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LE THILLOT - SOUVENIRS D’ANDRÉ PEDUZZI

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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 16:03

Le premier événement dont je me souviens et qui a un rapport avec la guerre est constitué par un combat d'avions au dessus du Thillot, c'était avant l'invasion des Boches. Je me trouvais dans la côte de la tannerie. J'ai vu un des avions partir sur la Haute Saône en laissant s'échapper une traînée de fumée, ce qui permettait de penser qu'il avait été touché.

En mai 1940, précédant l'arrivée des Allemands, nous étions allés nous réfugier dans une ferme à Couard, propriété d'un nommé Grisvard.

Nous étions là lorsque les Français ont fait sauter la poudrière, détruisant une bonne partie de la ville du Thillot.
La déflagration a été tellement forte qu'une grosse pierre a même été projetée, depuis le secteur de la gare où a eu lieu l'explosion, jusque dans le cadran du clocher de l'église.
A l'époque, il y avait encore la ligne du “Tacot”, le petit train qui reliait le Thillot à la Haute Saône.
Au terminus du Thillot, il y avait une plaque tournante qui permettait de faire demi -tour à la locomotive. En dessous de cette plaque tournante se trouvait une fosse et de la dynamite y avait été cachée.
On se demande encore les motifs qui ont poussé les Français à faire sauter ce stock d'explosifs. Ce n'est pas sa présence, même aux mains des Allemands qui aurait arrêté la guerre.

Nous dormions donc dans le foin de la ferme Grisvard lorsque qu'au matin vers 06h00, nous avons été réveillés par les « Vert de gris », avec leurs casques recouverts de feuilles d'arbres.
Je me souviens que l'un d'entre eux tenait une bouteille de champagne en main.

Avec la déroute de l'armée française, beaucoup de militaires ont été faits prisonniers. Ils ont été parqués comme des bêtes sur le terrain du stade Grosjean.
Je me souviens que parmi eux se trouvaient des gars de Belfort qui avaient décidé de s'évader.
Ils nous avaient demandé si on ne pouvait pas leur fournir des habits civils. On leur a fait passer des habits par le guichet de l'entrée du Stade. On leur a expliqué grossièrement par où il fallait qu'ils passent.
Nous avons su après la guerre que deux d entre eux au moins avaient réussi à s’évader.

En 1942 je suis allé passer la visite pour le travail obligatoire, Rue Jeanne d'Arc à Épinal. Mon frère ainé, Pierre, était déjà passé par là l'année précédente et il s'était retrouvé à La Rochelle, sur le mur de l'Atlantique où il travaillait pour le compte de l'organisation Todt .
Il y en avait partout des « Todt », même ici, ils étaient faciles à reconnaître, ils étaient habillés en jaune.
A Épinal, je n'ai pas voulu prendre le train, donc je me suis retrouvé réfractaire au STO et je suis revenu discrètement au Thillot.
De ce fait, je perdais mes papiers et mes droits à la carte d'alimentation. C'était un choix qu'il fallait assumer.

Les Allemands m'ont retrouvé et en 1943, j'ai été désigné pour aller en Allemagne, mais quelques jours plus tard, les Américains ont bombardé Épinal et la préfecture a été touchée. Les papiers ont été détruits, dont les miens, ce qui fait que je ne suis pas allé en Allemagne non plus.

Je croyais qu'ils allaient m'oublier mais j'ai dû être vendu et ils m'ont requis pour aller faire des tranchées en 1944 sur Chaillon dans les dessus du Thillot.
Nous faisions des trous individuels. Nous avions comme consigne de ne mettre que de la terre pour faire le rebord du trou en vue d'éviter les ricochets.
Je ne sais pas pourquoi, nous on mettait des cailloux à la place de la terre et on les recouvrait simplement de gazons. En compensation de notre bon travail, nous avions droit à leur pain carré. A vrai dire, c'était du pain fait avec de la sciure de bois. On avait faim alors on en mangeait quand même.
Entre ces périodes, je travaillais au noir pour gagner quelques sous. Il faut dire que comme nous étions charpentiers, ce n'était pas le travail qui manquait.
Par contre il y avait le couvre feu, ce qui était une contrainte, surtout pour nous les jeunes.
Çà allait que les Boches se déplaçaient de nuit par groupes en marchant au pas, on les entendait arriver avec leurs bottes, ce qui nous laissait le temps de nous planquer avant qu'ils n'arrivent à notre hauteur.
Les gens qui fumaient avaient un handicap supplémentaire avec le manque de tabac, alors ils s'adaptaient en fumant un peu n'importe quoi.
Au Thillot j'ai connu des gens qui fumaient des feuilles de haricots ou des feuilles de rosiers.
On sentait un peu toutes les odeurs de tabacs, chacun s'adaptait comme il pouvait.
La carte de tabac n'est arrivée que bien après. Si elle ne suffisait pas aux gens qui fumaient beaucoup, elle faisait le bonheur de ceux qui ne fumaient pas puisqu'elle leur permettait de faire du troc, contre telle ou telle chose, ou contre trois ou quatre sous.

En 1944 les Boches ont commencé à devenir méchants. Je me souviens qu'un jour, alors qu'on travaillait en Haute Saône, ma tante est venue nous prévenir qu'il ne fallait pas qu'on revienne au Thillot. Les Allemands avaient encerclé le village et mis le feu au garage Munsch (Nuit du 05 au 06 juin 1944 Ndr).
Le fils Munsch, Pierrot, qui était de mon âge, avait été arrêté. Il est mort en déportation.

Une autre fois, alors qu'on travaillait dans une grange à Belonchamp en Haute Saône, on a vu par un larmier que des Allemands arrivaient vers nous.
Je me suis mis derrière la porte si bien qu'ils ne m'ont pas vu, par contre ils ont demandé à mon frère Lucien de sortir ainsi qu'à mon oncle qui s'appelait Lucien aussi.
Ils étaient eux aussi réfractaires. Ils ont été tenus en joue un bon bout de temps par un Boche avec un fusil mitrailleur.
Les Allemands avaient visité toutes les maisons du coin et nous avaient trouvés là.

Je crois que c'était le jour où ils ont attaqué les maquis de l'Ognon et de Ternuay (Haute Saône).
Au bout d'un moment les boches sont repartis comme ils étaient venus sans qu'on sache trop pourquoi.
Je suis passé encore hier à Belonchamp et j'y ai repensé en voyant le caillou où était postée la mitrailleuse.

Le 18 octobre 1944 nous avons passé les lignes pour aller en zone libérée. Je me trouvais avec mon frère André, un an plus jeune que moi. Nous avons pris à pied la route du Ménil et sommes allés jusque chez Daniel Petitjean, sur la route du Col des Fenesses. De là nous sommes montés tout droit dans la forêt du Géhant.
Je me souviens que par endroits, où nous étions à découvert, on ne devait passer qu'un par un et en courant pour éviter d'être pris pour cible par les Allemands qui pouvaient nous apercevoir depuis La Chapelle des Vés.
Gaston Rouillon avec nous. Au total nous devions être une vingtaine.
Nous n'avions pas pris de valise, nous avions juste mis plusieurs épaisseurs de vêtements sur nous pour avoir des habits de rechange et ne pas être embarrassés par les bagages.

Après avoir passé la ligne, je me souviens que nous avons dormi dans la caserne du 170 ème qui se trouvait à la Magdeleine à l'entrée de Remiremont.
Ensuite, toujours avec mon frère, et Etienne Perrin, aujourd'hui décédé, nous sommes descendus à pied sur Épinal où nous avons pris contact avec la Sécurité Militaire. Là on a fait un copieux repas.
Ensuite nous avons travaillé un ou deux mois comme charpentiers sur Épinal, pour nous faire un peu d'argent. Avec cet argent nous avons pris le train et on est allé chez notre grand-mère, à côté de Soissons (Aisne).

Nous sommes revenus au Thillot au printemps 1945 et nous avons continué notre métier de charpentiers.

Notre frère ainé, Pierre avait réussi à s'évader de La Rochelle (Charente Maritime), il a gagné le maquis sur Clermont Ferrand (Puy de Dôme).
Ensuite il s'est engagé dans l'armée de libération et a libéré l'Alsace avant de faire toute la campagne d'Allemagne.
Par la suite il s'est retrouvé en Indochine où il a été tué à l'âge de 23 ans.

yves philippe
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