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FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS D'AGATHE BOILEAU

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Message par yves philippe Dim 16 Oct 2016 - 19:45

Je suis née à Fresse sur Moselle, dans la maison de la scierie familiale du Pont Jean.
Je me souviens de la déclaration de guerre même si je n'avais que douze ans. Nous avions un garage près de chez nous, à côté de chez Julien Febvay et j'ai pu y lire les grandes affiches de la déclaration de guerre que nous y avions placardées.
Un de mes oncles qui devait être réserviste a été mobilisé pour faire le garde voie.

En 40 ces hommes ont été convoqués à Remiremont où ils ont été équipés plus ou moins bien. C'était un bien grand mot puisqu'ils n'ont même pas perçu de tenue. On leur a donné un fusil d'une marque et des cartouches d'une autre marque, enfin c'est ce qu'ils disaient.
Ils sont revenus à plusieurs, à pied par la route des Forts. Comme les Allemands étaient déjà arrivés ici, ils n'ont pas voulu être fait prisonniers les armes à la main alors ils ont caché leurs fusils dans les trous des mines du Thillot.
Dans ces jours-là, la poudrière du Thillot a sauté, on a ressenti la secousse jusqu'au Pont Jean, on aurait dit un tremblement de terre.
Mon père tenait également la scierie de la Rue Galleman au Thillot, laquelle a été gravement endommagée lorsque le pont de la Moselle a sauté.

Le pont Jean a également sauté, ce qui obligeait les gens à passer devant chez nous pour aller vers St Maurice. Une forme de déviation à sens unique avait été mise en place en raison de l'étroitesse des chemins. Ceux qui montaient passaient devant chez nous et allaient vers Presles, tandis que ceux qui venaient de Bussang et qui désiraient descendre sur Fresse, contournaient par l'autre côté de la Moselle et passaient par « Les Ajols » , au niveau de l'usine Lévêque maintenant.
Les Allemands ont reconstruit le pont et certains logeaient dans le moulin qui nous appartenait, à côté de chez nous, au Pont Jean.

A la débâcle de l'armée française, mon père s'est fait réquisitionner sa C-4 Citroën qu'il n'a jamais revue. Il a mis en panne la B-12 et la B-14 que nous avions aussi pour garder un peu quelque chose, mais un obus est tombé sur la grange où elles se trouvaient, ce qui fait qu'il ne nous restait plus rien. La chance a fait qu'un de mes oncles qui était instituteur a demandé à être affecté au Maroc. Comme il avait aussi une C-4, c'est nous qui l'avons récupérée.
Plus tard, avec les dommages de guerre, en remplacement de notre C-4, nous avons retouché une Juva-4, certainement que mon père avait dû mettre un peu d'argent au bout pour l'obtenir.

Je me souviens du premier Allemand que j'ai vu. Il passait à cheval sur le chemin devant la maison. Nous en avions une « trouille » pas possible parce que les adultes nous avaient dit que les Allemands coupaient les mains et donnaient des bonbons empoisonnés.
Mon père avait apprit l'allemand au collège et avait pu le perfectionner malgré lui lors de ses quatre années de captivité à la guerre 14 où il servait d'interprète.

Ensuite nous avons vu passer sur la grande route les colonnes de prisonniers français qui partaient à pied vers l'Alsace. Certains étaient confiants et pensaient être démobilisés un peu plus loin, d'autres avaient déjà compris et cherchaient à troquer leur uniforme contre des habits civils.

À la rentrée scolaire de 40, jusqu'en 44, j'ai été mise en pension à Remiremont. Je m'y rendais en train au début du mois et ne revenais à la maison que le samedi soir à la fin du mois.
Entre ces deux dates, la vie a repris son cours. A Remiremont, la première année j'étais en pension chez des particuliers du fait que les Allemands avaient réquisitionné toutes les chambres de l'institution Jeanne d'Arc où j'étudiais. En 41 tout est redevenu normal.

Par la suite, je me souviens des réquisitions alimentaires, même si pour ma part je n'ai pas eu faim pendant la guerre. Il faut dire aussi que nous étions habitués à vivre avec peu de chose, nous n'étions pas difficiles. Je vois encore « Qu'im bré » (Qu’un bras, en patois -Ndr), le manchot, venir avec son vélo pour recenser ce qui allait être réquisitionné. C'était un malin, il jetait du grain qu'il avait dans ses poches pour compter les poules. Il en déduisait le nombre d'œufs à réquisitionner.

En 1944, lorsque les alliés sont arrivés à Ramonchamp, notre scierie a été réquisitionnée par l'organisation Todt, qui équivalait au Génie Français. Le bois débité servait à la fortification des lignes de défenses allemandes. Les hommes ont aussi été réquisitionnés pour réaliser les ouvrages.

Une batterie de canons a été positionnée près de notre scierie, commandée par un gradé allemand qui parlait français aussi bien que moi. Il s'appelait Charles, il était autoritaire et aimait se faire obéir, ça se voyait. Lorsque ça bombardait sur le quartier, il nous ordonnait de descendre à la cave et nous comptait pour voir s'il ne manquait personne. Un jour lors d'un bombardement, il a constaté que mon oncle, Jean, n'était pas là, il a demandé: « Il est où Monsieur le moulinier? ». Mon oncle était en effet resté au moulin que nous avions remis en service près de chez nous, le moulin bénéficiant également d'une cave, Jean avait dû s'y réfugier.
Lorsqu'on allait chercher du fromage à la colline, on se faisait sermonner par le grand Charles qui prenait en exemple Mme Pierre Febvay qui avait été tuée dans son champ de pommes de terre à Couard. Il avait été mis au courant puisqu'un poste d'observation avait été mis en place dans les dessus de Couard et ce poste était relié au PC allemand qui se trouvait chez nous, par le téléphone.

Si la batterie de canons ne s'était pas trouvée là, les alliés n'auraient pas tiré comme ça sur ce secteur. L'Allemand qui gérait la batterie nous a fait le reproche d'aller à la messe le dimanche pour en profiter et faire savoir aux alliés où se trouvaient leurs pièces d'artillerie.

Un jour, un avion de reconnaissance allié est passé à très basse altitude, le lendemain, la batterie de canons a quitté les lieux.
Il faut dire aussi qu'un de mes petits cousins, Marcel Denis, qui habitait en face de chez nous sur l'ancienne route, avait franchi les lignes. Il avait été officier dans l'artillerie en 40 et était devenu par la suite le principal du collège du Thillot. Il avait fait un plan du secteur avec les emplacements des pièces d'artillerie qu'il avait communiqué aux artilleurs français qui étaient en poste à Rupt sur Moselle.

Nous avions eu de la chance puisque suites aux bombardements, seul le moulin avait été endommagé. Heureusement que rien n'était tombé sur un hangar où les Allemands avaient un important stock de munitions. Ces munitions servaient à alimenter un poste de combat qui était placé au Hinguenet, sous le Ballon de Servance. C'est Lévêque-Marguette qui était réquisitionné pour monter les munitions là- haut avec ses bêtes et une charrette. A son dernier voyage, il s'est débrouillé pour que le chargement tombe dans le canal qui passait au pont Jean mais qui n'existe plus aujourd'hui.

Les postes de radio avaient aussi été réquisitionnés. Comme mon père produisait de l'électricité avec son moulin, nous écoutions la radio avec un petit poste qui était dissimulé dans un tas de bois à la cave. Je me souviens avoir entendu la prise de Mulhouse qui a été libérée avant nous.

Pour protéger leur fuite, les Allemands ont à nouveau fait sauter le Pont Jean et ce sont les Algériens du génie français qui l'ont reconstruit à la fin de l'année 1944 puisqu'ils ont passé Noël avec nous. C'est à ce moment-là où nous avons goûté aux boites de beans américaines. C'était un mélange de légumes et de viande, on trouvait ça bon, ça nous changeait de nos habitudes alimentaires.
En échange, ils mangeaient nos patates et nos fromages.

A nouveau le système de déviation de St Maurice a été mis en place, les rails du chemin de fer ont été ôtés et la voie de chemin de fer a été transformée en rue.

En partant, les Allemands nous ont réquisitionné nos chevaux et nos charrettes, mon père était rendu à retravailler avec des bœufs. Plus tard il a fait l'acquisition de deux camions GMC issus de l'armée américaine. Avec le premier, il allait en forêt pour débarder et avec le second il transportait le bois.

Un beau dimanche, alors qu'il avait fait un temps de chien toute la semaine, nous étions allés à la messe. Au beau milieu de l'office, le gamin Neumann est entré et a crié depuis le fond de l'église: «Les Français sont là! ».
Tout le monde est sorti de l'église sans attendre la fin de l'office. Nous avons tout d'abord été étonnés parce que la place du village était vide. Pas l'ombre d'un Français ne se trouvait là. «Mais si ! Ils arrivent par là-haut » a repris le gamin en montrant la colline de Fresse. Effectivement nous avons vu arriver par là une troupe de soldats. Nous avons été tout d'abord déçus, nous nous attendions à voir arriver des Français en tenue de Français, comme ceux de 40, tout compte fait, ils étaient équipés “à l'américaine”, avec des casques qui ressemblaient trop à ceux des Allemands.

Les libérateurs étaient venus par Le Ménil et la Chapelle des Vés. Tout compte fait, après un moment de doute et cette petite déception passée, nous avons réalisé. C'était bien des Français.
Une grand mère nous exhortait: « Allez les filles, allez les filles, allez les embrasser, ils viennent nous libérer. » nous criait-elle. Je dois vous dire qu'au début nous n'étions pas très partantes pour cela. Ces soldats étaient sales, pas rasés, habillés avec des capes et des pèlerines qui ne nous donnaient pas trop envie de nous approcher d'eux. Il est vrai que pour eux, la guerre continuait. Il s'agissait des premiers éléments du Corps Franc Pommies.

Passé cet événement, nous nous sommes empressés de retourner chez nous et annoncer la bonne nouvelle. Arrivés là, nouvelle déception, un autre détachement allié nous y avait précédés en provenance directe du Château Lambert. Nous n'avons donc pas eu ce privilège, mais ce n'était pas grave, par rapport à tout ce que nous avions vécu avant.

C'était le dimanche 26 novembre, le jour de la libération de St Maurice.
yves philippe
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