SAINT MAURICE SUR MOSELLE - SOUVENIR DE GILBERTE PARMENTIER VVE MAURICE HANS
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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SAINT MAURICE SUR MOSELLE - SOUVENIR DE GILBERTE PARMENTIER VVE MAURICE HANS
Je ne peux pas vous raconter tout ce qui s'est passé à St Maurice pendant la guerre pour la simple raison que j'habitais à ce moment-là à la Goutte du Rieux. Nous étions donc à l'écart de ce qui se passait au village alors je ne ferai que de vous livrer quelques anecdotes qui me sont arrivées.
J'avais 16 ans en 1940, à la déclaration de guerre. J'allais au travail à vélo. Le jour de la St Nicolas, je me rendais, comme d'habitude au tissage du Pont du Lait, j'étais accompagnée d'Yvonne Arnould (épouse Venck maintenant). Le soir de ce jour-là, sur le trajet du retour, donc un peu après 17h00, une traction est arrivée probablement un peu vite sur le Pont du Lait où nous nous trouvions. Il avait neigé, puis plu dessus, ce qui fait que la neige était transformée en gadoue. Cette voiture, conduite par des Allemands est partie en toupie et est venue nous cueillir toutes les deux, avec nos vélos. Nous avons été propulsées sur le bas côté et avons failli tomber à la rivière.
Aujourd'hui encore, par moments, j'ai l'impression de ressentir la pression du pneumatique sur mon épaule droite. Yvonne a été touchée au niveau des jambes.
Nous avons eu de la chance, à part quelques hématomes, nous n'avons pas été blessées.
Nos vélos étant hors d'usage, les Allemands nous ont conduites à la Kommandantur de St Maurice qui se trouvait à côté de la pharmacie actuelle.
Ils nous ont gardées là jusqu'à huit heures du soir, pour quelle raison, nous l'ignorons encore.
Yvonne était déjà une jeune femme, elle avait 21 ans, je voyais bien qu'elle était inquiète, mais moi qui étais plus jeune et qui ne connaissais rien de la vie, pensez donc, je n'avais que 16 ans, je ne m'en faisais pas trop. Les Allemands ont tout essayé pour nous mettre à l'aise, ils nous ont même fait écouter de la musique pour nous distraire. Finalement à huit heures du soir, un officier est arrivé et nous avons été relâchées. Pensez-vous qu’ils nous auraient reconduites chez nous, même pas, pourtant nos vélos en avaient pris un sacré coup.
Je me souviens que ma grand mère m'a dit ce soir là en me servant un verre: “ To vé boère enne bouonne gotte, so vé t’fahr du bien” (Tu vas boire une bonne goutte, (eau de vie locale), ça te fera du bien.- Ndr) Je me souviens aussi que ce soir-là, papa était occupé à la cave de la scierie Grosjean à côté de laquelle nous habitions. Il avait tué cinq cochons qu'il était allé chercher en Haute Saône. Je suis allée voir papa pour donner un coup de main, j'ai trouvé là Suzanne Mathieu qui était en train de faire du boudin avec ses sœurs Marguerite et Louise.
Voilà le premier souvenir marquant que j'ai de la guerre, vous avouerez qu'il n'est pas commun. Cette événement-là ne m'a pas guérie puisque quelque temps plus tard, j'ai été sermonnée par les Allemands alors que je descendais au travail sur mon vélo mais avec les mains dans les poches. J'étais un garçon manqué à l'époque. Je n’ai pas compris ce qu’ils m’ont dit mais j’ai bien vu qu’ils n’étaient pas contents
Comme beaucoup de gens, je suis allée chercher des patates en Haute Saône. Il fallait que j'y aille toute seule. J'en ai versé des larmes!
Papa était mécanicien dans un garage, il troquait de l'huile de vidange contre de la farine que j'allais chercher au moulin de Corravillers. L'huile servait à graisser le mécanisme du moulin. Je partais avec cinq litres d'huile et je revenais avec quatre kilos de farine. Une autre fois, alors que je revenais de Haute Saône avec précisément 48 kilos de patates sur mon vélo, mes freins ont lâché dans le premier virage en descendant le Col des croix. J'ai crié aux deux copines qui étaient avec moi: « J'ai pu d'frein! ». Elles m’ont répondu: « Freine avec tes pieds! ». C'est ce que j'ai essayé de faire, mais avec mon chargement je n'ai pas pu m'arrêter. A l'arrivée de la première épingle, j'ai lourdement chuté. Nous voilà éparpillés sur la route, le vélo, les patates, et moi au beau milieu. Il a bien fallu que je me relève que je ramasse ma marchandise et que je remonte à St Maurice.
Chaque fois que je repasse là, j'y repense.
J'ai un souvenir de septembre 1944. J'étais allée chez nos voisins, André Grosjean, à la scierie pour les aider à nettoyer des champignons. Je suis revenue chez moi le soir alors qu'il était 23h00, c'était la pleine lune. Le couvre feu était dépassé depuis longtemps, mais à force, on n'y prenait plus garde. Les filles d'André Grosjean m'ont raccompagnée jusqu'à la sentinelle qui montait la garde, entre chez Grosjean et chez nous. Le garde nous connaissait, à force de nous voir passer, ça faisait une bonne dizaine de jours qu'ils avaient annexé la scierie. Une fois arrivée près de chez moi, j'ai vu une ombre sur les escaliers, au coin de notre jardin qui m'attendait. J'ai pris un sabot dans ma main et me suis mise sur la défensive. L'homme m'a appelée à voix basse « Mamzelle Chilberte, Mamzelle Chilberte ». Je me suis précipitée chez moi sans demander mon reste. L'homme n'avait pas voulu avancer plus en avant afin de ne pas être vu par la sentinelle. J'ai eu une belle frousse! A mon tour j'étais devenue une jeune femme et j'avais bien ressenti ce qu'il voulait.
Le lendemain matin à sept heures, nous nous rendons compte que notre maison est cernée par les Boches. On a pensé qu'ils venaient me chercher parce que j’avais enfreint le couvre feu. Les Boches allaient dans tous les sens. Tout à coup nous avons entendu crier « Raoust! Raoust! ». Papa qui revenait d'être allé faire le tour de son jardin les a vus faire. Il s'est rendu compte que les Allemands décampaient. A cette époque-là, ils n'avaient déjà plus de véhicules motorisés, ils étaient revenus aux charrettes et aux chevaux. Papa qui avait fait la guerre 14 nous a ordonné de rester cachées. Lorsque les Allemands sont effectivement partis, j'ai pu enfin me rassurer, mais jusque là, je peux vous dire que je n'étais pas tranquille, j'étais certaine qu'ils étaient venus là pour m'embarquer.
Le 2 octobre1944, un ordre de rassemblement de tous les hommes a été donné. Papa s'y est donc rendu, avec deux de mes frères. Tous ces hommes ont été rassemblés sur la place du village et une liste de noms a été annoncée. Papa nous a raconté qu'un des hommes qui avait été appelé, un nommé Joseph Lichtling, a reçu une « schlag » à coup de cravache et les Boches l'ont fait entrer de force à la mairie. On a pensé qu'ils lui avaient donné cette correction gratuitement pour qu'elle serve d'exemple aux autres. Cet homme sera conduit par la suite au Col de Bussang où il sera fusillé avec d'autres, mais réchappera à cette fusillade avec Robert Curien. Une soixantaine d'hommes ont été déportés ce jour-là, dix sept seulement en sont revenus.
(Cette opération est menée suite à une perquisition effectuée le samedi 30 septembre 1944 au domicile de Mansuy par les SS, et où une liste de noms est saisie – Ndr).
J'avais noté sur un calepin la liste quelques noms de déportés de St Maurice. Voilà ce que j'avais écrit:
Liste des déportés du 02 octobre 1944:
Bazin Henri, Behra Louis, Behra Maurice, Bluem Robert,
“Camé” Henri, Claude Raymond, Claude René, Delacôte Maurice,
Dieudonné Pierre, Donzé Paul, Dubois Alphonse, Dubois Paul,
Georges Michel, Gillet Auguste, Giordani Louis, Grandemange Michel,
Hans Georges, Jacquet Roger, Kraft Maurice, Laurent Roger,
Lévèque Camille, Leveque Henri, Lindecker Ferdinand, Lombard Julien,
Mansuy Maurice, Mathieu André, Mathieu François, Morel René,
Naegelen Léon, Paul Claude, Pierrel Henri, Pierrel Louis,
Poirot Fernand, Ringenbach Noel, Ringenbach Albert, Rouillon Jean,
Valroff René, Valroff Robert, Valdenaire Louis,
Liste des personnes de St Maurice exécutées au Steingraben:
Gaston Remy, Maurice Mansuy, Ernest Bourquard, Stivert Jean,
Arcin Gustave, Maurice Blaise
Liste des personnes de St Maurice arrêtées dans le train et déportées:
Bazin Pierre, Spiller Jean Marie. (transférés à Epinal )
Liste des rescapés de la déportation:
Bonne Emile, Claudel André, Grava Ernest, Lacaze Pierre,
Laporte Louis, « Ladeck « Henri, Malnati Paul, Mandeler Georges,
Perrin georges, Pierrel René, Poinsot Alphonse, Chenini François,
St Dizier Léon, Ray Jean, Mathieu Paul, Marinoni Fortuna,
Viry Georges,
Quelques jours plus tard, je me souviens que j'allais coucher de temps en temps avec la femme à Louis Laporte qui habitait dans la maison des gardes forestiers à La Grande Goutte en haut de la vallée des charbonniers, sur l'ancienne route du Rouge Gazon. Son mari avait été pris dans la rafle du 2 octobre. Elle se retrouvait donc seule à ce moment là mais comme elle était enceinte et prête à accoucher, j'allais lui tenir compagnie pour passer la nuit car les accouchements arrivent bien souvent la nuit. Les femmes accouchaient généralement à la maison en ce temps-là. Un soir alors que je me rendais chez elle, j'ai été arrêtée sur la route par les gens qui m'ont dit qu'il ne fallait pas que j'aille plus loin, car un avion allemand avait été abattu et était tombé sur ce secteur de la vallée des Charbonniers.
Je me souviens aussi d'un événement qui s'est déroulé en 1944. Nous avons remarqué que des Allemands s'étaient alignés chaque trois ou quatre mètres, le long du fossé, un peu plus haut que chez nous. Ils ont commencé à avancer en direction d'une ferme que papa avait achetée et où nous avions mis nos bêtes. Mon jeune frère Raymond qui avait 14 ans, se trouvait à cette ferme, puisque c'était lui qui trayait la vache. Ensuite des coups de fusils ont été tirés. Nous avons su par la suite que deux hommes se cachaient à proximité de la ferme, dans des buissons. Les Allemands en ont attrapé un et sont repassés devant chez nous avec lui, on n’a jamais su ce qu'il était advenu du deuxième. Nous avons donc vu ce jeune prisonnier, qui devait avoir seize ou dix sept ans. Il claquait des dents tellement il avait peur. En passant, il a juste eu le temps de nous dire: « Boulanger, St Loup », en tout cas c’est ce que nous avons cru comprendre. Le jour même dans l'après midi, je suis descendue au village faire des courses. Là Mme Keuch, la bouchère, m'a dit que deux coups de fusil venaient d'être tirés dans une cave d'une maison du village. Je ne sais pas s’il y a un rapport avec ces deux affaires. Je sais que maman qui avait des connaissances sur Luxeuil s'était renseignée pour savoir si ce gamin ne venait pas de St Loup sur Semouse mais ses recherches n'ont pas abouti.
Le jour de la Toussaint 1944, ça bombardait tellement que je n'ai pas pu aller au cimetière. L'usine de la fonderie à côté de chez nous a été rasée complètement, ce n'était plus qu'un tas de cailloux. Nous nous étions tous réfugiés dans les caves. Un couple de petits vieux qui habitait dans cette usine est venu nous rejoindre et nous a manifesté son soulagement de trouver avec nous un abri. Tout à coup l'homme s'écrie: « Mais le gosse, qu'est ce qu'il va devenir? ». Un jeune couple leur avait confié leur petit gosse de six mois, dans leur précipitation, les anciens sont venus se réfugier chez nous, en laissant le gamin dans leur cave. Lorsqu'ils sont retournés voir, l'usine était rasée, mais le gamin était indemne, dans la cave. Quelle chance il a eue !
Je n'ai pas de souvenir marquant au sujet de femmes qui se seraient fait remarquer pendant la guerre, je sais simplement que Barbe Albert, la femme à Jeannot Grosjean a été conduite à La Vierge à Epinal où elle a été emprisonnée. Je n'en connais pas les raisons précises, les gens parlaient peu à l'époque, il me semble, mais je peux me tromper, que c'est en rapport avec Jeannot qui s'était enfui d'Allemagne. Je me souviens par contre, à la Libération, que Barbe invectivait les prisonniers allemands qui se trouvaient sur la place, visiblement elle n’avait pas gardé un bon souvenir de son enfermement à Epinal.
J'avais 16 ans en 1940, à la déclaration de guerre. J'allais au travail à vélo. Le jour de la St Nicolas, je me rendais, comme d'habitude au tissage du Pont du Lait, j'étais accompagnée d'Yvonne Arnould (épouse Venck maintenant). Le soir de ce jour-là, sur le trajet du retour, donc un peu après 17h00, une traction est arrivée probablement un peu vite sur le Pont du Lait où nous nous trouvions. Il avait neigé, puis plu dessus, ce qui fait que la neige était transformée en gadoue. Cette voiture, conduite par des Allemands est partie en toupie et est venue nous cueillir toutes les deux, avec nos vélos. Nous avons été propulsées sur le bas côté et avons failli tomber à la rivière.
Aujourd'hui encore, par moments, j'ai l'impression de ressentir la pression du pneumatique sur mon épaule droite. Yvonne a été touchée au niveau des jambes.
Nous avons eu de la chance, à part quelques hématomes, nous n'avons pas été blessées.
Nos vélos étant hors d'usage, les Allemands nous ont conduites à la Kommandantur de St Maurice qui se trouvait à côté de la pharmacie actuelle.
Ils nous ont gardées là jusqu'à huit heures du soir, pour quelle raison, nous l'ignorons encore.
Yvonne était déjà une jeune femme, elle avait 21 ans, je voyais bien qu'elle était inquiète, mais moi qui étais plus jeune et qui ne connaissais rien de la vie, pensez donc, je n'avais que 16 ans, je ne m'en faisais pas trop. Les Allemands ont tout essayé pour nous mettre à l'aise, ils nous ont même fait écouter de la musique pour nous distraire. Finalement à huit heures du soir, un officier est arrivé et nous avons été relâchées. Pensez-vous qu’ils nous auraient reconduites chez nous, même pas, pourtant nos vélos en avaient pris un sacré coup.
Je me souviens que ma grand mère m'a dit ce soir là en me servant un verre: “ To vé boère enne bouonne gotte, so vé t’fahr du bien” (Tu vas boire une bonne goutte, (eau de vie locale), ça te fera du bien.- Ndr) Je me souviens aussi que ce soir-là, papa était occupé à la cave de la scierie Grosjean à côté de laquelle nous habitions. Il avait tué cinq cochons qu'il était allé chercher en Haute Saône. Je suis allée voir papa pour donner un coup de main, j'ai trouvé là Suzanne Mathieu qui était en train de faire du boudin avec ses sœurs Marguerite et Louise.
Voilà le premier souvenir marquant que j'ai de la guerre, vous avouerez qu'il n'est pas commun. Cette événement-là ne m'a pas guérie puisque quelque temps plus tard, j'ai été sermonnée par les Allemands alors que je descendais au travail sur mon vélo mais avec les mains dans les poches. J'étais un garçon manqué à l'époque. Je n’ai pas compris ce qu’ils m’ont dit mais j’ai bien vu qu’ils n’étaient pas contents
Comme beaucoup de gens, je suis allée chercher des patates en Haute Saône. Il fallait que j'y aille toute seule. J'en ai versé des larmes!
Papa était mécanicien dans un garage, il troquait de l'huile de vidange contre de la farine que j'allais chercher au moulin de Corravillers. L'huile servait à graisser le mécanisme du moulin. Je partais avec cinq litres d'huile et je revenais avec quatre kilos de farine. Une autre fois, alors que je revenais de Haute Saône avec précisément 48 kilos de patates sur mon vélo, mes freins ont lâché dans le premier virage en descendant le Col des croix. J'ai crié aux deux copines qui étaient avec moi: « J'ai pu d'frein! ». Elles m’ont répondu: « Freine avec tes pieds! ». C'est ce que j'ai essayé de faire, mais avec mon chargement je n'ai pas pu m'arrêter. A l'arrivée de la première épingle, j'ai lourdement chuté. Nous voilà éparpillés sur la route, le vélo, les patates, et moi au beau milieu. Il a bien fallu que je me relève que je ramasse ma marchandise et que je remonte à St Maurice.
Chaque fois que je repasse là, j'y repense.
J'ai un souvenir de septembre 1944. J'étais allée chez nos voisins, André Grosjean, à la scierie pour les aider à nettoyer des champignons. Je suis revenue chez moi le soir alors qu'il était 23h00, c'était la pleine lune. Le couvre feu était dépassé depuis longtemps, mais à force, on n'y prenait plus garde. Les filles d'André Grosjean m'ont raccompagnée jusqu'à la sentinelle qui montait la garde, entre chez Grosjean et chez nous. Le garde nous connaissait, à force de nous voir passer, ça faisait une bonne dizaine de jours qu'ils avaient annexé la scierie. Une fois arrivée près de chez moi, j'ai vu une ombre sur les escaliers, au coin de notre jardin qui m'attendait. J'ai pris un sabot dans ma main et me suis mise sur la défensive. L'homme m'a appelée à voix basse « Mamzelle Chilberte, Mamzelle Chilberte ». Je me suis précipitée chez moi sans demander mon reste. L'homme n'avait pas voulu avancer plus en avant afin de ne pas être vu par la sentinelle. J'ai eu une belle frousse! A mon tour j'étais devenue une jeune femme et j'avais bien ressenti ce qu'il voulait.
Le lendemain matin à sept heures, nous nous rendons compte que notre maison est cernée par les Boches. On a pensé qu'ils venaient me chercher parce que j’avais enfreint le couvre feu. Les Boches allaient dans tous les sens. Tout à coup nous avons entendu crier « Raoust! Raoust! ». Papa qui revenait d'être allé faire le tour de son jardin les a vus faire. Il s'est rendu compte que les Allemands décampaient. A cette époque-là, ils n'avaient déjà plus de véhicules motorisés, ils étaient revenus aux charrettes et aux chevaux. Papa qui avait fait la guerre 14 nous a ordonné de rester cachées. Lorsque les Allemands sont effectivement partis, j'ai pu enfin me rassurer, mais jusque là, je peux vous dire que je n'étais pas tranquille, j'étais certaine qu'ils étaient venus là pour m'embarquer.
Le 2 octobre1944, un ordre de rassemblement de tous les hommes a été donné. Papa s'y est donc rendu, avec deux de mes frères. Tous ces hommes ont été rassemblés sur la place du village et une liste de noms a été annoncée. Papa nous a raconté qu'un des hommes qui avait été appelé, un nommé Joseph Lichtling, a reçu une « schlag » à coup de cravache et les Boches l'ont fait entrer de force à la mairie. On a pensé qu'ils lui avaient donné cette correction gratuitement pour qu'elle serve d'exemple aux autres. Cet homme sera conduit par la suite au Col de Bussang où il sera fusillé avec d'autres, mais réchappera à cette fusillade avec Robert Curien. Une soixantaine d'hommes ont été déportés ce jour-là, dix sept seulement en sont revenus.
(Cette opération est menée suite à une perquisition effectuée le samedi 30 septembre 1944 au domicile de Mansuy par les SS, et où une liste de noms est saisie – Ndr).
J'avais noté sur un calepin la liste quelques noms de déportés de St Maurice. Voilà ce que j'avais écrit:
Liste des déportés du 02 octobre 1944:
Bazin Henri, Behra Louis, Behra Maurice, Bluem Robert,
“Camé” Henri, Claude Raymond, Claude René, Delacôte Maurice,
Dieudonné Pierre, Donzé Paul, Dubois Alphonse, Dubois Paul,
Georges Michel, Gillet Auguste, Giordani Louis, Grandemange Michel,
Hans Georges, Jacquet Roger, Kraft Maurice, Laurent Roger,
Lévèque Camille, Leveque Henri, Lindecker Ferdinand, Lombard Julien,
Mansuy Maurice, Mathieu André, Mathieu François, Morel René,
Naegelen Léon, Paul Claude, Pierrel Henri, Pierrel Louis,
Poirot Fernand, Ringenbach Noel, Ringenbach Albert, Rouillon Jean,
Valroff René, Valroff Robert, Valdenaire Louis,
Liste des personnes de St Maurice exécutées au Steingraben:
Gaston Remy, Maurice Mansuy, Ernest Bourquard, Stivert Jean,
Arcin Gustave, Maurice Blaise
Liste des personnes de St Maurice arrêtées dans le train et déportées:
Bazin Pierre, Spiller Jean Marie. (transférés à Epinal )
Liste des rescapés de la déportation:
Bonne Emile, Claudel André, Grava Ernest, Lacaze Pierre,
Laporte Louis, « Ladeck « Henri, Malnati Paul, Mandeler Georges,
Perrin georges, Pierrel René, Poinsot Alphonse, Chenini François,
St Dizier Léon, Ray Jean, Mathieu Paul, Marinoni Fortuna,
Viry Georges,
Quelques jours plus tard, je me souviens que j'allais coucher de temps en temps avec la femme à Louis Laporte qui habitait dans la maison des gardes forestiers à La Grande Goutte en haut de la vallée des charbonniers, sur l'ancienne route du Rouge Gazon. Son mari avait été pris dans la rafle du 2 octobre. Elle se retrouvait donc seule à ce moment là mais comme elle était enceinte et prête à accoucher, j'allais lui tenir compagnie pour passer la nuit car les accouchements arrivent bien souvent la nuit. Les femmes accouchaient généralement à la maison en ce temps-là. Un soir alors que je me rendais chez elle, j'ai été arrêtée sur la route par les gens qui m'ont dit qu'il ne fallait pas que j'aille plus loin, car un avion allemand avait été abattu et était tombé sur ce secteur de la vallée des Charbonniers.
Je me souviens aussi d'un événement qui s'est déroulé en 1944. Nous avons remarqué que des Allemands s'étaient alignés chaque trois ou quatre mètres, le long du fossé, un peu plus haut que chez nous. Ils ont commencé à avancer en direction d'une ferme que papa avait achetée et où nous avions mis nos bêtes. Mon jeune frère Raymond qui avait 14 ans, se trouvait à cette ferme, puisque c'était lui qui trayait la vache. Ensuite des coups de fusils ont été tirés. Nous avons su par la suite que deux hommes se cachaient à proximité de la ferme, dans des buissons. Les Allemands en ont attrapé un et sont repassés devant chez nous avec lui, on n’a jamais su ce qu'il était advenu du deuxième. Nous avons donc vu ce jeune prisonnier, qui devait avoir seize ou dix sept ans. Il claquait des dents tellement il avait peur. En passant, il a juste eu le temps de nous dire: « Boulanger, St Loup », en tout cas c’est ce que nous avons cru comprendre. Le jour même dans l'après midi, je suis descendue au village faire des courses. Là Mme Keuch, la bouchère, m'a dit que deux coups de fusil venaient d'être tirés dans une cave d'une maison du village. Je ne sais pas s’il y a un rapport avec ces deux affaires. Je sais que maman qui avait des connaissances sur Luxeuil s'était renseignée pour savoir si ce gamin ne venait pas de St Loup sur Semouse mais ses recherches n'ont pas abouti.
Le jour de la Toussaint 1944, ça bombardait tellement que je n'ai pas pu aller au cimetière. L'usine de la fonderie à côté de chez nous a été rasée complètement, ce n'était plus qu'un tas de cailloux. Nous nous étions tous réfugiés dans les caves. Un couple de petits vieux qui habitait dans cette usine est venu nous rejoindre et nous a manifesté son soulagement de trouver avec nous un abri. Tout à coup l'homme s'écrie: « Mais le gosse, qu'est ce qu'il va devenir? ». Un jeune couple leur avait confié leur petit gosse de six mois, dans leur précipitation, les anciens sont venus se réfugier chez nous, en laissant le gamin dans leur cave. Lorsqu'ils sont retournés voir, l'usine était rasée, mais le gamin était indemne, dans la cave. Quelle chance il a eue !
Je n'ai pas de souvenir marquant au sujet de femmes qui se seraient fait remarquer pendant la guerre, je sais simplement que Barbe Albert, la femme à Jeannot Grosjean a été conduite à La Vierge à Epinal où elle a été emprisonnée. Je n'en connais pas les raisons précises, les gens parlaient peu à l'époque, il me semble, mais je peux me tromper, que c'est en rapport avec Jeannot qui s'était enfui d'Allemagne. Je me souviens par contre, à la Libération, que Barbe invectivait les prisonniers allemands qui se trouvaient sur la place, visiblement elle n’avait pas gardé un bon souvenir de son enfermement à Epinal.
yves philippe- MODERATEUR
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Date d'inscription : 28/12/2010
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