RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE GEORGETTE COURROY VVE ROBERT HINGRAY
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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RUPT SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE GEORGETTE COURROY VVE ROBERT HINGRAY
Voici quelques souvenirs de guerre de vos grands-parents :
Nous avions tous les deux 14 ans à la déclaration de guerre en août 1939.
Les hommes jeunes et valides furent mobilisés, notre voisine s'est retrouvée seule à sa ferme avec deux petits enfants et sa vieille mère. Elle avait beaucoup de travail et de mal. Partout il y avait des cas semblables.
L'hiver 39/40 fut morne et triste, on attendait, on ne savait rien. De temps à autre, on apprenait qu'un soldat avait été tué.
Mon père, ancien de 14-18, était comme ses camarades, très pessimiste. Il pensait que les Allemands voulaient prendre leur revanche et que rien n'était gagné. Ils avaient raison, dès le printemps, les Allemands envahirent le Nord et L'Est de la France. Ils furent bientôt à notre porte.
Quelle débâcle! On avait peur.
La gare d'Epinal fut bombardée et détruite. Les avions venaient faire demi-tour au dessus de nos têtes alors que nous étions dans les champs à faire les foins. D’ici, on entendait les bombes exploser. Quand les ennemis arrivèrent à Rupt, il y eu un gros incendie de plusieurs maisons dans la rue de l'église, des blessés parmi les civils, une femme est restée handicapée.
Pendant l'été 40, les familles de soldats ont vécu un vrai calvaire. Certaines sont restées sans nouvelle et c'est seulement en octobre que l'on a su enfin ce qu'ils étaient devenus. Les uns étaient prisonniers, d'autres avaient été tués, comme le frère à Robert Gabriel qui n'avait que 20 ans.
Dans les usines, n'y travaillent plus que des femmes et des vieux, et bientôt toute l'activité se fait au ralenti.
Alors commença pour nous cette triste et longue période de l'occupation. Les vivres se firent rares, tout était rationné par catégorie. J-1, J-2, J-3, travailleurs de force etc.
Nous avions la chance tous les deux de vivre dans des fermes de montagne.
Si le menu était frugal, nous n'avions pas faim, bien que l'occupant fût très sévère. Toutes les bêtes de la ferme devaient être déclarées en mairie, tout comme les pommes de terre, le seigle et l'avoine récoltés. On arrivait bien sûr à tricher malgré le « contrôle économique », même faire moudre un peu de grain au moulin pour avoir de la farine. Les gens du village venaient se ravitailler à la ferme et nous faisions ce que nous pouvions pour eux. Beaucoup allaient en Haute Saône où c'était moins sévère qu'ici en Lorraine.
Plus de chaussure, ni de tissu, plus d'habit, il fallait des bons à demander en mairie. Nous étions de ceux qui n'en avaient jamais. Il y avait bien le marché noir, mais c'était cher et ça nous répugnait alors on se débrouillait. Les quelques hommes qui restaient dans les fermes faisaient des sabots en hiver, les femmes filaient et tricotaient la laine des moutons, cousaient des chaussons dans de vieux draps noirs. On recherchait dans les greniers les anciennes robes et manteaux de nos grands-mères et on cousait tout ça au mieux.
Tout le monde travaillait beaucoup, plus la moindre distraction, plus de fêtes, le moindre lopin de terre était cultivé, dans la vallée comme dans la montagne. Chacun élevait quelques lapins et poules. Le peu de viande qui restait en boucherie n'était pas bonne, les Allemands prenaient les plus belles bêtes. Ils en formaient de grands troupeaux que les hommes encore valides devaient conduire à Belfort par le Ballon d'Alsace. Ils craignaient toujours de ne pouvoir revenir.
On devait camoufler les lumières dès la tombée de la nuit. Souvent, vers minuit, on entendait passer les avions américains, des forteresses volantes qui allaient bombarder les villes allemandes sur le Rhin. On les entendait ensuite revenir, c'était sinistre.
Les jeunes hommes devaient partir travailler contre leur gré en Allemagne. Certains ne sont pas revenus, tués dans le bombardement de leur usine.
On écoutait la radio, la BBC à Londres, retransmise par Radio Luxembourg, en cachette bien sûr, car il y avait la milice et les collaborateurs. On savait qu'il y avait aussi les maquis qui donnaient du fil à retordre à l'ennemi.
Ceux qui étaient pris étaient déportés dans des camps allemands puis torturés.
Marie Grisvard, qu’on appelait Kiki, tenait une boulangerie à Maxonchamp. Elle ravitaillait le maquis, ce qui lui a valu d’être déportée à La Vierge à Epinal.
On avait peur et on détestait les Allemands et le régime de Vichy.
On pensait que cette guerre ne finirait jamais.
On entendait parler d'un débarquement possible, on n’y croyait guère.
Un jour, votre grand-mère se promenait à pied vers la barrière de Rupt, elle a été abordée par des Allemands en side-car. Elle se trouvait avec son amie Angèle Mauffrey, laquelle avait un vélo. Les Allemands nous ont demandé si nous connaissions Roger Frech. Nous avons répondu par la négative. Les Allemands nous ont laissées et Angèle, avec sa bicyclette est alors allée tout de suite chez Roger pour le prévenir. Il ravitaillait le maquis des dessus de Rupt et les Allemands devaient le savoir. Ainsi Roger a pu s’enfuir et échapper à un sort dramatique.
Enfin il a eu lieu ce fameux débarquement.
On reprit courage, et enfin, en septembre, ce fut la libération. La nuit précédente, il y eu un violent combat sur la crête. C'était un bruit d'enfer ! Les mitrailleuses, les coups de fusils, le ciel était embrasé par les fusées et les balles traçantes, bien vite tout le monde est descendu dans les caves. Nous y étions nombreux car les gens du village avaient peur et s'enfuyaient dans la montagne. Ils savaient que les villes de Gérardmer et La Bresse avaient été incendiées.
Bien sûr, mon père avait prévu pelles et pioches au cas où la maison aurait été touchée.
Le lendemain, au petit matin les Allemands rescapés descendaient dans la vallée par petits groupes et l'après midi, ô joie, les premiers chars américains sont arrivés. Ils étaient très chaleureux et distribuaient des boîtes de conserve et de viande, du café soluble, des cigarettes, du chewing-gum. Nous étions émerveillés de voir comme tout était bien conditionné.
Les Allemands qui avaient été battus sur le secteur La Beuille/ Le Hanot, ont fui en abandonnant leurs armes. Dans leur repli vers La Charmotte, ils ont trouvé une cache d’armes, vraisemblablement laissée là dans une grange désaffectée par les FFI et s’en sont dotés. En représailles, ils ont mis le feu à la ferme Breinlen.
Il fallut mettre des ponts provisoires sur la Moselle car les Allemands avaient tout fait sauter.
Heureusement qu'un pont Belay était resté intacte, derrière l'usine de Maxonchamp, après quelques arrangements il a tout de même permis de faire passer la troupe à pied et les véhicules légers.
Les durs combats ont continué tout l'hiver dans les Hautes Vosges. La population a beaucoup souffert.
Un cimetière militaire fut construit au Bennevise.
Enfin les alliés furent vainqueurs, arriva le 8 mai. Je me souviens de ce jour-là, il faisait très beau, le ciel tout bleu et j'ai pleuré de joie en entendant les cloches sonner dans toute la vallée.
Nous avions maintenant vingt ans. Où était passée notre jeunesse? Vous comprendrez qu'aujourd'hui, je n’ai pas envie d’assister aux fêtes du village consécutives à son jumelage avec cette ville d'Allemagne.
Nous avions tous les deux 14 ans à la déclaration de guerre en août 1939.
Les hommes jeunes et valides furent mobilisés, notre voisine s'est retrouvée seule à sa ferme avec deux petits enfants et sa vieille mère. Elle avait beaucoup de travail et de mal. Partout il y avait des cas semblables.
L'hiver 39/40 fut morne et triste, on attendait, on ne savait rien. De temps à autre, on apprenait qu'un soldat avait été tué.
Mon père, ancien de 14-18, était comme ses camarades, très pessimiste. Il pensait que les Allemands voulaient prendre leur revanche et que rien n'était gagné. Ils avaient raison, dès le printemps, les Allemands envahirent le Nord et L'Est de la France. Ils furent bientôt à notre porte.
Quelle débâcle! On avait peur.
La gare d'Epinal fut bombardée et détruite. Les avions venaient faire demi-tour au dessus de nos têtes alors que nous étions dans les champs à faire les foins. D’ici, on entendait les bombes exploser. Quand les ennemis arrivèrent à Rupt, il y eu un gros incendie de plusieurs maisons dans la rue de l'église, des blessés parmi les civils, une femme est restée handicapée.
Pendant l'été 40, les familles de soldats ont vécu un vrai calvaire. Certaines sont restées sans nouvelle et c'est seulement en octobre que l'on a su enfin ce qu'ils étaient devenus. Les uns étaient prisonniers, d'autres avaient été tués, comme le frère à Robert Gabriel qui n'avait que 20 ans.
Dans les usines, n'y travaillent plus que des femmes et des vieux, et bientôt toute l'activité se fait au ralenti.
Alors commença pour nous cette triste et longue période de l'occupation. Les vivres se firent rares, tout était rationné par catégorie. J-1, J-2, J-3, travailleurs de force etc.
Nous avions la chance tous les deux de vivre dans des fermes de montagne.
Si le menu était frugal, nous n'avions pas faim, bien que l'occupant fût très sévère. Toutes les bêtes de la ferme devaient être déclarées en mairie, tout comme les pommes de terre, le seigle et l'avoine récoltés. On arrivait bien sûr à tricher malgré le « contrôle économique », même faire moudre un peu de grain au moulin pour avoir de la farine. Les gens du village venaient se ravitailler à la ferme et nous faisions ce que nous pouvions pour eux. Beaucoup allaient en Haute Saône où c'était moins sévère qu'ici en Lorraine.
Plus de chaussure, ni de tissu, plus d'habit, il fallait des bons à demander en mairie. Nous étions de ceux qui n'en avaient jamais. Il y avait bien le marché noir, mais c'était cher et ça nous répugnait alors on se débrouillait. Les quelques hommes qui restaient dans les fermes faisaient des sabots en hiver, les femmes filaient et tricotaient la laine des moutons, cousaient des chaussons dans de vieux draps noirs. On recherchait dans les greniers les anciennes robes et manteaux de nos grands-mères et on cousait tout ça au mieux.
Tout le monde travaillait beaucoup, plus la moindre distraction, plus de fêtes, le moindre lopin de terre était cultivé, dans la vallée comme dans la montagne. Chacun élevait quelques lapins et poules. Le peu de viande qui restait en boucherie n'était pas bonne, les Allemands prenaient les plus belles bêtes. Ils en formaient de grands troupeaux que les hommes encore valides devaient conduire à Belfort par le Ballon d'Alsace. Ils craignaient toujours de ne pouvoir revenir.
On devait camoufler les lumières dès la tombée de la nuit. Souvent, vers minuit, on entendait passer les avions américains, des forteresses volantes qui allaient bombarder les villes allemandes sur le Rhin. On les entendait ensuite revenir, c'était sinistre.
Les jeunes hommes devaient partir travailler contre leur gré en Allemagne. Certains ne sont pas revenus, tués dans le bombardement de leur usine.
On écoutait la radio, la BBC à Londres, retransmise par Radio Luxembourg, en cachette bien sûr, car il y avait la milice et les collaborateurs. On savait qu'il y avait aussi les maquis qui donnaient du fil à retordre à l'ennemi.
Ceux qui étaient pris étaient déportés dans des camps allemands puis torturés.
Marie Grisvard, qu’on appelait Kiki, tenait une boulangerie à Maxonchamp. Elle ravitaillait le maquis, ce qui lui a valu d’être déportée à La Vierge à Epinal.
On avait peur et on détestait les Allemands et le régime de Vichy.
On pensait que cette guerre ne finirait jamais.
On entendait parler d'un débarquement possible, on n’y croyait guère.
Un jour, votre grand-mère se promenait à pied vers la barrière de Rupt, elle a été abordée par des Allemands en side-car. Elle se trouvait avec son amie Angèle Mauffrey, laquelle avait un vélo. Les Allemands nous ont demandé si nous connaissions Roger Frech. Nous avons répondu par la négative. Les Allemands nous ont laissées et Angèle, avec sa bicyclette est alors allée tout de suite chez Roger pour le prévenir. Il ravitaillait le maquis des dessus de Rupt et les Allemands devaient le savoir. Ainsi Roger a pu s’enfuir et échapper à un sort dramatique.
Enfin il a eu lieu ce fameux débarquement.
On reprit courage, et enfin, en septembre, ce fut la libération. La nuit précédente, il y eu un violent combat sur la crête. C'était un bruit d'enfer ! Les mitrailleuses, les coups de fusils, le ciel était embrasé par les fusées et les balles traçantes, bien vite tout le monde est descendu dans les caves. Nous y étions nombreux car les gens du village avaient peur et s'enfuyaient dans la montagne. Ils savaient que les villes de Gérardmer et La Bresse avaient été incendiées.
Bien sûr, mon père avait prévu pelles et pioches au cas où la maison aurait été touchée.
Le lendemain, au petit matin les Allemands rescapés descendaient dans la vallée par petits groupes et l'après midi, ô joie, les premiers chars américains sont arrivés. Ils étaient très chaleureux et distribuaient des boîtes de conserve et de viande, du café soluble, des cigarettes, du chewing-gum. Nous étions émerveillés de voir comme tout était bien conditionné.
Les Allemands qui avaient été battus sur le secteur La Beuille/ Le Hanot, ont fui en abandonnant leurs armes. Dans leur repli vers La Charmotte, ils ont trouvé une cache d’armes, vraisemblablement laissée là dans une grange désaffectée par les FFI et s’en sont dotés. En représailles, ils ont mis le feu à la ferme Breinlen.
Il fallut mettre des ponts provisoires sur la Moselle car les Allemands avaient tout fait sauter.
Heureusement qu'un pont Belay était resté intacte, derrière l'usine de Maxonchamp, après quelques arrangements il a tout de même permis de faire passer la troupe à pied et les véhicules légers.
Les durs combats ont continué tout l'hiver dans les Hautes Vosges. La population a beaucoup souffert.
Un cimetière militaire fut construit au Bennevise.
Enfin les alliés furent vainqueurs, arriva le 8 mai. Je me souviens de ce jour-là, il faisait très beau, le ciel tout bleu et j'ai pleuré de joie en entendant les cloches sonner dans toute la vallée.
Nous avions maintenant vingt ans. Où était passée notre jeunesse? Vous comprendrez qu'aujourd'hui, je n’ai pas envie d’assister aux fêtes du village consécutives à son jumelage avec cette ville d'Allemagne.
yves philippe- MODERATEUR
- Nombre de messages : 2134
Ville : le Ménil
Age : 60
Points : 2755
Date d'inscription : 28/12/2010
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