LE MENIL - SOUVENIRS DE JOSEPH HINGRAY
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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LE MENIL - SOUVENIRS DE JOSEPH HINGRAY
Je suis né le 30 Mai 1917, je viens d'avoir nonante et un ans il y a peu.
Jusqu'à ce que je sois incorporé au service militaire, j'habitais au Ménil, au centre, à côté de chez Choffel, en face de chez Camille Maurice, dans une maison qui a été rasée depuis et qui appartenait à Eugène Philippe, l'industriel, propriétaire du tissage du même nom.
J'ai été incorporé au service militaire où j'ai fait trois ans. J'étais au 162 ème régiment d'infanterie de Strasbourg. J'ai donc fait mon service sur la ligne Maginot, avec Pierre Voirin qui habitait aux Granges du Ménil et qui était de ma classe.
Je n'ai donc pas eu d'interruption entre mon service militaire et la mobilisation pour la guerre.
A l'entrée en guerre, j'ai été envoyé en renfort avec ma pièce d'artillerie au 226ème d'infanterie qui tenait le Donon.
Que vouliez vous que je fasse avec mon canon de 25 contre des chars. J'ai donc été fait prisonnier à Wissembach ( Bas Rhin) dans la forêt du Donon.
Mais je n'ai été fait prisonnier que deux jours, je me suis arrangé pour que ma captivité ne dure pas plus longtemps.
A vrai dire, on ne savait pas qu'on était prisonnier. Après nous avoir rassemblés, les Allemands nous ont dit qu'ils allaient nous conduire à St Dié pour nous démobiliser.
Nous sommes donc partis à pied , en colonne, le long des sentiers, encadrés par des soldats allemands. Il y avait des sentinelles devant et derrière.
La direction que nous prenions m'a semblé étrange, je n'avais pas l'impression que nous allions vers St Dié. Des troufions m'ont même dit qu'on allait vers Schirmeck (Bas Rhin).
Je n'avais déjà rien dans le ventre, en plus Schirmeck au lieu de St Dié, tout ça ne m'a pas plu.
A la faveur d'un sentier étroit, où notre colonne s'était donc étirée, j'ai remarqué que les sentinelles n'étaient plus en vue ni devant, ni derrière. A hauteur d'une petite sapinière de 7 ou 8 mètres, je me suis fait un croche pied et ai roulé sous les petits sapins.
Je me suis immobilisé un peu plus bas et ai attendu pour voir ce qui allait se passer. Je voyais passer les pieds de mes camarades puis les bottes des boches qui étaient en serre file.
J'ai attendu encore un peu puis suis parti par la forêt. J'ai marché tout le long sans prendre un chemin.
On avait l'habitude de faire des marches de 50 ou 60 km, ce n'était donc pas la marche à pied qui me faisait peur, de ce côté là, ça allait.
J'avais appris dans mon manuel d'infanterie que pour s'orienter, il fallait utiliser le soleil.
J'avais donc pris un bâton et me dirigeais en fonction de l'ombre que mon bâton faisait sur le sol. Je savais donc où aller.
Quand il n'y avait pas de soleil, je me renseignais. Je me souviens qu'une fois arrivé près d'une ferme j'ai demandé à un homme qui fendait du bois: « Où c'est qu'il se lève le soleil? »
L'homme m'a répondu : « Quoi? »
J'ai répété ma question, il m'a montré une direction et je suis parti dans l'autre. Il a dû se dire : « Il est fada celui là! ».
Arrivé à St Dié, j'ai vu passer un convoi de canons mis bout à bout. C'était une unité polonaise qui avait été faite prisonnière. Je me souviens avoir été interpellé par un adjudant de l'armée Française, il n'avait même plus de ceinturon. Il avait été fait prisonnier lui aussi.
Il m'appelle: « Hé! Hé! »
Je lui répond: « Quoi hé hé!. Moi je rentre chez moi et c'est comme ça!
Il m'a regardé avec des grands yeux et il a dû penser lui aussi que j'étais cinglé.
Je me souviens qu'à St Dié, j'ai dormi sur une chaise longue sur une terrasse de maison. Ensuite j'ai repris ma route, à travers la forêt.
Arrivé avant La Bresse, une dame bien gentille m'a indiqué ce qu'elle appelait le « chemin des ronces » pour arriver à La Bresse.
Je suis arrivé aux Feignes sous Vologne sans le savoir. J'ai bien cru y rester la dedans!
Sans le vouloir, je m'étais trop avancé dans les feignes et je ne pouvais plus bouger, mais je m'enfonçais toujours un peu plus.
Heureusement que j'aimais bien lire des livres d'aventures. J'avais lu qu'en Amérique, ceux qui sont pris dans des sables mouvants se mettent à plat ventre pour offrir une plus grande résistance, et tenter de s'en sortir comme ça. C'est ce que j'ai fait et je me suis mis à ramper dans les feignes et la boue. J'ai pu rejoindre le bord et contourner les feignes.
En passant toujours par la forêt, j'ai pu rejoindre Ventron, puis l'ermitage de Frère Joseph que je connaissais bien puisqu'on y allait tous les ans en pèlerinage. J'ai mangé la haut, et de là je suis redescendu sur les Granges, j'étais revenu au Ménil.
Aux Granges, comme un gros orage arrivait, je me suis abrité sous la porte cochère de la ferme Peltier. Madame Peltier qui était dans son pré et qui remontait pour fuir l'orage m'a trouvé là.
Tout de suite, pour me faire reconnaître, je lui ai dit en patois : « Enne vé mi bien ». ( traduction – Je ne vais pas bien – Ndr).
Mme Peltier m'a conseillé de ne pas poursuivre ma route vers le Pont Charreau où il y avait des Allemands mais de passer par les Essieux.
Aux Essieux, je savais que mon voisin d'en face, Camille Maurice, avait une ferme. Je suis donc allé chez Camille Maurice aux Essieux. Quand j'y suis arrivé, le chien a aboyé d'une certaine façon et Camille est sorti pour m'accueillir. Le chien m'avait reconnu.
Camille m'a invité à manger et à coucher.
Au petit matin, j'ai profité de l'épaisseur de la nappe de brouillard pour atteindre le bas du village et la maison où logeait toujours ma mère. J'ai frappé aux carreaux de sa chambre. Elle a été tout étonnée de me voir là. Je lui ai fait signe de m'ouvrir la porte de derrière et je suis rentré à la maison.
C'était le 07 Juillet 1940, j'avais donc mis une bonne semaine pour rejoindre le Ménil depuis le Donon.
Les Allemands quant à eux, occupaient la maison de Camille Maurice, située en face de la nôtre.
Je me suis mis au lit. J'ai dormi deux jours sans me réveiller. A mon réveil, les draps étaient trempés de transpiration.
Au bout de quelques jours, j'ai commencé à ressortir de chez moi. Un matin, je suis allé faucher de l'herbe pour les moutons que ma mère gardait dans l'écurie.
Une patrouille d'Allemands est passée par là. Elle faisait sa ronde quotidienne, elle montait au Pont Charreau, montait les Granges, passait aux Essieux et redescendait au village.
En passant près de moi, un gradé m'a demandé quelque chose, mais je ne me souviens plus quoi. Il devait chercher quelque chose ou quelqu'un. Comme je connaissais quelques mot d'alsacien , j'ai répondu en faisant le « beugniot »: « Nicht verstehen , nicht verstehen » ( je ne comprends pas, en allemand, - Ndr).
La troupe a fini par repartir mais le dernier de la file m'a dit en passant: « imbécile! ». Je préférais passer pour un imbécile plutôt qu'ils ne me ramassent.
Comme il y avait pas mal de travail à la maison , je suis resté au Ménil quelque temps. Je portais un chapeau que j'avais modelé en forme de triangle comme ceux des Américains. Un jour j'ai croisé deux Allemands qui portaient une machine à écrire qu'ils avaient réquisitionnée je ne sais pas où. Ils m'ont pris pour un Américain. J'ai dû faire intervenir l'abbé Bontemps, qui parlait allemand afin qu'il leur explique que je n'avais rien d'un Américain. J'ai encore eu chaud le coup là.
A un moment, il a bien fallu que je trouve un travail pour gagner deux ou trois sous. J'ai travaillé un temps à « La Vosgienne », c'était une boite d'électricité, comme EDF maintenant, qui était sur Remiremont et où mon beau frère, Gury, travaillait.
Plus tard, comme il y avait des agents de chez Peugeot qui arpentaient les villages pour trouver de la main d'œuvre, je suis allé travailler à Sochaux ( Doubs), avec Adrien Louis, le garde Champêtre.
Je travaillais à la Chaufferie, comme j'avais des notions d'électricien.
Je faisais les trajets à vélo. Ce qu'il y avait de bien chez Peugeot, c'est qu'on pouvait acheter les outils sans bon de sortie. On en ramenait dans nos valises et on les vendait aux paysans contre du beurre ou des fromages.
Un jour, chez Peugeot, des camions allemands nous attendaient à la sortie des équipes dans la cour de l'usine. Tous les ouvriers ont été rassemblés et ont été conduits à Montbéliard pour un simple contrôle d'identité. Voyant ça par une fenêtre, je ne suis pas sorti et suis resté planqué dans un petit local où on entassait les vieux câbles électriques. J'ai attendu là tout le temps de midi, je n'ai même pas mangé.
A 13 heures, je suis allé pointer et j'ai repris le travail avec l'équipe de l'après midi qui a été étonnée de me voir encore là.
Mais quelques jours plus tard, j'ai reçu une convocation pour me rendre à la Kommandantur à Montbéliard ( Doubs). On devait y aller en camion. Ce jour là, je ne suis pas comment j'ai fait mais j'ai, sans le vouloir, encore loupé le camion.
Comme ils avaient mon nom , je savais qu'il fallait à tout prix que je m'y rende avant qu'on ne m'arrête pour de bon.
J'ai donc pris mon vélo et ai pris la direction de la Kommandantur. Arrivé là-bas, sans trop savoir pourquoi, j'ai posé mon vélo contre le mur de la maison, en face de la Kommandantur. J'ai croisé la route, suis entré dans la cour.
J'ai présenté ma convocation au soldat allemand qui était de faction en bas du bâtiment. Il m'a fait signe de monter à l'étage.
Ma convocation était déjà pré remplie, c'était pour une visite d'aptitude au travail.
J'ai passé la visite médicale, mais je me suis rendu compte que les gens qui entraient dans la pièce ne croisaient pas ceux qui avaient déjà passé la visite. Ça m'a paru étrange. Après la visite, ils étaient regroupés dans une autre pièce.
J'ai été reconnu apte, mais avant qu'on ne me dirige dans l'autre pièce, j'ai vu par la fenêtre que mon vélo se trouvait en face, de l'autre côté de la route. J'ai demandé à l'Allemand qui était de faction devant la porte si je pouvais déplacer mon vélo et le mettre dans la cour pour ne pas qu'on me le prenne. L'Allemand à dit à l'autre qui montait la garde en bas que j'allais sortir pour aller chercher mon vélo. Je craignais qu'il lui demande directement d'aller le chercher, mais non.
Je suis descendu, j'ai retraversé la cour, puis la route, j'ai pris mon vélo, j'ai fait demi tour et je me suis enfui.
J'ai longé le sentier des pêcheurs le long du Doubs et ai regagné la Haute Saône.
Le soir, je suis arrivé dans une scierie, près de Mielin (Haute Saône). J'ai cassé la croute là et j'ai passé la nuit dans une grindjotte, ( une petite grange en patois local -Ndr), des environs.
Je suis arrivé au Ménil vers 09h00 du matin.
J'ai attendu encore quelques jours et je me suis dit qu'il fallait que je tente de demander mon compte chez Peugeot.
Comme j'étais toujours en possession de ma convocation, j'ai trouvé un stylo à bille de la même encre et j'ai rajouté «in » devant «apte au travail ». «Apte au travail » devenait donc «inapte au travail ». Avec cette convocation, je me suis donc rendu à nouveau chez Peugeot pour demander mon compte.
Chez Peugeot ils ont été à nouveau surpris de me retrouver là. C'est à ce moment là que j'ai appris que les autres ouvriers avaient été transférés par trains, depuis la Kommandantur, vers des camps en Allemagne.
J'ai dit chez Peugeot que j'avais des hernies et que j'étais inapte au travail. Je leur ai montré ma convocation et ai demandé mon compte. Ils m'ont dit que ça ne se faisait pas comme ça et qu'il fallait que je fasse une demande à l'inspection du travail à Belfort (90) et que si je n'avais pas de réponse sous huit jours, c'est qu'elle était refusée.
8 jours plus tard, je retourne chez Peugeot, ils n'avaient pas ma réponse. Je leur demande: « Elle est où l'inspection du Travail à Belfort? »
Ils me répondent : « Rue Vauban »
J'ai pris mon vélo et suis monté Rue Vauban à Belfort.
Je suis arrivé là- haut vers trois heures de l'après midi. Il y avait un scribouillard et une secrétaire. L'une sur les genoux de l'autre. Je leur explique mon problème, ils me répondent qu'il va falloir attendre ou repasser. Je leur dis que j'ai tout mon temps et que j'attendrais là. J'ai bien vu que ça les gênait.
Vers 05 heures du soir, je vois un homme sortir par une petite porte que je croyais être un placard à balais. C'était l'inspecteur du travail.
Je lui demande où en est mon dossier et lui précise que chez nous dans les Vosges, on travaille à la ferme l'été, et à l'usine l'hiver.
L'inspecteur demande mon dossier à la secrétaire. Elle commence à chercher dans des casiers qui prenaient tout un pan de mur.
Vu les dossiers, j'ai bien cru qu'elle ne trouverait jamais le mien.
Au bout d'un moment elle finit par le retrouver. J'ai bien compris que ces piles de dossiers ne seraient jamais traitées.
Comme je les dérangeais, ils se sont occupés de moi pour ne plus me voir. L'inspecteur m'a dit : « on va analyser votre dossier et vous aurez votre réponse mercredi».
Le mercredi, j'ai eu ma réponse, j'ai touché mon dû Chez Peugeot et suis rentré définitivement au Ménil.
J'avais donc travaillé chez Peugeot du printemps 41 à 1942, quand les bombes sont tombées dans les prés de Vieux Charmont ( Doubs), juste à côté de l'usine. Seule la chaufferie de l'usine, où je travaillais a été touchée. J'avais donc bien fait de demander mon compte.
Par la suite, au Ménil, comme j'étais électricien, j'ai souvent réparé les dégâts qui occasionnaient les coupures de courant.
Chaque fois que le boulanger Bernard était embêté, il venait me voir, le soir, ou la nuit et je lui remettais en route son pétrin. Parce que pas de courant, pas de pain.
Pour éviter les coupures de courant nous avions branché le réseau électrique sur la centrale du tissage Schoendorff, l'usine du pont Charreau.
Je me souviens d'une fois, j'étais monté à un poteau électrique, en face de la cure pour rétablir l'électricité.
Couvre feu ou pas couvre feu, quand il y avait du travail à faire, je le faisais.
Tout à coup, les gens du centre m'ont crié après:
« Fais attention Joseph ! »
Moi, je ne me suis pas préoccupé, j'ai continué mon travail en haut du poteau jusqu'à ce que j'entende le bruit des vitres de la cure qui tombaient une à une.
C'était un Allemand, qui me tirait dessus depuis chez Huguel. Il devait mal tirer visiblement. J'ai terminé mon travail, j'ai rassemblé mon matériel et suis rentré chez moi.
En marchant, j'entendais les balles qui faisaient tchoup, tchoup, tchoup, derrière moi.
Arrivé chez moi, alors que je mettais mon deuxième pied sur le nez de porte, une balle a ricoché sur la marche, sous mon talon.
J'étais passé entre les gouttes, une fois de plus.
( ---- Joseph Hingray s'en est allé, lui aussi, laissant ses souvenirs à la postérité - ndr )
Jusqu'à ce que je sois incorporé au service militaire, j'habitais au Ménil, au centre, à côté de chez Choffel, en face de chez Camille Maurice, dans une maison qui a été rasée depuis et qui appartenait à Eugène Philippe, l'industriel, propriétaire du tissage du même nom.
J'ai été incorporé au service militaire où j'ai fait trois ans. J'étais au 162 ème régiment d'infanterie de Strasbourg. J'ai donc fait mon service sur la ligne Maginot, avec Pierre Voirin qui habitait aux Granges du Ménil et qui était de ma classe.
Je n'ai donc pas eu d'interruption entre mon service militaire et la mobilisation pour la guerre.
A l'entrée en guerre, j'ai été envoyé en renfort avec ma pièce d'artillerie au 226ème d'infanterie qui tenait le Donon.
Que vouliez vous que je fasse avec mon canon de 25 contre des chars. J'ai donc été fait prisonnier à Wissembach ( Bas Rhin) dans la forêt du Donon.
Mais je n'ai été fait prisonnier que deux jours, je me suis arrangé pour que ma captivité ne dure pas plus longtemps.
A vrai dire, on ne savait pas qu'on était prisonnier. Après nous avoir rassemblés, les Allemands nous ont dit qu'ils allaient nous conduire à St Dié pour nous démobiliser.
Nous sommes donc partis à pied , en colonne, le long des sentiers, encadrés par des soldats allemands. Il y avait des sentinelles devant et derrière.
La direction que nous prenions m'a semblé étrange, je n'avais pas l'impression que nous allions vers St Dié. Des troufions m'ont même dit qu'on allait vers Schirmeck (Bas Rhin).
Je n'avais déjà rien dans le ventre, en plus Schirmeck au lieu de St Dié, tout ça ne m'a pas plu.
A la faveur d'un sentier étroit, où notre colonne s'était donc étirée, j'ai remarqué que les sentinelles n'étaient plus en vue ni devant, ni derrière. A hauteur d'une petite sapinière de 7 ou 8 mètres, je me suis fait un croche pied et ai roulé sous les petits sapins.
Je me suis immobilisé un peu plus bas et ai attendu pour voir ce qui allait se passer. Je voyais passer les pieds de mes camarades puis les bottes des boches qui étaient en serre file.
J'ai attendu encore un peu puis suis parti par la forêt. J'ai marché tout le long sans prendre un chemin.
On avait l'habitude de faire des marches de 50 ou 60 km, ce n'était donc pas la marche à pied qui me faisait peur, de ce côté là, ça allait.
J'avais appris dans mon manuel d'infanterie que pour s'orienter, il fallait utiliser le soleil.
J'avais donc pris un bâton et me dirigeais en fonction de l'ombre que mon bâton faisait sur le sol. Je savais donc où aller.
Quand il n'y avait pas de soleil, je me renseignais. Je me souviens qu'une fois arrivé près d'une ferme j'ai demandé à un homme qui fendait du bois: « Où c'est qu'il se lève le soleil? »
L'homme m'a répondu : « Quoi? »
J'ai répété ma question, il m'a montré une direction et je suis parti dans l'autre. Il a dû se dire : « Il est fada celui là! ».
Arrivé à St Dié, j'ai vu passer un convoi de canons mis bout à bout. C'était une unité polonaise qui avait été faite prisonnière. Je me souviens avoir été interpellé par un adjudant de l'armée Française, il n'avait même plus de ceinturon. Il avait été fait prisonnier lui aussi.
Il m'appelle: « Hé! Hé! »
Je lui répond: « Quoi hé hé!. Moi je rentre chez moi et c'est comme ça!
Il m'a regardé avec des grands yeux et il a dû penser lui aussi que j'étais cinglé.
Je me souviens qu'à St Dié, j'ai dormi sur une chaise longue sur une terrasse de maison. Ensuite j'ai repris ma route, à travers la forêt.
Arrivé avant La Bresse, une dame bien gentille m'a indiqué ce qu'elle appelait le « chemin des ronces » pour arriver à La Bresse.
Je suis arrivé aux Feignes sous Vologne sans le savoir. J'ai bien cru y rester la dedans!
Sans le vouloir, je m'étais trop avancé dans les feignes et je ne pouvais plus bouger, mais je m'enfonçais toujours un peu plus.
Heureusement que j'aimais bien lire des livres d'aventures. J'avais lu qu'en Amérique, ceux qui sont pris dans des sables mouvants se mettent à plat ventre pour offrir une plus grande résistance, et tenter de s'en sortir comme ça. C'est ce que j'ai fait et je me suis mis à ramper dans les feignes et la boue. J'ai pu rejoindre le bord et contourner les feignes.
En passant toujours par la forêt, j'ai pu rejoindre Ventron, puis l'ermitage de Frère Joseph que je connaissais bien puisqu'on y allait tous les ans en pèlerinage. J'ai mangé la haut, et de là je suis redescendu sur les Granges, j'étais revenu au Ménil.
Aux Granges, comme un gros orage arrivait, je me suis abrité sous la porte cochère de la ferme Peltier. Madame Peltier qui était dans son pré et qui remontait pour fuir l'orage m'a trouvé là.
Tout de suite, pour me faire reconnaître, je lui ai dit en patois : « Enne vé mi bien ». ( traduction – Je ne vais pas bien – Ndr).
Mme Peltier m'a conseillé de ne pas poursuivre ma route vers le Pont Charreau où il y avait des Allemands mais de passer par les Essieux.
Aux Essieux, je savais que mon voisin d'en face, Camille Maurice, avait une ferme. Je suis donc allé chez Camille Maurice aux Essieux. Quand j'y suis arrivé, le chien a aboyé d'une certaine façon et Camille est sorti pour m'accueillir. Le chien m'avait reconnu.
Camille m'a invité à manger et à coucher.
Au petit matin, j'ai profité de l'épaisseur de la nappe de brouillard pour atteindre le bas du village et la maison où logeait toujours ma mère. J'ai frappé aux carreaux de sa chambre. Elle a été tout étonnée de me voir là. Je lui ai fait signe de m'ouvrir la porte de derrière et je suis rentré à la maison.
C'était le 07 Juillet 1940, j'avais donc mis une bonne semaine pour rejoindre le Ménil depuis le Donon.
Les Allemands quant à eux, occupaient la maison de Camille Maurice, située en face de la nôtre.
Je me suis mis au lit. J'ai dormi deux jours sans me réveiller. A mon réveil, les draps étaient trempés de transpiration.
Au bout de quelques jours, j'ai commencé à ressortir de chez moi. Un matin, je suis allé faucher de l'herbe pour les moutons que ma mère gardait dans l'écurie.
Une patrouille d'Allemands est passée par là. Elle faisait sa ronde quotidienne, elle montait au Pont Charreau, montait les Granges, passait aux Essieux et redescendait au village.
En passant près de moi, un gradé m'a demandé quelque chose, mais je ne me souviens plus quoi. Il devait chercher quelque chose ou quelqu'un. Comme je connaissais quelques mot d'alsacien , j'ai répondu en faisant le « beugniot »: « Nicht verstehen , nicht verstehen » ( je ne comprends pas, en allemand, - Ndr).
La troupe a fini par repartir mais le dernier de la file m'a dit en passant: « imbécile! ». Je préférais passer pour un imbécile plutôt qu'ils ne me ramassent.
Comme il y avait pas mal de travail à la maison , je suis resté au Ménil quelque temps. Je portais un chapeau que j'avais modelé en forme de triangle comme ceux des Américains. Un jour j'ai croisé deux Allemands qui portaient une machine à écrire qu'ils avaient réquisitionnée je ne sais pas où. Ils m'ont pris pour un Américain. J'ai dû faire intervenir l'abbé Bontemps, qui parlait allemand afin qu'il leur explique que je n'avais rien d'un Américain. J'ai encore eu chaud le coup là.
A un moment, il a bien fallu que je trouve un travail pour gagner deux ou trois sous. J'ai travaillé un temps à « La Vosgienne », c'était une boite d'électricité, comme EDF maintenant, qui était sur Remiremont et où mon beau frère, Gury, travaillait.
Plus tard, comme il y avait des agents de chez Peugeot qui arpentaient les villages pour trouver de la main d'œuvre, je suis allé travailler à Sochaux ( Doubs), avec Adrien Louis, le garde Champêtre.
Je travaillais à la Chaufferie, comme j'avais des notions d'électricien.
Je faisais les trajets à vélo. Ce qu'il y avait de bien chez Peugeot, c'est qu'on pouvait acheter les outils sans bon de sortie. On en ramenait dans nos valises et on les vendait aux paysans contre du beurre ou des fromages.
Un jour, chez Peugeot, des camions allemands nous attendaient à la sortie des équipes dans la cour de l'usine. Tous les ouvriers ont été rassemblés et ont été conduits à Montbéliard pour un simple contrôle d'identité. Voyant ça par une fenêtre, je ne suis pas sorti et suis resté planqué dans un petit local où on entassait les vieux câbles électriques. J'ai attendu là tout le temps de midi, je n'ai même pas mangé.
A 13 heures, je suis allé pointer et j'ai repris le travail avec l'équipe de l'après midi qui a été étonnée de me voir encore là.
Mais quelques jours plus tard, j'ai reçu une convocation pour me rendre à la Kommandantur à Montbéliard ( Doubs). On devait y aller en camion. Ce jour là, je ne suis pas comment j'ai fait mais j'ai, sans le vouloir, encore loupé le camion.
Comme ils avaient mon nom , je savais qu'il fallait à tout prix que je m'y rende avant qu'on ne m'arrête pour de bon.
J'ai donc pris mon vélo et ai pris la direction de la Kommandantur. Arrivé là-bas, sans trop savoir pourquoi, j'ai posé mon vélo contre le mur de la maison, en face de la Kommandantur. J'ai croisé la route, suis entré dans la cour.
J'ai présenté ma convocation au soldat allemand qui était de faction en bas du bâtiment. Il m'a fait signe de monter à l'étage.
Ma convocation était déjà pré remplie, c'était pour une visite d'aptitude au travail.
J'ai passé la visite médicale, mais je me suis rendu compte que les gens qui entraient dans la pièce ne croisaient pas ceux qui avaient déjà passé la visite. Ça m'a paru étrange. Après la visite, ils étaient regroupés dans une autre pièce.
J'ai été reconnu apte, mais avant qu'on ne me dirige dans l'autre pièce, j'ai vu par la fenêtre que mon vélo se trouvait en face, de l'autre côté de la route. J'ai demandé à l'Allemand qui était de faction devant la porte si je pouvais déplacer mon vélo et le mettre dans la cour pour ne pas qu'on me le prenne. L'Allemand à dit à l'autre qui montait la garde en bas que j'allais sortir pour aller chercher mon vélo. Je craignais qu'il lui demande directement d'aller le chercher, mais non.
Je suis descendu, j'ai retraversé la cour, puis la route, j'ai pris mon vélo, j'ai fait demi tour et je me suis enfui.
J'ai longé le sentier des pêcheurs le long du Doubs et ai regagné la Haute Saône.
Le soir, je suis arrivé dans une scierie, près de Mielin (Haute Saône). J'ai cassé la croute là et j'ai passé la nuit dans une grindjotte, ( une petite grange en patois local -Ndr), des environs.
Je suis arrivé au Ménil vers 09h00 du matin.
J'ai attendu encore quelques jours et je me suis dit qu'il fallait que je tente de demander mon compte chez Peugeot.
Comme j'étais toujours en possession de ma convocation, j'ai trouvé un stylo à bille de la même encre et j'ai rajouté «in » devant «apte au travail ». «Apte au travail » devenait donc «inapte au travail ». Avec cette convocation, je me suis donc rendu à nouveau chez Peugeot pour demander mon compte.
Chez Peugeot ils ont été à nouveau surpris de me retrouver là. C'est à ce moment là que j'ai appris que les autres ouvriers avaient été transférés par trains, depuis la Kommandantur, vers des camps en Allemagne.
J'ai dit chez Peugeot que j'avais des hernies et que j'étais inapte au travail. Je leur ai montré ma convocation et ai demandé mon compte. Ils m'ont dit que ça ne se faisait pas comme ça et qu'il fallait que je fasse une demande à l'inspection du travail à Belfort (90) et que si je n'avais pas de réponse sous huit jours, c'est qu'elle était refusée.
8 jours plus tard, je retourne chez Peugeot, ils n'avaient pas ma réponse. Je leur demande: « Elle est où l'inspection du Travail à Belfort? »
Ils me répondent : « Rue Vauban »
J'ai pris mon vélo et suis monté Rue Vauban à Belfort.
Je suis arrivé là- haut vers trois heures de l'après midi. Il y avait un scribouillard et une secrétaire. L'une sur les genoux de l'autre. Je leur explique mon problème, ils me répondent qu'il va falloir attendre ou repasser. Je leur dis que j'ai tout mon temps et que j'attendrais là. J'ai bien vu que ça les gênait.
Vers 05 heures du soir, je vois un homme sortir par une petite porte que je croyais être un placard à balais. C'était l'inspecteur du travail.
Je lui demande où en est mon dossier et lui précise que chez nous dans les Vosges, on travaille à la ferme l'été, et à l'usine l'hiver.
L'inspecteur demande mon dossier à la secrétaire. Elle commence à chercher dans des casiers qui prenaient tout un pan de mur.
Vu les dossiers, j'ai bien cru qu'elle ne trouverait jamais le mien.
Au bout d'un moment elle finit par le retrouver. J'ai bien compris que ces piles de dossiers ne seraient jamais traitées.
Comme je les dérangeais, ils se sont occupés de moi pour ne plus me voir. L'inspecteur m'a dit : « on va analyser votre dossier et vous aurez votre réponse mercredi».
Le mercredi, j'ai eu ma réponse, j'ai touché mon dû Chez Peugeot et suis rentré définitivement au Ménil.
J'avais donc travaillé chez Peugeot du printemps 41 à 1942, quand les bombes sont tombées dans les prés de Vieux Charmont ( Doubs), juste à côté de l'usine. Seule la chaufferie de l'usine, où je travaillais a été touchée. J'avais donc bien fait de demander mon compte.
Par la suite, au Ménil, comme j'étais électricien, j'ai souvent réparé les dégâts qui occasionnaient les coupures de courant.
Chaque fois que le boulanger Bernard était embêté, il venait me voir, le soir, ou la nuit et je lui remettais en route son pétrin. Parce que pas de courant, pas de pain.
Pour éviter les coupures de courant nous avions branché le réseau électrique sur la centrale du tissage Schoendorff, l'usine du pont Charreau.
Je me souviens d'une fois, j'étais monté à un poteau électrique, en face de la cure pour rétablir l'électricité.
Couvre feu ou pas couvre feu, quand il y avait du travail à faire, je le faisais.
Tout à coup, les gens du centre m'ont crié après:
« Fais attention Joseph ! »
Moi, je ne me suis pas préoccupé, j'ai continué mon travail en haut du poteau jusqu'à ce que j'entende le bruit des vitres de la cure qui tombaient une à une.
C'était un Allemand, qui me tirait dessus depuis chez Huguel. Il devait mal tirer visiblement. J'ai terminé mon travail, j'ai rassemblé mon matériel et suis rentré chez moi.
En marchant, j'entendais les balles qui faisaient tchoup, tchoup, tchoup, derrière moi.
Arrivé chez moi, alors que je mettais mon deuxième pied sur le nez de porte, une balle a ricoché sur la marche, sous mon talon.
J'étais passé entre les gouttes, une fois de plus.
( ---- Joseph Hingray s'en est allé, lui aussi, laissant ses souvenirs à la postérité - ndr )
yves philippe- MODERATEUR
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