LE MENIL - SOUVENIR DE JEANNE MAURICE VVE LOUIS DESSEZ
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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LE MENIL - SOUVENIR DE JEANNE MAURICE VVE LOUIS DESSEZ
Je n'ai pas énormément de souvenirs de la guerre 39/45 pour la simple raison que mes parents et ma grande sœur m'ont un peu surprotégée. Je vous explique pourquoi.
Nous étions trois enfants à la maison, notre frère Georges était de la classe 38, il était donc né en 18. A 18 ans, il avait tenu à s'engager dans l'armée, donc en 1936. Pour ce faire il lui avait fallu avoir l'accord de mes parents puisque la majorité était à 21 ans à l'époque.
Mon père ne tenait pas à ce que mon frère parte, il avait fait la guerre précédente et savait ce que c'était que la vie de militaire.
Mon frère a tellement insisté que papa a fini par signer. Georges lui avait dit « Allez signe papa, ce n'est pas mon arrêt de mort ».
Mon frère est donc parti en 36, a fait ses deux années d'armée, ensuite il est revenu à la maison avant d'être mobilisé à nouveau fin 1939. Il a alors combattu en Alsace, dans les Chasseurs Alpins, les Allemands n'avaient pas encore envahi la France. Il se trouvait devant la ligne Maginot, du côté d'Haguenau, où il y a eu tout de même quelques petits conflits. Ensuite il a fait la Campagne de Norvège.
(La campagne de Norvège dura du 9 avril 1940 au 20 juin 1940. Ce fut la première confrontation terrestre directe entre les forces alliées (Royaume Uni et France) et les troupes de l’Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. La principale raison qui a motivé l’Allemagne à occuper la Norvège était sa dépendance vis-à-vis du minerai de fer suédois qu’elle recevait par l'intermédiaire des ports norvégiens, dont Narvik. Il fallait donc que le régime nazi sécurise l'accès de cette matière première. – Ndr).
Ensuite, avec ses camarades, Georges a été mis au repos en Ecosse avant de revenir dans le département de la Somme pour empêcher l'avance des Allemands. La débâcle de l'armée française a empêché tout approvisionnement aux soldats français qui étaient encore en poste, ils se sont retrouvés sans munition. Ils ont tenté de passer uniquement armés de leur baïonnette. C'est dans ces conditions que mon frère a été tué le 08 juin 1940 du côté d’Aumale. Nous n’avions plus de nouvelles de lui et il s'est passé plusieurs mois avant que l'on ne sache ce qui il lui était arrivé.
Cette annonce a été terrible à la maison, à partir de ce moment-là, mes parents qui étaient désespérés, bien aidés en cela par ma grande sœur, ont mis une sorte de protection autour de moi pour qu'il ne m'arrive rien. Je ne sortais de chez moi que par nécessité. De mon côté, très consciente du malheur qui nous avait frappés, je ne voulais pas en rajouter en donnant encore plus de soucis à mes parents, ce qui fait que j'ai passé la plupart de mon temps à la maison durant cette guerre.
Je me souviens tout de même, ce devait être en 1939, de tous ces Alsaciens et Mosellans qui avaient fui leur maison et qui partaient déjà pour se réfugier à l'intérieur du pays. Plusieurs ont fait une halte chez nous, ils avaient emporté ce qu'ils avaient pu, quelques meubles, de la literie, tout ça sur des charrettes tirées par des bêtes ou dans quelques rares voitures. Nous avons fait “ garde meubles” durant toute la durée de la guerre pour au moins trois de ces familles.
En 40, une fois que l'Allemagne nazie s'est installée durablement en France, elle a fait communiquer à ces gens-là qu'ils pouvaient revenir chez eux sans crainte, ce qu'ils ont fait, à leur détriment bien sûr. Je me souviens d'un de ces hommes, originaires d’Alsace, qui, en discutant avec papa s'étaient mis à pleurer parce que dans la conversation ils s'étaient rendus compte qu'ils s'étaient retrouvés face à face lors d'un combat pendant la guerre 14/18. C'était émouvant.
Ces familles, dont certaines étaient juives, sont restées quelque temps chez nous avant de poursuivre leur route, nous confiant une partie de leurs biens. Chez nous, à l'étage, une grosse pièce était pleine de ces mobiliers-là.
Dans les premiers jours de juin 1940, pour nous protéger, nous sommes montés nous réfugier aux Essieux, où nous avions une ferme et des bêtes. Les bombardements n'ont pas duré longtemps mais quelques fermes ont tout de même brulé au village.
Pour ce qui s'est passé au village du Ménil, je me souviens tout de même de voir les premiers Allemands qui passaient devant notre maison, sur leurs chevaux en fanfaronnant. Ils marchaient au pas en chantant.
Mme CUNAT, l'institutrice du Ménil a d'ailleurs immortalisé cette scène depuis sa fenêtre.
Cette invasion allait de pair avec la débâcle de l'armée française, au grand dam des poilus de 14, dont mon père était et qui avaient l'impression de s'être battus pour rien. Aux Essieux, papa a interpellé des soldats français qui erraient, probablement dans la forêt. Ils lui ont dit qu'ils n'avaient plus d'arme ni de chef, c'était désolant. Quelques jours plus tard, la fiancée de mon frère, qui habitait Bussang, était venue avec sa sœur nous rejoindre pour avoir des nouvelles. Elles étaient passées par La Kinsmuss et avaient passé quelques jours avec nous. Lorsqu'elles sont reparties, par le même chemin et ont rencontré des soldats français qui les ont interpellées. Ils leur ont demandé des nouvelles de la situation ainsi que de la nourriture. Les jeunes filles sont revenues nous voir aux Essieux, maman a fait cuire une marmite de patates qu'elles leur ont rapportées avec un ou deux fromages. Ils étaient une dizaine à errer là, dans la forêt.
Lorsque nous avons fini par savoir que Georges avait été tué, il a fallu qu'on entreprenne pendant plus d'un an des recherches par nos propres moyens, pour le localiser et récupérer sa dépouille. En 1941, voire 1942, c'est papa et ma sœur qui sont allés enfin reconnaître son corps qui avait été enterré dans une fosse commune. Il leur avait déjà fallu obtenir un laissez-passer pour sortir de la zone interdite dans laquelle nous habitions et rejoindre la zone occupée où Georges se trouvait. Ces recherches n'étaient pas du tout prises en charge par l'armée ou les administrations. Il n'est donc pas étonnant, que des corps de soldats n’aient jamais été redemandés par leur famille et que d'un autre côté certaines familles n'aient jamais su ce qu’il était advenu de leur proche.
Les années 41 et 42 ont été calmes, nous n'avions même plus d'Allemands au Ménil, hormis ce détachement de jeunes Allemands qui était venu s'entraîner dans la neige avant de partir sur le front de Russie. J'ai le souvenir de les voir ramper torses-nus dans la neige, pour s'aguerrir au froid.
La majeure partie de la production française allant pour l'effort de guerre allemand, des restrictions alimentaires et en denrées diverses ont été mises en place par des réquisitions sur ce qu'on détenait et par des cartes d'alimentation qui filtraient ce dont on avait besoin. Le marché noir a joué son rôle ainsi que la solidarité entre des gens qui avaient un peu quelque chose et d'autres qui n'avaient plus rien. Ces échanges étant faits souvent dans la crainte de se voir vendu aux Allemands.
En 42/43 il y a eu la réquisition des hommes pour le service du travail obligatoire. Je sais qu'une jeune femme du Ménil est partie travailler en Allemagne. Un jeune homme qui habitait chez Pierre Colle, au village, avait bénéficié d'une permission mais n'avait pas voulu repartir en Allemagne. Il a été tué alors que les Allemands venaient le chercher.
Ensuite la résistance s'est développée, maman qui vivait l'été aux Essieux a recueilli un certain temps un jeune réfractaire, qui dormait là- haut et qui passait ses journées au maquis du Peut Haut.
Le 06 octobre 44 se déroula la première attaque alliée sur Le Ménil. Ce sont les Chasseurs du 1er R.C.P qui ont donné l'assaut. Ce jour là, un jeune résistant, nommé Prud'homme était venu aux nouvelles au village. Il a été fait prisonnier par les Allemands qui l'ont conduit pour l'interroger dans notre cave où ils avaient un bureau et un téléphone. L'arrivée soudaine des parachutistes a mis en fuite les Allemands qui se sont repliés vers les Essieux, en laissant là leur prisonnier. J'ai le souvenir que nous avions caché son brassard de maquisard dans le berceau du petit Chanal, un enfant du couple qui était en location chez nous. Ce jeune résistant est donc reparti le soir même avec les parachutistes, il n'avait pas été prisonnier bien longtemps. Mr Prud'homme a toujours considéré que c'étaient les parachutistes qui l’avaient sauvé. Il venait par la suite régulièrement aux cérémonies patriotiques au Ménil.
Dans les jours qui ont suivi, les parachutistes ont poursuivi leur lutte, en passant par la forêt du Géhant, jusqu'au Col des Fenesses, puis les cotes 1008 et 1111 où tant des leurs sont tombés dans de durs combats.
Les paras ont à leur tour utilisé notre cave où ils ont mis simultanément un prisonnier allemand blessé à une jambe et un des leurs qui avait été touché au cou qui était considéré comme perdu. La balle avait traversé la gorge du parachutiste et s’était fichée dans ses vertèbres cervicales. Dans ces jours- là, un de ses camarades, qui était passé chez nous, est allé déloger l'Allemand qui était embusqué dans le clocher de l'église.
Suite à de trop lourdes pertes le 1er RCP a été mis au repos. Les Allemands qui ne descendaient plus guère au village se sont ressaisis, reprenant leur soldat blessé et faisant prisonnier le parachutiste qui n'était pas mort mais qui souffrait toujours le martyr, une balle s'étant logé dans ses vertèbres cervicales. Tout compte fait, ce sont les Allemands qui l'ont sauvé puisqu'il a été opéré par eux. J'ai le souvenir que ses semelles de chaussures ne tenaient sous ses souliers qu’à l'aide de ficelles.
Des bombardements journaliers ont suivi jusqu'à ce qu'un deuxième assaut soit donné, cette fois-ci par les Goumiers, au mois de novembre. Ils n'ont pas été aidés les pauvres Goums puisqu'ils ont eu constamment de mauvaises conditions météorologiques qui oscillaient entre pluie, neige et froid.
J'ai le souvenir de les voir, le 25 novembre, au matin lorsqu'ils montaient à l'assaut vers les Essieux. Ils pataugeaient dans la neige mouillée. Heureusement pour eux, les Allemands s'étaient repliés sur Bussang et il n'y a pas eu de combats sur ce secteur-là. C’est dans ces jours- là que s'est déroulée l'histoire de la colonie des petits gamins qui étaient réfugiés au Ménil.
(En juillet 1944, une colonie de quatre vingts gamins originaires de la région de Nancy est mise en “sûreté” à la Maison Familiale du Ménil, sous l'égide de l'abbé André Bontemps qui fait office d'Aumônier. Les combats se rapprochant, la colonie est évacuée une première fois fin septembre dans une ferme située Aux Essieux, sur les hauteurs du Ménil. Le 06 octobre, suite à l'attaque des parachutistes, le village devient un no man's land, les soldats français se trouvant sur ce versant de la forêt du Géhant et les Allemands sur le versant qui relie la Chapelle des Vés à La Kinsmuss. La colonie se retrouve donc sur une place tenue par les Allemands. L'hiver approchant, les conditions climatiques servent d'excuse à l'abbé Bontemps pour tenter de faire évacuer une nouvelle fois sa troupe de gamins, mais l'autorité allemande décide que cette colonie sera mise en sûreté dans un “Kinderhein ( Maison d'enfants) en Allemagne.
Profitant de la nuit, le 29 octobre au soir, les responsables de la colonie prennent le risque de déplacer les enfants et les mènent courageusement sans encombre au village. La colonie poursuit son chemin nuitamment, dirigée par deux de ses moniteurs guédons puisqu'il s'agit des enfants de Mr Kohler, le maire de l'époque. Ils montent vers Morbieux et se retrouvent enfin en France libre. L'abbé Bontemps prendra encore le risque de rester au village afin de donner des explications, aux Allemands et éviter ainsi les représailles, ce qui fut fait sans ménagement. (Source “A travers l'histoire – chronique d'une famille Vosgienne” par Claude Maurice – Imprimerie de la plaine à Montbrisson.) Ndr).
La libération totale du village a eu lieu le 26 novembre. Bien sûr la joie est revenue dans nos rues, mais avec réserve tout de même puisque les Allemands se trouvaient toujours à proximité. Je me souviens que courant décembre les inquiétudes sont revenues à grands pas lorsqu'on a su que les Allemands opéraient une grande offensive sur la Belgique.
(La ligne de front tenue jusqu'alors par les Allemands s'étant considérablement réduite du fait de l'avancée des troupes alliées, le régime nazi peut alors concentrer toute ses forces pour tenir les rives du Rhin. Tous les hommes de 16 à 60 ans sont mobilisés. Du 16 décembre au 24 janvier 1945 l'Allemagne met toutes ses forces dans “La bataille des Ardennes” pour enfoncer les troupes américaines qui progressent dans cette région. D'âpres combats s'y déroulent par un temps digne du pôle Nord. Les véhicules doivent tourner très régulièrement afin d'éviter que les huiles ne se figent. Les forces en puissance perdent dans cette bataille environ 10.000 hommes chacune. Vers la mi-janvier, le front de l'Est, jusque là stabilisé, est fragilisé par une attaque massive des soviétiques. L'empire allemand usé commence alors à perdre du terrain sur l'ensemble de ses fronts. Il faudra alors faire face à quelques groupes d'irréductibles qui se battront jusqu'à la mort, comme la poche de Colmar (20 janvier / 09 février 1945), qui donnera du fil à retordre aux troupes alliées. - Ndr).
La libération du village a réellement été fêtée collectivement que le jour de la fête nationale en juillet 1945. Ce sera à cette occasion que je ferai la connaissance de Louis, mon mari, qui avait participé aux combats sur le Ménil au sein du 1er Régiment de Chasseurs parachutistes et qui était revenu sur notre commune avec ses camarades afin d’identifier et inhumer dignement ceux de son régiments dont les corps se trouvaient toujours sur les côtes 1008 et 1111.
Tout de suite après la guerre Jean Chanal, notre locataire a repris son travail de garde forestier. C'est à cette occasion qu'il a été blessé par l’explosion d'une mine anti personnelle. Il me semble qu'il se trouvait avec Julien Chevrier, du Frenat. Ils se trouvaient tous les deux sur « La Tête des Champs » lorsque cela est arrivé.
Suite au déclenchement de cette mine, Jean a reçu un éclat qui lui a perforé la carotide. Julien Chevrier a alerté les secours, mais il était trop tard lorsqu'ils sont arrivés. Une petite croix avait été mise en place sur les lieux même de son décès.
Nous étions trois enfants à la maison, notre frère Georges était de la classe 38, il était donc né en 18. A 18 ans, il avait tenu à s'engager dans l'armée, donc en 1936. Pour ce faire il lui avait fallu avoir l'accord de mes parents puisque la majorité était à 21 ans à l'époque.
Mon père ne tenait pas à ce que mon frère parte, il avait fait la guerre précédente et savait ce que c'était que la vie de militaire.
Mon frère a tellement insisté que papa a fini par signer. Georges lui avait dit « Allez signe papa, ce n'est pas mon arrêt de mort ».
Mon frère est donc parti en 36, a fait ses deux années d'armée, ensuite il est revenu à la maison avant d'être mobilisé à nouveau fin 1939. Il a alors combattu en Alsace, dans les Chasseurs Alpins, les Allemands n'avaient pas encore envahi la France. Il se trouvait devant la ligne Maginot, du côté d'Haguenau, où il y a eu tout de même quelques petits conflits. Ensuite il a fait la Campagne de Norvège.
(La campagne de Norvège dura du 9 avril 1940 au 20 juin 1940. Ce fut la première confrontation terrestre directe entre les forces alliées (Royaume Uni et France) et les troupes de l’Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. La principale raison qui a motivé l’Allemagne à occuper la Norvège était sa dépendance vis-à-vis du minerai de fer suédois qu’elle recevait par l'intermédiaire des ports norvégiens, dont Narvik. Il fallait donc que le régime nazi sécurise l'accès de cette matière première. – Ndr).
Ensuite, avec ses camarades, Georges a été mis au repos en Ecosse avant de revenir dans le département de la Somme pour empêcher l'avance des Allemands. La débâcle de l'armée française a empêché tout approvisionnement aux soldats français qui étaient encore en poste, ils se sont retrouvés sans munition. Ils ont tenté de passer uniquement armés de leur baïonnette. C'est dans ces conditions que mon frère a été tué le 08 juin 1940 du côté d’Aumale. Nous n’avions plus de nouvelles de lui et il s'est passé plusieurs mois avant que l'on ne sache ce qui il lui était arrivé.
Cette annonce a été terrible à la maison, à partir de ce moment-là, mes parents qui étaient désespérés, bien aidés en cela par ma grande sœur, ont mis une sorte de protection autour de moi pour qu'il ne m'arrive rien. Je ne sortais de chez moi que par nécessité. De mon côté, très consciente du malheur qui nous avait frappés, je ne voulais pas en rajouter en donnant encore plus de soucis à mes parents, ce qui fait que j'ai passé la plupart de mon temps à la maison durant cette guerre.
Je me souviens tout de même, ce devait être en 1939, de tous ces Alsaciens et Mosellans qui avaient fui leur maison et qui partaient déjà pour se réfugier à l'intérieur du pays. Plusieurs ont fait une halte chez nous, ils avaient emporté ce qu'ils avaient pu, quelques meubles, de la literie, tout ça sur des charrettes tirées par des bêtes ou dans quelques rares voitures. Nous avons fait “ garde meubles” durant toute la durée de la guerre pour au moins trois de ces familles.
En 40, une fois que l'Allemagne nazie s'est installée durablement en France, elle a fait communiquer à ces gens-là qu'ils pouvaient revenir chez eux sans crainte, ce qu'ils ont fait, à leur détriment bien sûr. Je me souviens d'un de ces hommes, originaires d’Alsace, qui, en discutant avec papa s'étaient mis à pleurer parce que dans la conversation ils s'étaient rendus compte qu'ils s'étaient retrouvés face à face lors d'un combat pendant la guerre 14/18. C'était émouvant.
Ces familles, dont certaines étaient juives, sont restées quelque temps chez nous avant de poursuivre leur route, nous confiant une partie de leurs biens. Chez nous, à l'étage, une grosse pièce était pleine de ces mobiliers-là.
Dans les premiers jours de juin 1940, pour nous protéger, nous sommes montés nous réfugier aux Essieux, où nous avions une ferme et des bêtes. Les bombardements n'ont pas duré longtemps mais quelques fermes ont tout de même brulé au village.
Pour ce qui s'est passé au village du Ménil, je me souviens tout de même de voir les premiers Allemands qui passaient devant notre maison, sur leurs chevaux en fanfaronnant. Ils marchaient au pas en chantant.
Mme CUNAT, l'institutrice du Ménil a d'ailleurs immortalisé cette scène depuis sa fenêtre.
Cette invasion allait de pair avec la débâcle de l'armée française, au grand dam des poilus de 14, dont mon père était et qui avaient l'impression de s'être battus pour rien. Aux Essieux, papa a interpellé des soldats français qui erraient, probablement dans la forêt. Ils lui ont dit qu'ils n'avaient plus d'arme ni de chef, c'était désolant. Quelques jours plus tard, la fiancée de mon frère, qui habitait Bussang, était venue avec sa sœur nous rejoindre pour avoir des nouvelles. Elles étaient passées par La Kinsmuss et avaient passé quelques jours avec nous. Lorsqu'elles sont reparties, par le même chemin et ont rencontré des soldats français qui les ont interpellées. Ils leur ont demandé des nouvelles de la situation ainsi que de la nourriture. Les jeunes filles sont revenues nous voir aux Essieux, maman a fait cuire une marmite de patates qu'elles leur ont rapportées avec un ou deux fromages. Ils étaient une dizaine à errer là, dans la forêt.
Lorsque nous avons fini par savoir que Georges avait été tué, il a fallu qu'on entreprenne pendant plus d'un an des recherches par nos propres moyens, pour le localiser et récupérer sa dépouille. En 1941, voire 1942, c'est papa et ma sœur qui sont allés enfin reconnaître son corps qui avait été enterré dans une fosse commune. Il leur avait déjà fallu obtenir un laissez-passer pour sortir de la zone interdite dans laquelle nous habitions et rejoindre la zone occupée où Georges se trouvait. Ces recherches n'étaient pas du tout prises en charge par l'armée ou les administrations. Il n'est donc pas étonnant, que des corps de soldats n’aient jamais été redemandés par leur famille et que d'un autre côté certaines familles n'aient jamais su ce qu’il était advenu de leur proche.
Les années 41 et 42 ont été calmes, nous n'avions même plus d'Allemands au Ménil, hormis ce détachement de jeunes Allemands qui était venu s'entraîner dans la neige avant de partir sur le front de Russie. J'ai le souvenir de les voir ramper torses-nus dans la neige, pour s'aguerrir au froid.
La majeure partie de la production française allant pour l'effort de guerre allemand, des restrictions alimentaires et en denrées diverses ont été mises en place par des réquisitions sur ce qu'on détenait et par des cartes d'alimentation qui filtraient ce dont on avait besoin. Le marché noir a joué son rôle ainsi que la solidarité entre des gens qui avaient un peu quelque chose et d'autres qui n'avaient plus rien. Ces échanges étant faits souvent dans la crainte de se voir vendu aux Allemands.
En 42/43 il y a eu la réquisition des hommes pour le service du travail obligatoire. Je sais qu'une jeune femme du Ménil est partie travailler en Allemagne. Un jeune homme qui habitait chez Pierre Colle, au village, avait bénéficié d'une permission mais n'avait pas voulu repartir en Allemagne. Il a été tué alors que les Allemands venaient le chercher.
Ensuite la résistance s'est développée, maman qui vivait l'été aux Essieux a recueilli un certain temps un jeune réfractaire, qui dormait là- haut et qui passait ses journées au maquis du Peut Haut.
Le 06 octobre 44 se déroula la première attaque alliée sur Le Ménil. Ce sont les Chasseurs du 1er R.C.P qui ont donné l'assaut. Ce jour là, un jeune résistant, nommé Prud'homme était venu aux nouvelles au village. Il a été fait prisonnier par les Allemands qui l'ont conduit pour l'interroger dans notre cave où ils avaient un bureau et un téléphone. L'arrivée soudaine des parachutistes a mis en fuite les Allemands qui se sont repliés vers les Essieux, en laissant là leur prisonnier. J'ai le souvenir que nous avions caché son brassard de maquisard dans le berceau du petit Chanal, un enfant du couple qui était en location chez nous. Ce jeune résistant est donc reparti le soir même avec les parachutistes, il n'avait pas été prisonnier bien longtemps. Mr Prud'homme a toujours considéré que c'étaient les parachutistes qui l’avaient sauvé. Il venait par la suite régulièrement aux cérémonies patriotiques au Ménil.
Dans les jours qui ont suivi, les parachutistes ont poursuivi leur lutte, en passant par la forêt du Géhant, jusqu'au Col des Fenesses, puis les cotes 1008 et 1111 où tant des leurs sont tombés dans de durs combats.
Les paras ont à leur tour utilisé notre cave où ils ont mis simultanément un prisonnier allemand blessé à une jambe et un des leurs qui avait été touché au cou qui était considéré comme perdu. La balle avait traversé la gorge du parachutiste et s’était fichée dans ses vertèbres cervicales. Dans ces jours- là, un de ses camarades, qui était passé chez nous, est allé déloger l'Allemand qui était embusqué dans le clocher de l'église.
Suite à de trop lourdes pertes le 1er RCP a été mis au repos. Les Allemands qui ne descendaient plus guère au village se sont ressaisis, reprenant leur soldat blessé et faisant prisonnier le parachutiste qui n'était pas mort mais qui souffrait toujours le martyr, une balle s'étant logé dans ses vertèbres cervicales. Tout compte fait, ce sont les Allemands qui l'ont sauvé puisqu'il a été opéré par eux. J'ai le souvenir que ses semelles de chaussures ne tenaient sous ses souliers qu’à l'aide de ficelles.
Des bombardements journaliers ont suivi jusqu'à ce qu'un deuxième assaut soit donné, cette fois-ci par les Goumiers, au mois de novembre. Ils n'ont pas été aidés les pauvres Goums puisqu'ils ont eu constamment de mauvaises conditions météorologiques qui oscillaient entre pluie, neige et froid.
J'ai le souvenir de les voir, le 25 novembre, au matin lorsqu'ils montaient à l'assaut vers les Essieux. Ils pataugeaient dans la neige mouillée. Heureusement pour eux, les Allemands s'étaient repliés sur Bussang et il n'y a pas eu de combats sur ce secteur-là. C’est dans ces jours- là que s'est déroulée l'histoire de la colonie des petits gamins qui étaient réfugiés au Ménil.
(En juillet 1944, une colonie de quatre vingts gamins originaires de la région de Nancy est mise en “sûreté” à la Maison Familiale du Ménil, sous l'égide de l'abbé André Bontemps qui fait office d'Aumônier. Les combats se rapprochant, la colonie est évacuée une première fois fin septembre dans une ferme située Aux Essieux, sur les hauteurs du Ménil. Le 06 octobre, suite à l'attaque des parachutistes, le village devient un no man's land, les soldats français se trouvant sur ce versant de la forêt du Géhant et les Allemands sur le versant qui relie la Chapelle des Vés à La Kinsmuss. La colonie se retrouve donc sur une place tenue par les Allemands. L'hiver approchant, les conditions climatiques servent d'excuse à l'abbé Bontemps pour tenter de faire évacuer une nouvelle fois sa troupe de gamins, mais l'autorité allemande décide que cette colonie sera mise en sûreté dans un “Kinderhein ( Maison d'enfants) en Allemagne.
Profitant de la nuit, le 29 octobre au soir, les responsables de la colonie prennent le risque de déplacer les enfants et les mènent courageusement sans encombre au village. La colonie poursuit son chemin nuitamment, dirigée par deux de ses moniteurs guédons puisqu'il s'agit des enfants de Mr Kohler, le maire de l'époque. Ils montent vers Morbieux et se retrouvent enfin en France libre. L'abbé Bontemps prendra encore le risque de rester au village afin de donner des explications, aux Allemands et éviter ainsi les représailles, ce qui fut fait sans ménagement. (Source “A travers l'histoire – chronique d'une famille Vosgienne” par Claude Maurice – Imprimerie de la plaine à Montbrisson.) Ndr).
La libération totale du village a eu lieu le 26 novembre. Bien sûr la joie est revenue dans nos rues, mais avec réserve tout de même puisque les Allemands se trouvaient toujours à proximité. Je me souviens que courant décembre les inquiétudes sont revenues à grands pas lorsqu'on a su que les Allemands opéraient une grande offensive sur la Belgique.
(La ligne de front tenue jusqu'alors par les Allemands s'étant considérablement réduite du fait de l'avancée des troupes alliées, le régime nazi peut alors concentrer toute ses forces pour tenir les rives du Rhin. Tous les hommes de 16 à 60 ans sont mobilisés. Du 16 décembre au 24 janvier 1945 l'Allemagne met toutes ses forces dans “La bataille des Ardennes” pour enfoncer les troupes américaines qui progressent dans cette région. D'âpres combats s'y déroulent par un temps digne du pôle Nord. Les véhicules doivent tourner très régulièrement afin d'éviter que les huiles ne se figent. Les forces en puissance perdent dans cette bataille environ 10.000 hommes chacune. Vers la mi-janvier, le front de l'Est, jusque là stabilisé, est fragilisé par une attaque massive des soviétiques. L'empire allemand usé commence alors à perdre du terrain sur l'ensemble de ses fronts. Il faudra alors faire face à quelques groupes d'irréductibles qui se battront jusqu'à la mort, comme la poche de Colmar (20 janvier / 09 février 1945), qui donnera du fil à retordre aux troupes alliées. - Ndr).
La libération du village a réellement été fêtée collectivement que le jour de la fête nationale en juillet 1945. Ce sera à cette occasion que je ferai la connaissance de Louis, mon mari, qui avait participé aux combats sur le Ménil au sein du 1er Régiment de Chasseurs parachutistes et qui était revenu sur notre commune avec ses camarades afin d’identifier et inhumer dignement ceux de son régiments dont les corps se trouvaient toujours sur les côtes 1008 et 1111.
Tout de suite après la guerre Jean Chanal, notre locataire a repris son travail de garde forestier. C'est à cette occasion qu'il a été blessé par l’explosion d'une mine anti personnelle. Il me semble qu'il se trouvait avec Julien Chevrier, du Frenat. Ils se trouvaient tous les deux sur « La Tête des Champs » lorsque cela est arrivé.
Suite au déclenchement de cette mine, Jean a reçu un éclat qui lui a perforé la carotide. Julien Chevrier a alerté les secours, mais il était trop tard lorsqu'ils sont arrivés. Une petite croix avait été mise en place sur les lieux même de son décès.
yves philippe- MODERATEUR
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