FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE LEON TOURDOT
FOREST :: VALLEE DE LA HAUTE MOSELLE, Rupt sur Moselle à Bussang :: "Recueil de témoignages sur le vécu sous la botte Allemande ( 39-45)
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FRESSE SUR MOSELLE - SOUVENIRS DE LEON TOURDOT
Je suis né le 28 Mars 1921. A 18 ans, je me suis engagé auprès du 502ème Régiment de Chars de combat qui était basé à Angoulême.
Au conseil de révision j'avais demandé l''aviation, mais une chute de vélo m'ayant contraint à porter un appareil dentaire, je me suis retrouvé dans les chars.
Je suis arrivé au Quartier Bossu d'Angoulême (Charente) ,début Janvier 1940. J'y ai fait mes classes, puis le peloton. De manière régulière, des compagnies partaient sur les lignes. La guerre était déclarée mais n'était pas encore sur le territoire national.
Un terrain d'entraînement pour les chars se trouvait à proximité du régiment ainsi qu'un terrain d'aviation.
J'ai été versé au Parc des Engins Blindés du Levant ( P.E.B.L) et vers fin mai 40, nous avons quitté notre cantonnement de Bois Menu et sommes montés sur Paris afin de percevoir des chars d'assaut tout neufs.
Théoriquement nous devions redescendre sur Port Vendres dans les Pyrénées Orientales.
Le mois de Juin arrivant avec les Allemands, la situation a basculé du tout au tout, si bien que nous avons accompagné la retraite de l'armée Française avec nos chars R-35, de marque Renault, qui pesaient 12 tonnes.
Alors que nous redescendions la Loire, les Allemands allant plus vite que nous, nous avons laissé nos chars et avons pris place à bord de camions qui nous ont redescendus à notre point de départ. A la place de mon char, j'avais retouché un camion atelier de marque Panhard.
Nous avons donc doublé toute la population civile de Paris qui fuyait vers le Sud, avec des brouettes, des poussettes et des charrettes.
A Angoulême, j'avais fait la connaissance d'une jeune fille. Revenu fraichement de Paris, je décide un jour de quitter le cantonnement de Bois Menu pour aller la retrouver. Nous n'étions à l'époque-là, porteurs que d'une seule tenue, la tenue militaire.
Le problème a été qu'Angoulême se trouvait désormais en zone occupée.
Chemin faisant, à pied bien sûr, je vois un side-car s'arrêter à ma hauteur. Un homme s'adresse à moi dans un français parfait.
« Vous allez où? »
« A Angoulême »
« J'y vais aussi, je vous y emmène »
« D'accord »
Je suis monté dans le panier, tandis que le passager qui s'y trouvait prend place derrière le pilote.
Ils m'ont conduit tout droit au quartier Bossu où se trouvait maintenant la Kommandantur.
J'étais fait prisonnier. Je n'étais pas seul puisque cinq ou dix mille personnes m'y attendaient déjà pour les mêmes raisons.
Je précise que les Allemands n'ont pas eu de difficulté à rassembler ce nombre important de prisonniers puisqu'il y avait trois régiments dans cette ville. Il y avait là l''infanterie, l''artillerie et les chars.
Au bout du onzième jour, nous avons été rassemblés dans la cour de la caserne, mis en rang et des Allemands ont commencé à nous trier.
Certains allaient dans le groupe à droite, et les autres à gauche, sans qu'on sache les critères de sélection.
J'ai sans doute eu de la chance, le groupe dont je faisais partie a eu droit à être démilitarisé par la suite. L'autre groupe est probablement parti en Allemagne.
Angoulême se trouvant en zone occupée, notre groupe a été déplacé, à pied, vers la zone libre. Cette frontière était simplement matérialisée par une barrière placée en travers de la route.
Nous avons stationné un temps dans un minuscule village, peut être un hameau, qui s'appelait Le Châtaignier.
Un chauffeur et un secrétaire volontaire ont été demandés. Comme j'avais mon permis j'ai levé le doigt et je me suis retrouvé Chauffeur d'un Lieutenant au sous-canton de Montbron , toujours en Charente
Parmi un groupe de cinquante personnes peut être, et avec un copain de Fresse que j'avais retrouvé, nous avons été ensuite dirigés, toujours à pied, au sous canton de Montemboeuf (Charente).
J'ai été démilitarisé à Chabanais et désigné pour aller sur Périgueux ( Dordogne) afin d'intégrer un bataillon de choc des camps de jeunesse à Pétain, qui était en formation. Les jeunes y apprenaient à se battre avec des bâtons, ça ne me plaisait pas.
Je suis allé passer la visite mais ai dit que je préférais être versé dans les Dragons. Ils nous ont laissé un délai de réflexion et tout compte fait, j'ai demandé à être démobilisé puisque nous avions aussi cette possibilité.
Il a donc fallu que je me débrouille pour revenir en zone occupée. Des tronçons à pied et d'autres en train, j'ai fini par arriver à Lons le Saunier dans le Jura.
J'ai traversé la Loue avec un passeur, de nuit et sur une passerelle.
Je me souviens qu'un gars originaire de la région de Nancy m'avait avancé les deux francs qui me manquaient pour que je parvienne à payer le passeur.
Une fois revenu à Fresse, j'ai fait divers métiers jusqu'au jour où j'ai su que des cultivateurs de la plaine avaient besoin de main d'œuvre.
Je me suis retrouvé dans une ferme à Hadol.
Là on commençait à entendre parler de la résistance.
J'avais réussi à récupérer un pistolet 6,35 avec une boîte de cartouches.
A Hadol, entre copains, a commencé à germer dans nos esprits, l'idée d 'un maquis.
Nous étions quelques uns, dont Aymond Fresse de Fresse Sur Moselle et quelques gars de La Bresse.
Nous avions su qu'une entreprise de ce secteur travaillait pour les Boches.
Je m'étais procuré des explosifs par un copain qui travaillait pour un ancien garde forestier. A l'époque les gardes forestiers « dessouchaient », ( Arrachage de souches d'arbres - Ndr) avec des explosifs.
Un soir avec cet explosif, je suis allé faire sauter le transformateur qui alimentait cette entreprise, juste pour « emmerder » un peu les Boches.
Ce que je ne savais pas, c'est que nos faits et gestes étaient épiés par un jeune du village. Ce jeune s'amusait de son côté et à notre insu, à couper les câbles sur les lignes de chemin de fer.
Il a fait ça à plusieurs reprises jusqu'au jour où il s'est fait prendre.
Il a été conduit à Nancy et sûrement qu'à force de prendre des coups, il a trouvé que c'était préférable de dire que c'était moi qui lui avais donné ces ordres.
Le soir du vendredi 21 janvier 1944, trois gaillards débarquent devant la maison où je me trouvais, avec une traction. Les miliciens en sortent et me demandent de les suivre sans m'en dire plus.
Ils m'ont conduit tout droit à Nancy, à l'intendance de la police mobile qui était le P.C de la milice.
Ils avaient également « coffré » ( Attrapé – Ndr ) Aymond Fresse et un autre gars d'Hadol qui n'avaient rien à voir non plus avec toute cette affaire.
Ils m'ont laissé passer la nuit dans un petit réduit et le lendemain matin, ils m'ont confronté au jeune qui m'avait accusé de lui avoir donné des ordres.
Le jeune en question, qui avait 16 ou 17 ans, avait raconté tellement de conneries que les miliciens croyaient tenir en lui une grosse affaire. Ce jeune les avait même trimballés jusqu'à Paris où il leur avait dit qu'il y avait des contacts.
Je me retrouve donc dans une pièce, seul avec ce jeune homme, sans savoir que notre conversation était enregistrée. Je lui ai demandé les raisons qui l'avaient poussé à m'accuser et lui ai demandé de revenir sur sa version des choses.
Nous avons ensuite été séparés et je n'ai jamais revu ce jeune par la suite.
Le samedi dans la journée, j'ai vu qu'Aymond Fresse était libre ainsi que l'autre gars d'Hadol.
L'après- midi , j'ai été soumis à un interrogatoire musclé. Comme je niais toute implication avec ce dont on m'accusait, j'ai commencé à recevoir quelques coups. Trois ou quatre gars passaient leurs nerfs sur moi, à tour de rôle.
J'étais en chaussettes avec presque plus d'habits sur le dos. Après les coups au visage, ils m'ont fait me mettre à genoux et m'ont mis des coups de règles sur la plante des pieds, sans doute pour me réveiller.
Ensuite ils m'ont remis assis et moi je continuais à nier.
A un moment pour éviter un coup, je me suis reculé ce qui a fait que le gars qui allait me frapper a été emporté par son élan. Il s'est affalé sur la table et est tombé à terre, emportant avec lui la machine à écrire.
Cette épisode ne les a pas calmés, bien au contraire et les hostilités ont recommencé. J'ai repris une beigne, deux beignes trois beignes jusqu'à ce que je perde connaissance.
J'ai repris mes esprits en cellule avec des douleurs un peu partout. On m'a apporté une gamelle de soupe et deux couvertures. Je n'avais rien dans le ventre depuis la veille.
Le dimanche après midi, un gars m'apporte un bout de papier et un crayon afin que j'écrive à ma mère pour lui annoncer que j'allais être passé par les armes le lendemain à la prison Charles 3. Il m'a demandé si je n'avais rien à modifier par rapport aux réponses que je leur avais faites.
Je suis resté sur ma position mais je vous assure qu'à 23 ans, on se sent trop jeune pour mourir.
Le dimanche passe et l'instinct de survie commence à s'activer en moi.
Par les barreaux, j'ai commencé à regarder dehors et à repérer les lieux. J'ai vu qu'il y avait un cabanon, pour accrocher les vélos, qui était adossé au mur d'enceinte. Je me suis dit que c'était l'endroit idéal pour franchir le mur, mais encore fallait il y arriver.
En regardant pas les barreaux de la porte, j'ai vu qu'il y avait une bouteille qui se trouvait à ma portée.
C'était une bouteille qui se fermait avec un bouchon en porcelaine et dont l'étanchéité est faite par un caoutchouc. J'ai pensé que si je réussissais à attraper cette bouteille, je parviendrais à faire un crochet avec le fil de fer qui sert au pivotement du bouchon.
Comme j'étais toujours en possession de mon écharpe j'ai commencé par tenter de rapprocher cette bouteille. N'y parvenant pas, j'ai mouillé mon écharpe dans l'eau du WC turc qui ornait ma cellule.
Devenue plus lourde, mon écharpe avait plus d'efficacité et j'ai réussi à attraper la bouteille. J'ai démonté la partie métallique, ai remis la bouteille presque à sa place et ai commencé à me faire un outil pour crocheter la serrure. Malgré plusieurs tentatives je ne suis pas arrivé à mes fins.
Le dimanche soir, j'ai eu de nouveau droit à une gamelle de soupe. J'ai bu ma soupe, ai redonné la gamelle, mais ai gardé la cuillère en fer blanc.
Un peu plus tard, un gars de Paris est venu me rejoindre en cellule. Visiblement il s'était fait coincer parce qu'il détournait des wagons de la SNCF.
Au milieu de la nuit, je me suis réveillé. Il n'y avait plus aucun bruit dans le bâtiment, mais il faisait un temps de chien dehors avec de la neige et du vent.
J'ai cassé ma cuillère, j'ai mis le manche dans la fente formée entre la porte et le mur et ai plié le manche à l'équerre.
Avec ce crochet j'ai réussi à faire glisser le pêne de la porte qui s'est ouverte.
J'ai réveillé le Parisien et nous sommes sortis de la cellule malgré des réticences de sa part.
Comme il n'y avait aucune sentinelle, nous sommes sortis du bâtiment, avons atteint la cabane des vélos.
Nous sommes montés sur l'abri et avons fait le mur.
En enjambant le mur le premier, le Parisien a fait tomber une pierre sur les tôles du cabanon, ce qui a fait un vacarme assez important. Heureusement qu'il faisait un temps de chien, ce qui a couvert le bruit.
Lorsque j'ai franchi le mur à mon tour, le Parisien avait disparu. J'attends encore son merci.
Il est parti d'un côté et moi de l'autre, nous ne nous sommes jamais revus.
Je suis parti à l'aveuglette et à toutes jambes.
A l'angle d'une rue, j'ai heurté des gens que je n'ai pas eu le temps de voir. J'ai juste entendu crier Halte là! Halte là. Je me suis caché dès que j'ai pu en sautant dans une sorte de caniveau. J'avais de l'eau jusqu'au thorax. Je suis resté là jusqu'à ce que ce secteur redevienne calme.
Cela s'est passé dans le secteur de la place Stanislas.
J'ai repris ma route en me méfiant de tout jusqu'à ce que je tombe sur la direction de Neufchâteau.
Mon seul but était d'aller rejoindre ma copine qui habitait Hadol.
J'ai marché jusqu'au petit jour et je suis arrivé à Chavigny. Là j'ai longé le canal et suis arrivé au petit jour à Richardménil.
Comme je n'avais plus de lacet à mes chaussures, j'en avais fait avec mon mouchoir de poche.
Il continuait à pleuvoir, nous étions en janvier, je n'avais rien sur le dos, pourtant, étrangement je n'avais pas froid. Probablement que je n'avais pas le temps d'avoir froid.
Là j'ai décidé d'aller me réfugier un temps dans ce village.
Au départ, je voulais aller me réfugier dans l'église mais en arrivant à proximité de l'église, j'ai vu que de la lumière filtrait d'une ferme située à proximité.
Je savais que ma décision était très risquée, soit ces gens allaient m'aider, soit ils allaient m'enfoncer.
J'ai frappé à la porte et suis entré dans la pièce.
Un homme se trouvait là assis sur un tabouret. Il avait un seau de patates entre les jambes et était en train d'éplucher des légumes.
Lorsqu'il m'a vu, j'ai bien cru qu'il avait vu le diable. Il faut dire que je n'étais pas beau à voir.
Poursuivant ma logique de confiance, j'ai expliqué à ce type ce qu'il m'arrivait.
L'homme a réfléchi puis m'a proposé d'aller me cacher et de me réchauffer dans le local où il faisait à manger à ses cochons.
Il m'a apporté à manger et je ne suis pas fait prier pour tout avaler.
Je me suis séché là une bonne partie de la journée.
Je n'étais pas trop tranquille parce que j'avais vu passer plusieurs fois une traction noire sur la route, je me demandais bien si ce n'était pas pour moi.
Le soir venant, j'ai voulu reprendre la route mais l'homme qui m'hébergeait m'a appris qu'un car passait tous les soirs et allait sur Epinal. Comme je n'avais pas un sou sur moi, il m'a avancé un billet de cinq francs.
Ma femme lui a renvoyé son billet quelques temps après. Je suis donc revenu à Hadol et me suis réfugié chez ma copine.
Je suis allé me cacher dans le tas de paille et la copine m'a amené une bouteille de goutte ( Eau de vie – Ndr ) et un bout de pain pour me revigorer.
Je suis resté caché là une dizaine de jours, jusqu'à ce qu'Etienne Thomas de Fresse vienne me chercher en voiture pour me reconduire à Fresse Sur Moselle. Ce devait être en février.
A Fresse Sur Moselle, les jours passent et au mois de mai 1944 je suis contacté par Mr Donati, qui était peintre dans la commune . Il m'informe qu'un maquis se formait au Peu Haut, dans les dessus de Fresse et me demande d'en faire partie.
Au début, nous n'étions que vingt trois. Il y avait trois malheureuses cabanes, simplement recouvertes d'écorces. Nous allions nous laver plus bas, près du chalet actuel où l'eau coule toujours.
Moi j'étais désigné pour faire le ravitaillement du maquis. J'étais allé chercher un mulet aux Charbonniers à St Maurice et je collectais de la nourriture dans les fermes des hauts de Fresse.
Petit à petit, le maquis a pris du volume puisque tous les jours des gens arrivaient d'un peu partout. Nous nous sommes retrouvés à cinquante puis à une bonne centaine. Pour ma part, je cumulais les tours de garde et mes rondes de ravitaillement avec mon mulet.
Lorsque le maquis du Peu Haut a été attaqué, nous nous sommes repliés sur celui de Bussang, lequel a été attaqué le lendemain.
Les maquis se sont disloqués et chacun est parti de son côté. Moi je suis revenu sur Fresse, avec mon fusil.
Un mois plus tard, à l'arrivée des alliés sur le bas de la vallée, j'ai décidé, comme bien d'autres, de passer les lignes pour nous retrouver du bon côté de la barrière. Je ne souhaitais qu'une chose, rejoindre ma copine à Hadol, c'est ce que j'ai fait.
Au moins dix ans après la guerre, alors que je conduisais des camions pour le compte de l'entreprise Grandclaude, j'ai été contrôlé par les policiers de Neuve Maison.
Après la journée de travail, nous devions passer la nuit à l'hôtel. Des policiers sont venus me trouver à l'hôtel et m'ont demandé de les accompagner au commissariat de police.
Ils m'ont montré une photo et m'ont demandé si je reconnaissais l'individu qui se trouvait dessus. C'était une photo de moi, celle qui avait été prise lorsque j'avais été conduit, menottes au poignet, à la police de Nancy.
Je n'ai pas été trop surpris parce que j'avais déjà obtenu le double de cette photo par la gendarmerie du Thillot.
J'étais fiché dans toutes les gendarmeries et commissariats de police de France pour désertion, détention d'armes, attentats et diverses autres infractions. J'étais supposé être un malfaiteur de première catégorie.
Au final je me suis expliqué sur toute cette affaire et je suis revenu à Fresse. Il n'y a eu aucune suite judiciaire à mon encontre mais aujourd'hui encore lorsque je vois les gendarmes au bord de la route, j'ai toujours une petite appréhension.
Au conseil de révision j'avais demandé l''aviation, mais une chute de vélo m'ayant contraint à porter un appareil dentaire, je me suis retrouvé dans les chars.
Je suis arrivé au Quartier Bossu d'Angoulême (Charente) ,début Janvier 1940. J'y ai fait mes classes, puis le peloton. De manière régulière, des compagnies partaient sur les lignes. La guerre était déclarée mais n'était pas encore sur le territoire national.
Un terrain d'entraînement pour les chars se trouvait à proximité du régiment ainsi qu'un terrain d'aviation.
J'ai été versé au Parc des Engins Blindés du Levant ( P.E.B.L) et vers fin mai 40, nous avons quitté notre cantonnement de Bois Menu et sommes montés sur Paris afin de percevoir des chars d'assaut tout neufs.
Théoriquement nous devions redescendre sur Port Vendres dans les Pyrénées Orientales.
Le mois de Juin arrivant avec les Allemands, la situation a basculé du tout au tout, si bien que nous avons accompagné la retraite de l'armée Française avec nos chars R-35, de marque Renault, qui pesaient 12 tonnes.
Alors que nous redescendions la Loire, les Allemands allant plus vite que nous, nous avons laissé nos chars et avons pris place à bord de camions qui nous ont redescendus à notre point de départ. A la place de mon char, j'avais retouché un camion atelier de marque Panhard.
Nous avons donc doublé toute la population civile de Paris qui fuyait vers le Sud, avec des brouettes, des poussettes et des charrettes.
A Angoulême, j'avais fait la connaissance d'une jeune fille. Revenu fraichement de Paris, je décide un jour de quitter le cantonnement de Bois Menu pour aller la retrouver. Nous n'étions à l'époque-là, porteurs que d'une seule tenue, la tenue militaire.
Le problème a été qu'Angoulême se trouvait désormais en zone occupée.
Chemin faisant, à pied bien sûr, je vois un side-car s'arrêter à ma hauteur. Un homme s'adresse à moi dans un français parfait.
« Vous allez où? »
« A Angoulême »
« J'y vais aussi, je vous y emmène »
« D'accord »
Je suis monté dans le panier, tandis que le passager qui s'y trouvait prend place derrière le pilote.
Ils m'ont conduit tout droit au quartier Bossu où se trouvait maintenant la Kommandantur.
J'étais fait prisonnier. Je n'étais pas seul puisque cinq ou dix mille personnes m'y attendaient déjà pour les mêmes raisons.
Je précise que les Allemands n'ont pas eu de difficulté à rassembler ce nombre important de prisonniers puisqu'il y avait trois régiments dans cette ville. Il y avait là l''infanterie, l''artillerie et les chars.
Au bout du onzième jour, nous avons été rassemblés dans la cour de la caserne, mis en rang et des Allemands ont commencé à nous trier.
Certains allaient dans le groupe à droite, et les autres à gauche, sans qu'on sache les critères de sélection.
J'ai sans doute eu de la chance, le groupe dont je faisais partie a eu droit à être démilitarisé par la suite. L'autre groupe est probablement parti en Allemagne.
Angoulême se trouvant en zone occupée, notre groupe a été déplacé, à pied, vers la zone libre. Cette frontière était simplement matérialisée par une barrière placée en travers de la route.
Nous avons stationné un temps dans un minuscule village, peut être un hameau, qui s'appelait Le Châtaignier.
Un chauffeur et un secrétaire volontaire ont été demandés. Comme j'avais mon permis j'ai levé le doigt et je me suis retrouvé Chauffeur d'un Lieutenant au sous-canton de Montbron , toujours en Charente
Parmi un groupe de cinquante personnes peut être, et avec un copain de Fresse que j'avais retrouvé, nous avons été ensuite dirigés, toujours à pied, au sous canton de Montemboeuf (Charente).
J'ai été démilitarisé à Chabanais et désigné pour aller sur Périgueux ( Dordogne) afin d'intégrer un bataillon de choc des camps de jeunesse à Pétain, qui était en formation. Les jeunes y apprenaient à se battre avec des bâtons, ça ne me plaisait pas.
Je suis allé passer la visite mais ai dit que je préférais être versé dans les Dragons. Ils nous ont laissé un délai de réflexion et tout compte fait, j'ai demandé à être démobilisé puisque nous avions aussi cette possibilité.
Il a donc fallu que je me débrouille pour revenir en zone occupée. Des tronçons à pied et d'autres en train, j'ai fini par arriver à Lons le Saunier dans le Jura.
J'ai traversé la Loue avec un passeur, de nuit et sur une passerelle.
Je me souviens qu'un gars originaire de la région de Nancy m'avait avancé les deux francs qui me manquaient pour que je parvienne à payer le passeur.
Une fois revenu à Fresse, j'ai fait divers métiers jusqu'au jour où j'ai su que des cultivateurs de la plaine avaient besoin de main d'œuvre.
Je me suis retrouvé dans une ferme à Hadol.
Là on commençait à entendre parler de la résistance.
J'avais réussi à récupérer un pistolet 6,35 avec une boîte de cartouches.
A Hadol, entre copains, a commencé à germer dans nos esprits, l'idée d 'un maquis.
Nous étions quelques uns, dont Aymond Fresse de Fresse Sur Moselle et quelques gars de La Bresse.
Nous avions su qu'une entreprise de ce secteur travaillait pour les Boches.
Je m'étais procuré des explosifs par un copain qui travaillait pour un ancien garde forestier. A l'époque les gardes forestiers « dessouchaient », ( Arrachage de souches d'arbres - Ndr) avec des explosifs.
Un soir avec cet explosif, je suis allé faire sauter le transformateur qui alimentait cette entreprise, juste pour « emmerder » un peu les Boches.
Ce que je ne savais pas, c'est que nos faits et gestes étaient épiés par un jeune du village. Ce jeune s'amusait de son côté et à notre insu, à couper les câbles sur les lignes de chemin de fer.
Il a fait ça à plusieurs reprises jusqu'au jour où il s'est fait prendre.
Il a été conduit à Nancy et sûrement qu'à force de prendre des coups, il a trouvé que c'était préférable de dire que c'était moi qui lui avais donné ces ordres.
Le soir du vendredi 21 janvier 1944, trois gaillards débarquent devant la maison où je me trouvais, avec une traction. Les miliciens en sortent et me demandent de les suivre sans m'en dire plus.
Ils m'ont conduit tout droit à Nancy, à l'intendance de la police mobile qui était le P.C de la milice.
Ils avaient également « coffré » ( Attrapé – Ndr ) Aymond Fresse et un autre gars d'Hadol qui n'avaient rien à voir non plus avec toute cette affaire.
Ils m'ont laissé passer la nuit dans un petit réduit et le lendemain matin, ils m'ont confronté au jeune qui m'avait accusé de lui avoir donné des ordres.
Le jeune en question, qui avait 16 ou 17 ans, avait raconté tellement de conneries que les miliciens croyaient tenir en lui une grosse affaire. Ce jeune les avait même trimballés jusqu'à Paris où il leur avait dit qu'il y avait des contacts.
Je me retrouve donc dans une pièce, seul avec ce jeune homme, sans savoir que notre conversation était enregistrée. Je lui ai demandé les raisons qui l'avaient poussé à m'accuser et lui ai demandé de revenir sur sa version des choses.
Nous avons ensuite été séparés et je n'ai jamais revu ce jeune par la suite.
Le samedi dans la journée, j'ai vu qu'Aymond Fresse était libre ainsi que l'autre gars d'Hadol.
L'après- midi , j'ai été soumis à un interrogatoire musclé. Comme je niais toute implication avec ce dont on m'accusait, j'ai commencé à recevoir quelques coups. Trois ou quatre gars passaient leurs nerfs sur moi, à tour de rôle.
J'étais en chaussettes avec presque plus d'habits sur le dos. Après les coups au visage, ils m'ont fait me mettre à genoux et m'ont mis des coups de règles sur la plante des pieds, sans doute pour me réveiller.
Ensuite ils m'ont remis assis et moi je continuais à nier.
A un moment pour éviter un coup, je me suis reculé ce qui a fait que le gars qui allait me frapper a été emporté par son élan. Il s'est affalé sur la table et est tombé à terre, emportant avec lui la machine à écrire.
Cette épisode ne les a pas calmés, bien au contraire et les hostilités ont recommencé. J'ai repris une beigne, deux beignes trois beignes jusqu'à ce que je perde connaissance.
J'ai repris mes esprits en cellule avec des douleurs un peu partout. On m'a apporté une gamelle de soupe et deux couvertures. Je n'avais rien dans le ventre depuis la veille.
Le dimanche après midi, un gars m'apporte un bout de papier et un crayon afin que j'écrive à ma mère pour lui annoncer que j'allais être passé par les armes le lendemain à la prison Charles 3. Il m'a demandé si je n'avais rien à modifier par rapport aux réponses que je leur avais faites.
Je suis resté sur ma position mais je vous assure qu'à 23 ans, on se sent trop jeune pour mourir.
Le dimanche passe et l'instinct de survie commence à s'activer en moi.
Par les barreaux, j'ai commencé à regarder dehors et à repérer les lieux. J'ai vu qu'il y avait un cabanon, pour accrocher les vélos, qui était adossé au mur d'enceinte. Je me suis dit que c'était l'endroit idéal pour franchir le mur, mais encore fallait il y arriver.
En regardant pas les barreaux de la porte, j'ai vu qu'il y avait une bouteille qui se trouvait à ma portée.
C'était une bouteille qui se fermait avec un bouchon en porcelaine et dont l'étanchéité est faite par un caoutchouc. J'ai pensé que si je réussissais à attraper cette bouteille, je parviendrais à faire un crochet avec le fil de fer qui sert au pivotement du bouchon.
Comme j'étais toujours en possession de mon écharpe j'ai commencé par tenter de rapprocher cette bouteille. N'y parvenant pas, j'ai mouillé mon écharpe dans l'eau du WC turc qui ornait ma cellule.
Devenue plus lourde, mon écharpe avait plus d'efficacité et j'ai réussi à attraper la bouteille. J'ai démonté la partie métallique, ai remis la bouteille presque à sa place et ai commencé à me faire un outil pour crocheter la serrure. Malgré plusieurs tentatives je ne suis pas arrivé à mes fins.
Le dimanche soir, j'ai eu de nouveau droit à une gamelle de soupe. J'ai bu ma soupe, ai redonné la gamelle, mais ai gardé la cuillère en fer blanc.
Un peu plus tard, un gars de Paris est venu me rejoindre en cellule. Visiblement il s'était fait coincer parce qu'il détournait des wagons de la SNCF.
Au milieu de la nuit, je me suis réveillé. Il n'y avait plus aucun bruit dans le bâtiment, mais il faisait un temps de chien dehors avec de la neige et du vent.
J'ai cassé ma cuillère, j'ai mis le manche dans la fente formée entre la porte et le mur et ai plié le manche à l'équerre.
Avec ce crochet j'ai réussi à faire glisser le pêne de la porte qui s'est ouverte.
J'ai réveillé le Parisien et nous sommes sortis de la cellule malgré des réticences de sa part.
Comme il n'y avait aucune sentinelle, nous sommes sortis du bâtiment, avons atteint la cabane des vélos.
Nous sommes montés sur l'abri et avons fait le mur.
En enjambant le mur le premier, le Parisien a fait tomber une pierre sur les tôles du cabanon, ce qui a fait un vacarme assez important. Heureusement qu'il faisait un temps de chien, ce qui a couvert le bruit.
Lorsque j'ai franchi le mur à mon tour, le Parisien avait disparu. J'attends encore son merci.
Il est parti d'un côté et moi de l'autre, nous ne nous sommes jamais revus.
Je suis parti à l'aveuglette et à toutes jambes.
A l'angle d'une rue, j'ai heurté des gens que je n'ai pas eu le temps de voir. J'ai juste entendu crier Halte là! Halte là. Je me suis caché dès que j'ai pu en sautant dans une sorte de caniveau. J'avais de l'eau jusqu'au thorax. Je suis resté là jusqu'à ce que ce secteur redevienne calme.
Cela s'est passé dans le secteur de la place Stanislas.
J'ai repris ma route en me méfiant de tout jusqu'à ce que je tombe sur la direction de Neufchâteau.
Mon seul but était d'aller rejoindre ma copine qui habitait Hadol.
J'ai marché jusqu'au petit jour et je suis arrivé à Chavigny. Là j'ai longé le canal et suis arrivé au petit jour à Richardménil.
Comme je n'avais plus de lacet à mes chaussures, j'en avais fait avec mon mouchoir de poche.
Il continuait à pleuvoir, nous étions en janvier, je n'avais rien sur le dos, pourtant, étrangement je n'avais pas froid. Probablement que je n'avais pas le temps d'avoir froid.
Là j'ai décidé d'aller me réfugier un temps dans ce village.
Au départ, je voulais aller me réfugier dans l'église mais en arrivant à proximité de l'église, j'ai vu que de la lumière filtrait d'une ferme située à proximité.
Je savais que ma décision était très risquée, soit ces gens allaient m'aider, soit ils allaient m'enfoncer.
J'ai frappé à la porte et suis entré dans la pièce.
Un homme se trouvait là assis sur un tabouret. Il avait un seau de patates entre les jambes et était en train d'éplucher des légumes.
Lorsqu'il m'a vu, j'ai bien cru qu'il avait vu le diable. Il faut dire que je n'étais pas beau à voir.
Poursuivant ma logique de confiance, j'ai expliqué à ce type ce qu'il m'arrivait.
L'homme a réfléchi puis m'a proposé d'aller me cacher et de me réchauffer dans le local où il faisait à manger à ses cochons.
Il m'a apporté à manger et je ne suis pas fait prier pour tout avaler.
Je me suis séché là une bonne partie de la journée.
Je n'étais pas trop tranquille parce que j'avais vu passer plusieurs fois une traction noire sur la route, je me demandais bien si ce n'était pas pour moi.
Le soir venant, j'ai voulu reprendre la route mais l'homme qui m'hébergeait m'a appris qu'un car passait tous les soirs et allait sur Epinal. Comme je n'avais pas un sou sur moi, il m'a avancé un billet de cinq francs.
Ma femme lui a renvoyé son billet quelques temps après. Je suis donc revenu à Hadol et me suis réfugié chez ma copine.
Je suis allé me cacher dans le tas de paille et la copine m'a amené une bouteille de goutte ( Eau de vie – Ndr ) et un bout de pain pour me revigorer.
Je suis resté caché là une dizaine de jours, jusqu'à ce qu'Etienne Thomas de Fresse vienne me chercher en voiture pour me reconduire à Fresse Sur Moselle. Ce devait être en février.
A Fresse Sur Moselle, les jours passent et au mois de mai 1944 je suis contacté par Mr Donati, qui était peintre dans la commune . Il m'informe qu'un maquis se formait au Peu Haut, dans les dessus de Fresse et me demande d'en faire partie.
Au début, nous n'étions que vingt trois. Il y avait trois malheureuses cabanes, simplement recouvertes d'écorces. Nous allions nous laver plus bas, près du chalet actuel où l'eau coule toujours.
Moi j'étais désigné pour faire le ravitaillement du maquis. J'étais allé chercher un mulet aux Charbonniers à St Maurice et je collectais de la nourriture dans les fermes des hauts de Fresse.
Petit à petit, le maquis a pris du volume puisque tous les jours des gens arrivaient d'un peu partout. Nous nous sommes retrouvés à cinquante puis à une bonne centaine. Pour ma part, je cumulais les tours de garde et mes rondes de ravitaillement avec mon mulet.
Lorsque le maquis du Peu Haut a été attaqué, nous nous sommes repliés sur celui de Bussang, lequel a été attaqué le lendemain.
Les maquis se sont disloqués et chacun est parti de son côté. Moi je suis revenu sur Fresse, avec mon fusil.
Un mois plus tard, à l'arrivée des alliés sur le bas de la vallée, j'ai décidé, comme bien d'autres, de passer les lignes pour nous retrouver du bon côté de la barrière. Je ne souhaitais qu'une chose, rejoindre ma copine à Hadol, c'est ce que j'ai fait.
Au moins dix ans après la guerre, alors que je conduisais des camions pour le compte de l'entreprise Grandclaude, j'ai été contrôlé par les policiers de Neuve Maison.
Après la journée de travail, nous devions passer la nuit à l'hôtel. Des policiers sont venus me trouver à l'hôtel et m'ont demandé de les accompagner au commissariat de police.
Ils m'ont montré une photo et m'ont demandé si je reconnaissais l'individu qui se trouvait dessus. C'était une photo de moi, celle qui avait été prise lorsque j'avais été conduit, menottes au poignet, à la police de Nancy.
Je n'ai pas été trop surpris parce que j'avais déjà obtenu le double de cette photo par la gendarmerie du Thillot.
J'étais fiché dans toutes les gendarmeries et commissariats de police de France pour désertion, détention d'armes, attentats et diverses autres infractions. J'étais supposé être un malfaiteur de première catégorie.
Au final je me suis expliqué sur toute cette affaire et je suis revenu à Fresse. Il n'y a eu aucune suite judiciaire à mon encontre mais aujourd'hui encore lorsque je vois les gendarmes au bord de la route, j'ai toujours une petite appréhension.
yves philippe- MODERATEUR
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