 14 juin, ordre fut donné à tous les hommes de 18 à 50 ans, qui n'étaient pas sous les drapeaux de quitter le village en direction du sud.
Aussi, le boulanger qui gérait la coopérative juste en face de chez nous, dut se résoudre à sortir du garage sa rutilante Citroën 11 CV, récemment acquise, donc à peine rodée, pour effectuer un voyage à destination d'on ne sait où.
Mon père avait été sollicité quelques mois plus tôt pour vendre sa voiture (Citroën également, mais plus ancienne, traction arrière mais moteur flottant) à un commerçant du Thillot qui souhaitait dans les meilleurs délais, compte tenu de sa religion, mettre le cap vers la Suisse. ( ...)
C'est ainsi que sur le coup de 10 heures du matin, je vis partir le père Remy, mon oncle Pierre et son fils Boris qui avait vingt ans, et mon père, qui me dit alors: « Yvan, si les Boches arrivent, il faut partir ».
« Bien papa ».
Aux environs de midi, le bruit courait que Remiremont était partiellement occupée, il fallait donc envisager l'exécution rapide de la consigne paternelle.
Au courant de celle ci, ma mère chargea donc quelques boîtes de conserve et des rechanges vestimentaires légers dans un sac tyrolien, pendant que je vérifiais le gonflage des pneus de mon coursier auquel j'allais devoir faire pleine confiance pour me mener .... n'importe où, mais vers le sud. ( ...)
Partir seul était tout de même un petit souci, aussi avant le top du départ que je m'étais fixé à 17 heures, j'ai essayé d'embaucher un ou deux copains parmi ceux qui se bronzaient au soleil au bord de la Moselle. N'ayant recueilli de leur part que des réponses négatives, je m'en retournai chez moi lorsqu'en chemin, je rencontrai un copain, Jean Febvay, en vélo, qui regagnait la ferme de ses parents.
Euréka ! Il se trouva tout de suite d'accord pour partir avec moi .... n'importe où, mais nous serions deux.
Il fut donc entendu que nous nous retrouverions à 17H30 au Col du Mont de Fourche, à la limite de la Haute Saône, où nous étions rejoints par trois cyclistes qui étaient partis de Plainfaing, près de St Dié, quelques heures plus tôt et avaient, eux, perçu le bruit du canon.
Il convenait donc d'appuyer sur les pédales.
Ce sont Luxeuil, Vesoul puis Besançon qui furent successivement atteints, mais la fatigue se faisait sentir, ce qui fit qu'à Mouchard (Jura), nous avons embarqué sur un train dont la machine était effectivement orientée Sud, c'était bien l'essentiel.
A y voir de plus près, nous n'étions pas seuls puisqu'un train de réfugiés nous précédait et notre suivant, dont j'ignorais tout, avait pour le tirer, la locomotive qui tractait paraît-il le train présidentiel en temps de paix. Belle machine !
Qui décidait du départ du train? Y avait il encore un chef de gare?, je sais que devant cette dernière, c'est un Général qui réglait la circulation routière, peut être était-ce un Général du train.
Quoi qu'il en soit, mon copain Rupéen et moi avions installé nos sacs dans la cabine du « serre frein » qui se trouve à hauteur du toit du wagon, sur lequel étaient déposés nos vélos, les escaliers d'accès à la cabine nous servant de sièges.
Il n'y avait plus qu'à attendre la mise en route. Nous étions capables maintenant d'aller loin.
Nous sommes effectivement partis mais pour stopper au bout d'une quinzaine de kilomètres. La sonnerie énergique d'un clairon nous fit descendre de notre perchoir pour nous coucher dans le fossé en ciment qui longe la voie.
Des avions italiens prenaient en enfilade le convoi et lâchaient leurs bombes courageuses sur leurs proies faciles.
L'alerte terminée, le constat restait à faire pour découvrir que le train qui nous précédait, avec ses wagons en bois était en grande partie détruit. Le nôtre n'avait pas été touché, heureusement d'ailleurs, car en sortant de notre planque, nous nous sommes aperçus qu'il s'agissait d'un train de munitions ! Hmm !
Nous ne l'avons pas quitté pour autant, nous en avions tellement marre, alors « Inch Allah »! »
La ligne une fois dégagée autorisa la poursuite de notre voyage, via Annecy (Haute Savoie), Chambéry (Savoie) sans doute, Grenoble (Isère) sûrement, puis ce fut Romans (Drôme), près de Valence (Drôme) où les services de la Croix Rouge nous demandaient si nous avions de la famille plus au sud, auquel cas nous pouvions poursuivre.
Sans doute avions nous répondu affirmativement puisque nous nous sommes retrouvés sur le quai de la gare de Tarbes -(Hautes Pyrénées) (oui, vous avez bien lu), Hautes Pyrénées, terminus du voyage.... Plein sud, en effet !.
Il y avait là un comité d'accueil de chez Panhard, mais nous ne nous sommes pas sentis concernés, qu'auraient-ils fait de quatre cultivateurs et un « saute ruisseau » (un garçon de courses), dans une usine d'armement ? .... Désarmant !!
Finalement nous avons été conduits en car à la campagne, dans un petit village du nom de Bazillac (Hautes Pyrénées) (non, pas les vignes!), pour être répartis chez les cultivateurs et aider à la fenaison, comme le faisait déjà à notre arrivée un lot d'aviateurs de la base de Saint Dizier (Haute Marne), replié dans le coin. Pauvre France !.
Les tâches journalières étant effectuées, qui justifiaient amplement le gîte, le couvert et trois sous d'argent de poche, nous nous retrouvions pour taper le ballon, séance qui se terminait régulièrement devant un demi de bière au seul café du bourg.
Ce n'était pas tellement la blonde bière, pas plus que la blonde serveuse, quoique fort jolie, qui nous y rassemblaient. C'est surtout que nous pouvions y consulter la « Dépêche du midi » qui publiait des pages et des pages d'adresses de réfugiés parmi lesquels j'avais toujours l'espoir d'y voir figurer un Chonavel, à commencer par mon père.
Ce fut le cas ou presque, un beau soir où je trouvais là, à droite, tout à fait en bas de page ce Chonavel, mais de Bar Le Duc (Meuse).
C'était mon oncle Armand qui était replié à Roquecourbe, dans le Tarn, près de Castres, avec la « compagnie de guet de la Meuse », placée sous son commandement.
Pour qui l'ignore, il faut savoir que ces guetteurs, généralement des territoriaux, avaient comme tâche de scruter le ciel, pour identifier les avions ennemis qui passaient et d'en informer la DCA, qui devait leur tirer dessus.
Rétrospectivement, je doute de l'efficacité d'une telle arme, quand on sait que l'avion ennemi était de préférence un Dornier parce que Messerschmitt était trop difficile à écrire.
Quoiqu'il en soit, j'écrivis le soir même à cet oncle pour lui dire ma situation. Le lendemain, c'est un télégramme qui me demandait de venir le rejoindre au plus tôt.
Vous êtes en droit de traduire que je suis né sous une bonne étoile.
Il me fallut donc dire au revoir aux copains et ce, non sans une pointe de tristesse, pour mettre cap sur Roquecourbe où je trouvais mon oncle, bien installé en sa qualité d'officier, chez un industriel de l'endroit, un lainier, comme il se doit dans la région.
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Ainsi se termine cette aventure commune qui liait Jean Febvay et Yvan Chonavel, aventures qui reviendront sûrement sur la table à chaque fois que ces deux copains se retrouveront
Profitant de ses « mémoires de guerre » et de sa solide mémoire, je vous communique à présent la suite des pérégrinations d'Yvan, qui nous apportent bon nombre d'anecdotes qu'il convenait de sauvegarder, elles aussi. (N – d r)
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Cette famille d'industriels, chargée de notre hébergement, était tout à fait agréable et leurs deux fils, en âges encadrant le mien, furent tout au long de mon séjour, absolument sympas. Je vivais là de royales vacances, oui mais le but à poursuivre dès lors que mon oncle serait démobilisé était de remonter dans l'Est où nos familles respectives, dans la Meuse et dans les Vosges, vivaient des situations que nous ignorions totalement.
Pour nous retrouver au point de départ de ce périple sudiste, il nous fallait faire face à des difficultés toutes récentes bien sûr puisque mise en place par l'occupant, c'était le franchissement de lignes de démarcation entre la zone dite « libre », au sud et « occupée », au nord, ce qui coupait la France en deux. En ce qui nous concernait, il y avait encore « gros obstacle » à passer en zone interdite où se trouvaient précisément nos points de chute.
L'Alsace, la Lorraine étant déjà de nouveau annexées, la zone interdite, qui risquait à échéance de connaître le même sort, était une bande de territoire d'une cinquantaine de kilomètres de large, qui, partant du nord, longeait la frontière jusqu'au sud est de Besançon., à hauteur de Genève.
Ensuite, les Italiens prenaient, si je puis dire, le relais pour continuer le tracé jusqu'à Nice.
La stratégie de mon oncle était donc dans un premier temps, de se rapprocher de la zone occupée, et de là, voir par quel moyen il nous serait possible de progresser.
Carte en mains, il convenait de déterminer quel serait l'endroit le mieux adapté pour cette première halte. Eh bien ce fût Mâcon, Chef lieu du département de la Saône et Loire, qui fut retenu. (...)
Nous voici donc installés dans un petit appartement du numéro ? de la rue Dufour, propriété d'une dame Marchand (...) lorsque mon oncle décida de régler notre loyer, faire nos bagages, puis nos adieux pour nous diriger vers je pense Lons le Saunier, pour tenter de pénétrer directement en zone interdite, ce qui était une bonne idée, quand on peut faire simple ...
J'ai le vague souvenir, dans une brume matinale, mais avant le petit jour, car nous étions déjà en Novembre, d'un « passeur », rémunéré bien entendu, qui nous montra la sentinelle allemande qui passait et repassait sur un pont dont il avait la surveillance.
Il se déplaçait de toute évidence à une distance respectable, de part et d'autre de l'ouvrage, ce qui devait nous permettre de franchir la rivière presque à pied sec à cet endroit, avec quelques bagages ... et le vélo, mais surtout sans bruit, et détaler à toutes jambes dès que nous serions sur l'autre rive, toujours avec la même discrétion, jusqu'à être à l'abri du premier virage pas très éloigné.
Ceci fut fait, mais je me demande encore comment. Ouf !, mais nous avions serré les fesses.
Immédiatement nous nous sommes sentis libres, en même temps que pousser des ailes pour progresser vers le nord.
La zone libre était pour nous une sorte de prison dont il fallait sortir à tout prix, et au plus vite, pour retrouver notre chez nous, lui que nous avions quitté depuis presque cinq mois déjà, dans la débâcle.
Ce sont les cars successifs de la Compagnie de transport Citroën, qui enfin en ce début novembre, nous déposèrent à Rupt Sur Moselle.
Nous sommes arrivés à la maison en plein midi, à l'heure de la soupe, toute la famille autour de la table, complètement ahurie de nous voir débarquer sains et saufs et venant d'où ? Même le chien, un berger allemand du nom de Floflo, s'étonnait de cette espèce de parachutage à lui couper le souffle, au point de ne pouvoir dire mot. (...)
Mon périple raconté, mon père me fit savoir qu'avec la 11 Cv du père Remy, ils étaient descendus jusqu'à Langogne, chef lieu de canton de La Lozère, pour remonter presque aussitôt. Comprenne qui pourra, mais il est certain qu'il était préférable de profiter de ce grand flou, dans ces premiers temps de l'occupation, pour tirer son épingle et regagner ses pénates. (...)
Et si nous nous inquiétions quelque peu des journées qui suivirent notre départ de Rupt sur Moselle au mois de juin 1940!
Le 18 Jjin 1940, les Allemands occupaient les hauteurs de Maxonchamp, deuxième section de la commune, venant de Remiremont d'où ils commencèrent le pilonnage du centre du village où se trouvaient encore passablement de soldats français.
Parallèlement, les avions italiens (encore eux) apportaient leur triste contribution en arrosant le secteur de bombes incendiaires.
La rue de l'église avait plus spécialement souffert et c'était bien triste à voir. Tout ceci non sans casse humaine car de nombreux soldats français et allemands trouvèrent la mort à la suite des affrontements qui s'en suivirent.
Cet hiver dans lequel nous étions irrémédiablement embarqués sera dur à tous les égards: Le black-out, beaucoup de neige, un froid très vif, les restrictions alimentaires et de déplacement, enfin le bruit des bottes teutonnes martelant le macadam ou crissant sur la neige damée, qui nous laissait entrevoir une annexion à court terme.
Il y avait au bureau où j'avais repris rapidement mon emploi de « saute ruisseaux », une personne dont je tairai le nom, qui était apparue au début de ce que l'on appelait la drôle de guerre, (voir lexique Ndr) venait de je ne sais où, pour faire quoi ?, je l'ignore encore, n'ayant aucun contact avec la population ouvrière, et que je sache pas d'avantage avec l'extérieur.
Elle vivait avec un monsieur, étranger à la commune, dont là encore, nous ne savions strictement rien, bref, autant d'inconnues qui firent que le bruit courut rapidement que ces deux personnes devaient appartenir à la cinquième colonne, entendez par là ces espions à la solde de l'ennemi! Qu'en était il exactement, je n'en saurai jamais rien, mais ce qui est certain, c'est que cette « collègue » si discrète, fit, je dirais, basculer toute ma vie. Je m'explique:
Un jour d'août 1941, par quel hasard, je ne saurais dire, nous avons eu une conversation sur l'avenir en général, mais elle préféra parler du présent ou de l'avenir proche et me confia dans un premier temps que les Allemands avaient réquisitionné les jeunes Alsaciens pour les envoyer travailler en Allemagne au bénéfice du Grand Reich, après quoi ils les enrôlaient dans la Wehrmacht !
La ligne de crête qui nous sépare de l'Alsace est là, toute proche, les intentions de l'occupant à notre égard, nous les subodorons, alors de là à connaître le sort de nos voisins, il n'y avait qu'un pas qui serait vite franchi, si le besoin s'en fait sentir.
Il n'était pas nécessaire d'avoir fait l'ENA, pour traduire ce qui nous pendait au nez.
C'est sur ces bases que je muris l'idée de quitter Rupt, discrètement à échéance rapprochée autant que possible, pour piquer vers le sud, mais de quelle façon, pour aller où et y faire quoi?
Chaque jour j'essayais de me souvenir, mais en détail, le chemin emprunté l'année précédente pour faire Mâcon/Rupt, au cas où il me faudrait le faire à nouveau mais en sens inverse.
J'avais un copain qui s'était engagé dans la marine avant la guerre, compte tenu de mon absence de spécialisation, ce pourrait être là une ouverture non?
Voilà qui demandait une réflexion sérieuse.... au bout de laquelle, je décidai d'en faire autant.
J'avoue que déjà, je me voyais au delà de l'hexagone, mais comment faire pour en arriver là?
Je vous rappelle que nous sommes en zone interdite, sous contrôle allemand et que Toulon n'a jamais été le chef lieu du département des Vosges!
En Septembre 1941, l'escadron de gendarmerie était toujours en place à Rupt sur Moselle.
Je me suis rendu à leur bureau pour constater qu'une affiche incitait à s'engager dans la marine.
Je fis part de mes intentions qui allaient dans le sens de cet appel et fus orienté vers le bureau de recrutement d'Epinal, où je me rendis pour signer un engagement de trois ans dans « La Royale », en vertu de quoi je reçus un bon de transport à utiliser sur la SNCF pour me rendre à Toulon, au 5ème dépôt des équipages de la flotte. (...).
Je m'y présentai, en tout premier lieu au service médical dont la réussite à l'examen conditionnait l'engagement ou non. Or si l'état général était bon, en revanche le rapport poids/hauteur, ce qu'ils appelaient le pignet, n'était pas dans leur grille.
Catastrophe pour moi qui me voyait déjà à la rue.
Un toubib qui passait par là, comprit heureusement le problème et signa un « bon pour le service », qui me permit de poursuivre sous le matricule 10.233T41, non seulement pour trois ans mais pour la durée de la guerre. (...)
Chacun sait que dans cette arme, tout individu doit être qualifié, dans une spécialité ou une autre, fonction notamment de son Q.I.
Je fus ainsi autorisé à participer au cours de radiotélégraphiste, qui eut lieu à bord d'un cuirassé, « Le Concordet » (1922 / 1939) désarmé pour devenir navire école. (...)
Me voici donc matelot radio et placé en attente d'affectation. Je fus affecté au Service mobile de la Défense de Dakar, oui, au Sénégal.
Il faut rappeler ou faire savoir, que peu de temps avant, les Anglais, sous le prétexte de vouloir rallier l'Afrique occidentale française, à la cause du grand Charles, s'étaient régalés en attaquant la flotte au mouillage, dans le port, et se préparaient à remettre ça.
Il fallait donc aller meubler un peu plus ce secteur sénégalais où, mais .... chuuut!, se trouvait l'essentiel de la réserve d'or, évacuée par la banque de France.
Embarqué à Marseille, à bord d'un transport de troupes, « La Providence », nous nous sommes payés un chalutier espagnol, de nuit, au large de Valence, où nous sommes allés le déposer. Nous avons repris notre route vers Gibraltar, bien sûr, à la vitesse d'environ douze nœuds, nous avons fait route sur Dakar, où sitôt arrivé, j'ai rejoints mon aviso d'affectation qui affichait encore sur la coque en lettres d'or « Air France I ». (...)
Attardons-nous quelques instants sur ces avisos.
Ils étaient quatre à l'origine, conçus dans les années trente, aux chantiers de Bretagne, à Nantes pour le 3 et le 4, le 2 à Sète, le 1 (le mien), aux chantiers du sud ouest à Bordeaux.
Tous destinés à remplacer ceux vieillissants, loués un franc symbolique par an pour assurer le service postal sur la relation DAKAR (Sénégal) / NATAL (Brésil), tronçon encore infranchissable par les moyens aériens.
Ces petits nouveaux avaient des caractéristiques identiques, à savoir 60m X 7,2m X 2,3m – 48 tonnes propulsées à 18 noeuds par deux moteurs Diesel Sulzer de 1350 CV chacun.
Très effilés, peu de tirant d'eau, tout en superstructures, dès les essais au sortir des chantiers, il s'avéra nécessaire de les équiper de quilles latérales de cinquante centimètres de largeur sur une grande partie de la coque afin de réduire l'effet roulis, et malgré cela, à partir de 35° de gite, on se demandait s'ils étaient capables de se redresser.
D'ailleurs, ce plus ajouté pour limiter les dégâts, n'empêcha pas le II de couler corps et biens après son départ de NATAL dans la nuit du 11 août 1932.
Ces faits confirmaient le jugement des équipages qui en firent les essais, qui les déclarèrent « pas marins ».
Ainsi furent mis en place deux chariots de grenades de cent Kg, à l'arrière, une mitrailleuse double sur le spardeck et enfin sur la plage avant, fut édifié une sorte d'échafaudage métallique qui eut à supporter un canon de 75.
Si certains éléments alourdissaient, cet autre, à l'avant, ajoutait encore en cas d'instabilité et Dieu sait si cette situation était fréquente, pour ne pas dire constante.
A peine sorti de l'abri portuaire, ce bâtiment, j'aurais envie de dire, cette danseuse, se mettait à remuer.
Mon poste de combat était précisément là, servant de hausse et de dérive à cette « pétoire », alors imaginez le sport, tourner la manivelle qui va faire tourner le canon verticalement en même temps que tourner l'autre petite manivelle qui va le faire bouger, elle aussi mais latéralement, ceci dans le but d'atteindre un objectif, qui se déplace et roule et tangue lui aussi, vous conviendrez que cela relève un peu de la fête foraine.
Notre rôle était de chasser les sous-marins, nombreux, notamment dans les parages des Iles du cap Vert, escorter les bateaux qui , de la côte, devaient rejoindre au grand large les convois de dizaines de bateaux qui montaient sous bonne escorte, soit de l'Afrique du Sud, soit d'Amérique du Sud.
Dans ce type d'opérations, notre faible tirant d'eau se révéla souvent bien utile, tandis que les grenadages anticipaient sur les corvées de piquage de rouille.
(...). A la radio, je faisais comme mes deux autres copains, les 3/8 à la mer, où nous passions tout de même les deux tiers de notre temps, le troisième étant occupé au piquage de la coque qui avait droit alors à sa couche d'antirouille puis de peinture.
Le temps passait, pratiquement sans nouvelles. Des cartes de la Croix Rouge avaient bien été instaurées, à raison d'une par quinzaine, mais quel intérêt? Elles étaient réduites à leur plus simple expression et tracées à l'avance puisque dans le style: « Je suis en .... santé ». Vous n'alliez tout de même pas noircir le tableau.
La hâte était grande chez tous de participer aux opérations de libération, mais cela revenait à désarmer les bateaux, d'où l'interdiction des « pachas » de laisser filer leurs gars. (...).
Finalement, je quitte donc Dakar, pour faire un pas dans la bonne direction, mais pas assez loin puisque je débarque à Casablanca (Maroc), sans affectation précise, mais en subsistance, sur un autre chasseur de sous marin, « l'Enjoué ».
Puis le sort voulut qu'un jour, l'Etat Major eut besoin d'un radio.
Etant en surplus à bord de « L'Enjoué », il me fallut débarquer à mon grand regret, alors que le bateau partait pour Gibraltar.
Un cran de plus fut tout de même accompli le 11 décembre 1944 lorsqu'une Corvette des FNFL, le Cdt Drogou, me transporta de « Casa » à Brest (Finistère) d'où je devais gagner Rennes (Ille et Villaine), un dépôt où devait être constitué une unité de fusiliers marins destinée à la 1ère Armée.
La ligne bleue de mes Vosges serait-elle bientôt en vue?
Eh bien, il me fallut tout d'abord séjourner à Bordeaux (Gironde) où l'état major de la marine venait de s'installer, proche de la fameuse poche de résistance de Royan (Charente Maritime). Un mois de perdu.
Me voilà enfin dans cette unité, dite de marine aux armées. C'était le groupe « Phoque », qui constituait le « combat command N° 5 » appartenant à la 5ème DB, relevant elle même de la 1ère Armée Française du Général De Lattre de Tassigny.
L'hiver n'était pas terminé, loin s'en faut, lorsque nous avons rejoint Altkirch dans le Haut Rhin, et ce fut très dur pour rejoindre Erstein (67), avant de passer le Rhin et foncer pour bloquer dans la Forêt Noire les quelques 30 à 40.000 hommes, dont le 18ème corps d'armée SS, qui s'y réorganisait, et auquel il ne manquait ni cadre, ni artillerie, ni fanatisme, ce qui leur permettait de tenter une sortie en force, ce qui fit souvent très mal.
Puis il convenait d'atteindre rapidement les bords du lac de Constance pour éviter les évasions vers la Suisse frontalière.
C'est précisément au bord de ce lac, à Friedrichafen, puis à Immenstaat que nous nous sommes installés, dans le premier cas pour investir les usines Dornier, dans le second, pour préparer l'arrivée d'une escadrille d'hydravions torpilleurs qui assurera la surveillance du lac.
L'armistice signé, j'obtins quelque temps après, l'autorisation d'accompagner à Strasbourg, un convoi transportant paraît-il un engin fort intéressant, que nous avions récupéré chez Dornier.
J'en profitai alors pour aller jusqu'à Rupt Sur Moselle, embrasser mes parents où j'arrivai dans la nuit du samedi au dimanche, à leur très grande émotion, je dois le dire, mais oh combien partagée !.
Pressé le dimanche matin d'aller trouver quelques copains, je m'en fus au village sur les coups de 11 heures pour voir quoi?, qui?, défiler les prisonniers de guerre que nous, ou les Alliés venions de libérer, les jeunes qui n'avaient pas pu échapper au STO en Allemagne, le tout précédé par une fanfare, puis des drapeaux, le Maire et son conseil municipal et enfin la population, bref, on hissait le grand pavois pour fêter glorieusement ces retours sans doute.
Le temps de la permission qui m'était accordée touchant à sa fin, je regagnai ma base.
L'heure de la démobilisation ne pouvant qu'être proche, je commençais à réfléchir sur ce que pouvait être mon avenir.
D'abord m'offrir quelques semaines de vacances, ce qui ne me semblait pas excessif, puis de retrouver l'usine, et de là, voir quelles seraient les ouvertures possibles, quelle carrière je pouvais faire dans le textile ou alors dans la radio, mais quoi? Mais où?, la encore, il convenait d'attendre la suite des événements.
Ils ne me firent pas attendre très longtemps. C'est mon « officier trans » qui vint me voir et me posa la question que j'attendais: « Alors Chonavel, qu'allez vous faire une fois démobilisé? Est ce qu'il vous intéresserait d'entrer à Air France? » . Vous imaginez ma réponse. (...)
Ainsi se termina une « plaisanterie » qui dura tout de même plus de cinq ans. (...)
Les usines privées de l'essentiel de leurs ouvriers, manquant de matières premières, réduisaient considérablement leur production. Les salaires, de ce fait, diminuèrent dans les mêmes proportions. La situation des agriculteurs était aussi grave, les récoltes, pour être menées à bien, manquaient de main d'œuvre.
Il fallut attendre jusqu'au 10 mai 1940 pour se sentir touché par des opérations de guerre. La grande offensive allemande venait d'écraser les Pays Bas et la Belgique, puis le nord de la France. Bref, les choses se gâtaient effectivement.
En raison de la censure, nous avions peu de nouvelles fiables par la presse. Grâce à la radio, nous savions tout de même que certaines villes du département étaient bombardées, entre autre, son Chef Lieu.
Le black-out était instauré, les fenêtres étaient camouflées, les ampoules peintes en bleu, aucune lumière ne devait filtrer, les contrevenants étant sévèrement punis.
Les autorités militaires avaient confisqué toutes les armes, décrété le couvre feu et délivré des autorisations de circuler.
Le 14 juin, ordre fut donné à tous les hommes de 18 à 50 ans, qui n'étaient pas sous les drapeaux de quitter le village en direction du sud.
Aussi, le boulanger qui gérait la coopérative juste en face de chez nous, dut se résoudre à sortir du garage sa rutilante Citroën 11 CV, récemment acquise, donc à peine rodée, pour effectuer un voyage à destination d'on ne sait où.
Mon père avait été sollicité quelques mois plus tôt pour vendre sa voiture (Citroën également, mais plus ancienne, traction arrière mais moteur flottant) à un commerçant du Thillot qui souhaitait dans les meilleurs délais, compte tenu de sa religion, mettre le cap vers la Suisse. ( ...)
C'est ainsi que sur le coup de 10 heures du matin, je vis partir le père Remy, mon oncle Pierre et son fils Boris qui avait vingt ans, et mon père, qui me dit alors: « Yvan, si les Boches arrivent, il faut partir ».
« Bien papa ».
Aux environs de midi, le bruit courait que Remiremont était partiellement occupée, il fallait donc envisager l'exécution rapide de la consigne paternelle.
Au courant de celle ci, ma mère chargea donc quelques boîtes de conserve et des rechanges vestimentaires légers dans un sac tyrolien, pendant que je vérifiais le gonflage des pneus de mon coursier auquel j'allais devoir faire pleine confiance pour me mener .... n'importe où, mais vers le sud. ( ...)
Partir seul était tout de même un petit souci, aussi avant le top du départ que je m'étais fixé à 17 heures, j'ai essayé d'embaucher un ou deux copains parmi ceux qui se bronzaient au soleil au bord de la Moselle. N'ayant recueilli de leur part que des réponses négatives, je m'en retournai chez moi lorsqu'en chemin, je rencontrai un copain, Jean Febvay, en vélo, qui regagnait la ferme de ses parents.
Euréka ! Il se trouva tout de suite d'accord pour partir avec moi .... n'importe où, mais nous serions deux.
Il fut donc entendu que nous nous retrouverions à 17H30 au Col du Mont de Fourche, à la limite de la Haute Saône, où nous étions rejoints par trois cyclistes qui étaient partis de Plainfaing, près de St Dié, quelques heures plus tôt et avaient, eux, perçu le bruit du canon.
Il convenait donc d'appuyer sur les pédales.
Ce sont Luxeuil, Vesoul puis Besançon qui furent successivement atteints, mais la fatigue se faisait sentir, ce qui fit qu'à Mouchard (Jura), nous avons embarqué sur un train dont la machine était effectivement orientée Sud, c'était bien l'essentiel.
A y voir de plus près, nous n'étions pas seuls puisqu'un train de réfugiés nous précédait et notre suivant, dont j'ignorais tout, avait pour le tirer, la locomotive qui tractait paraît-il le train présidentiel en temps de paix. Belle machine !
Qui décidait du départ du train? Y avait il encore un chef de gare?, je sais que devant cette dernière, c'est un Général qui réglait la circulation routière, peut être était-ce un Général du train.
Quoi qu'il en soit, mon copain Rupéen et moi avions installé nos sacs dans la cabine du « serre frein » qui se trouve à hauteur du toit du wagon, sur lequel étaient déposés nos vélos, les escaliers d'accès à la cabine nous servant de sièges.
Il n'y avait plus qu'à attendre la mise en route. Nous étions capables maintenant d'aller loin.
Nous sommes effectivement partis mais pour stopper au bout d'une quinzaine de kilomètres. La sonnerie énergique d'un clairon nous fit descendre de notre perchoir pour nous coucher dans le fossé en ciment qui longe la voie.
Des avions italiens prenaient en enfilade le convoi et lâchaient leurs bombes courageuses sur leurs proies faciles.
L'alerte terminée, le constat restait à faire pour découvrir que le train qui nous précédait, avec ses wagons en bois était en grande partie détruit. Le nôtre n'avait pas été touché, heureusement d'ailleurs, car en sortant de notre planque, nous nous sommes aperçus qu'il s'agissait d'un train de munitions ! Hmm !
Nous ne l'avons pas quitté pour autant, nous en avions tellement marre, alors « Inch Allah »! »
La ligne une fois dégagée autorisa la poursuite de notre voyage, via Annecy (Haute Savoie), Chambéry (Savoie) sans doute, Grenoble (Isère) sûrement, puis ce fut Romans (Drôme), près de Valence (Drôme) où les services de la Croix Rouge nous demandaient si nous avions de la famille plus au sud, auquel cas nous pouvions poursuivre.
Sans doute avions nous répondu affirmativement puisque nous nous sommes retrouvés sur le quai de la gare de Tarbes -(Hautes Pyrénées) (oui, vous avez bien lu), Hautes Pyrénées, terminus du voyage.... Plein sud, en effet !.
Il y avait là un comité d'accueil de chez Panhard, mais nous ne nous sommes pas sentis concernés, qu'auraient-ils fait de quatre cultivateurs et un « saute ruisseau » (un garçon de courses), dans une usine d'armement ? .... Désarmant !!
Finalement nous avons été conduits en car à la campagne, dans un petit village du nom de Bazillac (Hautes Pyrénées) (non, pas les vignes!), pour être répartis chez les cultivateurs et aider à la fenaison, comme le faisait déjà à notre arrivée un lot d'aviateurs de la base de Saint Dizier (Haute Marne), replié dans le coin. Pauvre France !.
Les tâches journalières étant effectuées, qui justifiaient amplement le gîte, le couvert et trois sous d'argent de poche, nous nous retrouvions pour taper le ballon, séance qui se terminait régulièrement devant un demi de bière au seul café du bourg.
Ce n'était pas tellement la blonde bière, pas plus que la blonde serveuse, quoique fort jolie, qui nous y rassemblaient. C'est surtout que nous pouvions y consulter la « Dépêche du midi » qui publiait des pages et des pages d'adresses de réfugiés parmi lesquels j'avais toujours l'espoir d'y voir figurer un Chonavel, à commencer par mon père.
Ce fut le cas ou presque, un beau soir où je trouvais là, à droite, tout à fait en bas de page ce Chonavel, mais de Bar Le Duc (Meuse).
C'était mon oncle Armand qui était replié à Roquecourbe, dans le Tarn, près de Castres, avec la « compagnie de guet de la Meuse », placée sous son commandement.
Pour qui l'ignore, il faut savoir que ces guetteurs, généralement des territoriaux, avaient comme tâche de scruter le ciel, pour identifier les avions ennemis qui passaient et d'en informer la DCA, qui devait leur tirer dessus.
Rétrospectivement, je doute de l'efficacité d'une telle arme, quand on sait que l'avion ennemi était de préférence un Dornier parce que Messerschmitt était trop difficile à écrire.
Quoiqu'il en soit, j'écrivis le soir même à cet oncle pour lui dire ma situation. Le lendemain, c'est un télégramme qui me demandait de venir le rejoindre au plus tôt.
Vous êtes en droit de traduire que je suis né sous une bonne étoile.
Il me fallut donc dire au revoir aux copains et ce, non sans une pointe de tristesse, pour mettre cap sur Roquecourbe où je trouvais mon oncle, bien installé en sa qualité d'officier, chez un industriel de l'endroit, un lainier, comme il se doit dans la région.
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Ainsi se termine cette aventure commune qui liait Jean Febvay et Yvan Chonavel, aventures qui reviendront sûrement sur la table à chaque fois que ces deux copains se retrouveront
Profitant de ses « mémoires de guerre » et de sa solide mémoire, je vous communique à présent la suite des pérégrinations d'Yvan, qui nous apportent bon nombre d'anecdotes qu'il convenait de sauvegarder, elles aussi. (N – d r)
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Cette famille d'industriels, chargée de notre hébergement, était tout à fait agréable et leurs deux fils, en âges encadrant le mien, furent tout au long de mon séjour, absolument sympas. Je vivais là de royales vacances, oui mais le but à poursuivre dès lors que mon oncle serait démobilisé était de remonter dans l'Est où nos familles respectives, dans la Meuse et dans les Vosges, vivaient des situations que nous ignorions totalement.
Pour nous retrouver au point de départ de ce périple sudiste, il nous fallait faire face à des difficultés toutes récentes bien sûr puisque mise en place par l'occupant, c'était le franchissement de lignes de démarcation entre la zone dite « libre », au sud et « occupée », au nord, ce qui coupait la France en deux. En ce qui nous concernait, il y avait encore « gros obstacle » à passer en zone interdite où se trouvaient précisément nos points de chute.
L'Alsace, la Lorraine étant déjà de nouveau annexées, la zone interdite, qui risquait à échéance de connaître le même sort, était une bande de territoire d'une cinquantaine de kilomètres de large, qui, partant du nord, longeait la frontière jusqu'au sud est de Besançon., à hauteur de Genève.
Ensuite, les Italiens prenaient, si je puis dire, le relais pour continuer le tracé jusqu'à Nice.
La stratégie de mon oncle était donc dans un premier temps, de se rapprocher de la zone occupée, et de là, voir par quel moyen il nous serait possible de progresser.
Carte en mains, il convenait de déterminer quel serait l'endroit le mieux adapté pour cette première halte. Eh bien ce fût Mâcon, Chef lieu du département de la Saône et Loire, qui fut retenu. (...)
Nous voici donc installés dans un petit appartement du numéro ? de la rue Dufour, propriété d'une dame Marchand (...) lorsque mon oncle décida de régler notre loyer, faire nos bagages, puis nos adieux pour nous diriger vers je pense Lons le Saunier, pour tenter de pénétrer directement en zone interdite, ce qui était une bonne idée, quand on peut faire simple ...
J'ai le vague souvenir, dans une brume matinale, mais avant le petit jour, car nous étions déjà en Novembre, d'un « passeur », rémunéré bien entendu, qui nous montra la sentinelle allemande qui passait et repassait sur un pont dont il avait la surveillance.
Il se déplaçait de toute évidence à une distance respectable, de part et d'autre de l'ouvrage, ce qui devait nous permettre de franchir la rivière presque à pied sec à cet endroit, avec quelques bagages ... et le vélo, mais surtout sans bruit, et détaler à toutes jambes dès que nous serions sur l'autre rive, toujours avec la même discrétion, jusqu'à être à l'abri du premier virage pas très éloigné.
Ceci fut fait, mais je me demande encore comment. Ouf !, mais nous avions serré les fesses.
Immédiatement nous nous sommes sentis libres, en même temps que pousser des ailes pour progresser vers le nord.
La zone libre était pour nous une sorte de prison dont il fallait sortir à tout prix, et au plus vite, pour retrouver notre chez nous, lui que nous avions quitté depuis presque cinq mois déjà, dans la débâcle.
Ce sont les cars successifs de la Compagnie de transport Citroën, qui enfin en ce début novembre, nous déposèrent à Rupt Sur Moselle.
Nous sommes arrivés à la maison en plein midi, à l'heure de la soupe, toute la famille autour de la table, complètement ahurie de nous voir débarquer sains et saufs et venant d'où ? Même le chien, un berger allemand du nom de Floflo, s'étonnait de cette espèce de parachutage à lui couper le souffle, au point de ne pouvoir dire mot. (...)
Mon périple raconté, mon père me fit savoir qu'avec la 11 Cv du père Remy, ils étaient descendus jusqu'à Langogne, chef lieu de canton de La Lozère, pour remonter presque aussitôt. Comprenne qui pourra, mais il est certain qu'il était préférable de profiter de ce grand flou, dans ces premiers temps de l'occupation, pour tirer son épingle et regagner ses pénates. (...)
Et si nous nous inquiétions quelque peu des journées qui suivirent notre départ de Rupt sur Moselle au mois de juin 1940!
Le 18 Jjin 1940, les Allemands occupaient les hauteurs de Maxonchamp, deuxième section de la commune, venant de Remiremont d'où ils commencèrent le pilonnage du centre du village où se trouvaient encore passablement de soldats français.
Parallèlement, les avions italiens (encore eux) apportaient leur triste contribution en arrosant le secteur de bombes incendiaires.
La rue de l'église avait plus spécialement souffert et c'était bien triste à voir. Tout ceci non sans casse humaine car de nombreux soldats français et allemands trouvèrent la mort à la suite des affrontements qui s'en suivirent.
Cet hiver dans lequel nous étions irrémédiablement embarqués sera dur à tous les égards: Le black-out, beaucoup de neige, un froid très vif, les restrictions alimentaires et de déplacement, enfin le bruit des bottes teutonnes martelant le macadam ou crissant sur la neige damée, qui nous laissait entrevoir une annexion à court terme.
Il y avait au bureau où j'avais repris rapidement mon emploi de « saute ruisseaux », une personne dont je tairai le nom, qui était apparue au début de ce que l'on appelait la drôle de guerre, (voir lexique Ndr) venait de je ne sais où, pour faire quoi ?, je l'ignore encore, n'ayant aucun contact avec la population ouvrière, et que je sache pas d'avantage avec l'extérieur.
Elle vivait avec un monsieur, étranger à la commune, dont là encore, nous ne savions strictement rien, bref, autant d'inconnues qui firent que le bruit courut rapidement que ces deux personnes devaient appartenir à la cinquième colonne, entendez par là ces espions à la solde de l'ennemi! Qu'en était il exactement, je n'en saurai jamais rien, mais ce qui est certain, c'est que cette « collègue » si discrète, fit, je dirais, basculer toute ma vie. Je m'explique:
Un jour d'août 1941, par quel hasard, je ne saurais dire, nous avons eu une conversation sur l'avenir en général, mais elle préféra parler du présent ou de l'avenir proche et me confia dans un premier temps que les Allemands avaient réquisitionné les jeunes Alsaciens pour les envoyer travailler en Allemagne au bénéfice du Grand Reich, après quoi ils les enrôlaient dans la Wehrmacht !
La ligne de crête qui nous sépare de l'Alsace est là, toute proche, les intentions de l'occupant à notre égard, nous les subodorons, alors de là à connaître le sort de nos voisins, il n'y avait qu'un pas qui serait vite franchi, si le besoin s'en fait sentir.
Il n'était pas nécessaire d'avoir fait l'ENA, pour traduire ce qui nous pendait au nez.
C'est sur ces bases que je muris l'idée de quitter Rupt, discrètement à échéance rapprochée autant que possible, pour piquer vers le sud, mais de quelle façon, pour aller où et y faire quoi?
Chaque jour j'essayais de me souvenir, mais en détail, le chemin emprunté l'année précédente pour faire Mâcon/Rupt, au cas où il me faudrait le faire à nouveau mais en sens inverse.
J'avais un copain qui s'était engagé dans la marine avant la guerre, compte tenu de mon absence de spécialisation, ce pourrait être là une ouverture non?
Voilà qui demandait une réflexion sérieuse.... au bout de laquelle, je décidai d'en faire autant.
J'avoue que déjà, je me voyais au delà de l'hexagone, mais comment faire pour en arriver là?
Je vous rappelle que nous sommes en zone interdite, sous contrôle allemand et que Toulon n'a jamais été le chef lieu du département des Vosges!
En Septembre 1941, l'escadron de gendarmerie était toujours en place à Rupt sur Moselle.
Je me suis rendu à leur bureau pour constater qu'une affiche incitait à s'engager dans la marine.
Je fis part de mes intentions qui allaient dans le sens de cet appel et fus orienté vers le bureau de recrutement d'Epinal, où je me rendis pour signer un engagement de trois ans dans « La Royale », en vertu de quoi je reçus un bon de transport à utiliser sur la SNCF pour me rendre à Toulon, au 5ème dépôt des équipages de la flotte. (...).
Je m'y présentai, en tout premier lieu au service médical dont la réussite à l'examen conditionnait l'engagement ou non. Or si l'état général était bon, en revanche le rapport poids/hauteur, ce qu'ils appelaient le pignet, n'était pas dans leur grille.
Catastrophe pour moi qui me voyait déjà à la rue.
Un toubib qui passait par là, comprit heureusement le problème et signa un « bon pour le service », qui me permit de poursuivre sous le matricule 10.233T41, non seulement pour trois ans mais pour la durée de la guerre. (...)
Chacun sait que dans cette arme, tout individu doit être qualifié, dans une spécialité ou une autre, fonction notamment de son Q.I.
Je fus ainsi autorisé à participer au cours de radiotélégraphiste, qui eut lieu à bord d'un cuirassé, « Le Concordet » (1922 / 1939) désarmé pour devenir navire école. (...)
Me voici donc matelot radio et placé en attente d'affectation. Je fus affecté au Service mobile de la Défense de Dakar, oui, au Sénégal.
Il faut rappeler ou faire savoir, que peu de temps avant, les Anglais, sous le prétexte de vouloir rallier l'Afrique occidentale française, à la cause du grand Charles, s'étaient régalés en attaquant la flotte au mouillage, dans le port, et se préparaient à remettre ça.
Il fallait donc aller meubler un peu plus ce secteur sénégalais où, mais .... chuuut!, se trouvait l'essentiel de la réserve d'or, évacuée par la banque de France.
Embarqué à Marseille, à bord d'un transport de troupes, « La Providence », nous nous sommes payés un chalutier espagnol, de nuit, au large de Valence, où nous sommes allés le déposer. Nous avons repris notre route vers Gibraltar, bien sûr, à la vitesse d'environ douze nœuds, nous avons fait route sur Dakar, où sitôt arrivé, j'ai rejoints mon aviso d'affectation qui affichait encore sur la coque en lettres d'or « Air France I ». (...)
Attardons-nous quelques instants sur ces avisos.
Ils étaient quatre à l'origine, conçus dans les années trente, aux chantiers de Bretagne, à Nantes pour le 3 et le 4, le 2 à Sète, le 1 (le mien), aux chantiers du sud ouest à Bordeaux.
Tous destinés à remplacer ceux vieillissants, loués un franc symbolique par an pour assurer le service postal sur la relation DAKAR (Sénégal) / NATAL (Brésil), tronçon encore infranchissable par les moyens aériens.
Ces petits nouveaux avaient des caractéristiques identiques, à savoir 60m X 7,2m X 2,3m – 48 tonnes propulsées à 18 noeuds par deux moteurs Diesel Sulzer de 1350 CV chacun.
Très effilés, peu de tirant d'eau, tout en superstructures, dès les essais au sortir des chantiers, il s'avéra nécessaire de les équiper de quilles latérales de cinquante centimètres de largeur sur une grande partie de la coque afin de réduire l'effet roulis, et malgré cela, à partir de 35° de gite, on se demandait s'ils étaient capables de se redresser.
D'ailleurs, ce plus ajouté pour limiter les dégâts, n'empêcha pas le II de couler corps et biens après son départ de NATAL dans la nuit du 11 août 1932.
Ces faits confirmaient le jugement des équipages qui en firent les essais, qui les déclarèrent « pas marins ».
Ainsi furent mis en place deux chariots de grenades de cent Kg, à l'arrière, une mitrailleuse double sur le spardeck et enfin sur la plage avant, fut édifié une sorte d'échafaudage métallique qui eut à supporter un canon de 75.
Si certains éléments alourdissaient, cet autre, à l'avant, ajoutait encore en cas d'instabilité et Dieu sait si cette situation était fréquente, pour ne pas dire constante.
A peine sorti de l'abri portuaire, ce bâtiment, j'aurais envie de dire, cette danseuse, se mettait à remuer.
Mon poste de combat était précisément là, servant de hausse et de dérive à cette « pétoire », alors imaginez le sport, tourner la manivelle qui va faire tourner le canon verticalement en même temps que tourner l'autre petite manivelle qui va le faire bouger, elle aussi mais latéralement, ceci dans le but d'atteindre un objectif, qui se déplace et roule et tangue lui aussi, vous conviendrez que cela relève un peu de la fête foraine.
Notre rôle était de chasser les sous-marins, nombreux, notamment dans les parages des Iles du cap Vert, escorter les bateaux qui , de la côte, devaient rejoindre au grand large les convois de dizaines de bateaux qui montaient sous bonne escorte, soit de l'Afrique du Sud, soit d'Amérique du Sud.
Dans ce type d'opérations, notre faible tirant d'eau se révéla souvent bien utile, tandis que les grenadages anticipaient sur les corvées de piquage de rouille.
(...). A la radio, je faisais comme mes deux autres copains, les 3/8 à la mer, où nous passions tout de même les deux tiers de notre temps, le troisième étant occupé au piquage de la coque qui avait droit alors à sa couche d'antirouille puis de peinture.
Le temps passait, pratiquement sans nouvelles. Des cartes de la Croix Rouge avaient bien été instaurées, à raison d'une par quinzaine, mais quel intérêt? Elles étaient réduites à leur plus simple expression et tracées à l'avance puisque dans le style: « Je suis en .... santé ». Vous n'alliez tout de même pas noircir le tableau.
La hâte était grande chez tous de participer aux opérations de libération, mais cela revenait à désarmer les bateaux, d'où l'interdiction des « pachas » de laisser filer leurs gars. (...).
Finalement, je quitte donc Dakar, pour faire un pas dans la bonne direction, mais pas assez loin puisque je débarque à Casablanca (Maroc), sans affectation précise, mais en subsistance, sur un autre chasseur de sous marin, « l'Enjoué ».
Puis le sort voulut qu'un jour, l'Etat Major eut besoin d'un radio.
Etant en surplus à bord de « L'Enjoué », il me fallut débarquer à mon grand regret, alors que le bateau partait pour Gibraltar.
Un cran de plus fut tout de même accompli le 11 décembre 1944 lorsqu'une Corvette des FNFL, le Cdt Drogou, me transporta de « Casa » à Brest (Finistère) d'où je devais gagner Rennes (Ille et Villaine), un dépôt où devait être constitué une unité de fusiliers marins destinée à la 1ère Armée.
La ligne bleue de mes Vosges serait-elle bientôt en vue?
Eh bien, il me fallut tout d'abord séjourner à Bordeaux (Gironde) où l'état major de la marine venait de s'installer, proche de la fameuse poche de résistance de Royan (Charente Maritime). Un mois de perdu.
Me voilà enfin dans cette unité, dite de marine aux armées. C'était le groupe « Phoque », qui constituait le « combat command N° 5 » appartenant à la 5ème DB, relevant elle même de la 1ère Armée Française du Général De Lattre de Tassigny.
L'hiver n'était pas terminé, loin s'en faut, lorsque nous avons rejoint Altkirch dans le Haut Rhin, et ce fut très dur pour rejoindre Erstein (67), avant de passer le Rhin et foncer pour bloquer dans la Forêt Noire les quelques 30 à 40.000 hommes, dont le 18ème corps d'armée SS, qui s'y réorganisait, et auquel il ne manquait ni cadre, ni artillerie, ni fanatisme, ce qui leur permettait de tenter une sortie en force, ce qui fit souvent très mal.
Puis il convenait d'atteindre rapidement les bords du lac de Constance pour éviter les évasions vers la Suisse frontalière.
C'est précisément au bord de ce lac, à Friedrichafen, puis à Immenstaat que nous nous sommes installés, dans le premier cas pour investir les usines Dornier, dans le second, pour préparer l'arrivée d'une escadrille d'hydravions torpilleurs qui assurera la surveillance du lac.
L'armistice signé, j'obtins quelque temps après, l'autorisation d'accompagner à Strasbourg, un convoi transportant paraît-il un engin fort intéressant, que nous avions récupéré chez Dornier.
J'en profitai alors pour aller jusqu'à Rupt Sur Moselle, embrasser mes parents où j'arrivai dans la nuit du samedi au dimanche, à leur très grande émotion, je dois le dire, mais oh combien partagée !.
Pressé le dimanche matin d'aller trouver quelques copains, je m'en fus au village sur les coups de 11 heures pour voir quoi?, qui?, défiler les prisonniers de guerre que nous, ou les Alliés venions de libérer, les jeunes qui n'avaient pas pu échapper au STO en Allemagne, le tout précédé par une fanfare, puis des drapeaux, le Maire et son conseil municipal et enfin la population, bref, on hissait le grand pavois pour fêter glorieusement ces retours sans doute.
Le temps de la permission qui m'était accordée touchant à sa fin, je regagnai ma base.
L'heure de la démobilisation ne pouvant qu'être proche, je commençais à réfléchir sur ce que pouvait être mon avenir.
D'abord m'offrir quelques semaines de vacances, ce qui ne me semblait pas excessif, puis de retrouver l'usine, et de là, voir quelles seraient les ouvertures possibles, quelle carrière je pouvais faire dans le textile ou alors dans la radio, mais quoi? Mais où?, la encore, il convenait d'attendre la suite des événements.
Ils ne me firent pas attendre très longtemps. C'est mon « officier trans » qui vint me voir et me posa la question que j'attendais: « Alors Chonavel, qu'allez vous faire une fois démobilisé? Est ce qu'il vous intéresserait d'entrer à Air France? » . Vous imaginez ma réponse. (...)
Ainsi se termina une « plaisanterie » qui dura tout de même plus de cinq ans. (...)
yves philippe- MODERATEUR
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Date d'inscription : 28/12/2010
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